Non, la Belgique n’a pas « dépénalisé » la prostitution

Publié le 24 juin 2022
Nicolas Maeterlinck / Belga / MaxPPP

Depuis le 1er juin, des médias français se font l’écho d’une réforme mise en œuvre en Belgique, la « dépé­na­li­sa­tion » de la pros­ti­tu­tion. Cette mesure, « sans précédent » selon le gou­ver­ne­ment belge, ne fait pourtant pas l’unanimité dans le royaume. La jour­na­liste bruxel­loise Camille Wernaers montre à quel point cette loi ravive les débats qui, comme en France, divisent le champ féministe. . 

Tout est parti d’une décla­ra­tion de Vincent Van Quickenborne, ministre de la Justice belge, du parti libéral flamand : «Sur le plan du travail sexuel, il s’agit d’une réforme his­to­rique. […] La Belgique est le premier pays en Europe à dépé­na­li­ser le travail sexuel.» Repris partout dans les médias comme sur les réseaux sociaux, en Belgique comme en France, ce com­men­taire cache une réalité moins spec­ta­cu­laire, mais surtout plus complexe.

En Belgique, le travail du sexe concer­ne­rait environ 26 000 personnes, dont 95 % de femmes. Et contrai­re­ment à ce que laisse entendre le terme dépé­na­li­sa­tion, utilisé dans la presse pour décrire la réforme, la pros­ti­tu­tion est depuis longtemps, en Belgique, une activité légale, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas.

En revanche, toute forme de gestion du travail du sexe était jusque-là cri­mi­na­li­sée et qualifiée de proxé­né­tisme, empêchant les tra­vailleuses du sexe (TDS) salariées d’accéder à

une pro­tec­tion sociale. « Jusqu’à présent, explique le collectif de TDS Utopsi dans un texte cosigné avec d’autres asso­cia­tions, la loi belge visait à rendre la pratique du travail du sexe aussi difficile que possible et donc à [le] décou­ra­ger […] ou à le faire disparaître. »

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal sexuel, le 1er juin, qui met à jour sur ces questions le Code pénal belge, datant de 1867, les tra­vailleuses du sexe (TDS) sont consi­dé­rées comme des tra­vailleuses comme les autres, avec les mêmes droits sociaux. Le proxé­né­tisme reste interdit, mais soumis à une défi­ni­tion plus stricte : seront notamment consi­dé­rées comme proxé­nètes les personnes tirant un « profit anormal » du travail des TDS. Ce « profit anormal » est laissé pour l’instant à l’appréciation des magis­trats. Les personnes reconnues comme proxé­nètes risquent d’un à cinq ans d’emprisonnement, et une amende pouvant aller jusqu’à 25 000 euros.

Interdiction de publicité

La réforme, qui ne concerne pas uni­que­ment la pros­ti­tu­tion mais introduit également une nouvelle défi­ni­tion du consen­te­ment, a été approuvée par tous les partis de la majorité du gou­ver­ne­ment fédéral. Le texte est le fruit de plusieurs mois de travail de la com­mis­sion Justice du Parlement, avec notamment l’audition d’expert·es de la société civile, dont des tra­vailleuses du sexe ras­sem­blées au sein d’Utsopi. À la suite des auditions, certains amen­de­ments ont été déposés. L’un d’eux maintient, dans la plupart des cas, l’interdiction de faire de publicité pour le travail du sexe. Un autre oblige les pla­te­formes en ligne, via les­quelles les TDS tra­vaillent de plus en plus souvent, à signaler immé­dia­te­ment aux services de police et de justice toute suspicion de traite des êtres humains.

 

PLUSIEURS ASSOCIATIONS FÉMINISTES REGRETTENT DE NE PAS AVOIR ÉTE AUDITIONNÉES 

 

En Belgique, comme en France, deux courants de pensée coexistent à l’intérieur du féminisme. Les pro-sexe estiment de la pros­ti­tu­tion qu’il s’agit d’un travail qui doit être encadré par des contrats. Les abo­li­tion­nistes pensent que la pros­ti­tu­tion est issue d’un système sexiste, raciste et capi­ta­liste et demandent sa disparition.

Depuis l’année dernière, le réseau féministe abo­li­tion­niste Faces, constitué d’associations de défense des droits des femmes telles que l’Université des femmes, Le Monde selon les femmes ou encore Vie féminine – qui a récemment fêté ses 100 ans –, élève la voix pour dire son inquié­tude concer­nant cette loi.

Elles regrettent ne pas avoir été audi­tion­nées en vue de la réforme. «Ce Code pénal ne répond pas à la demande de celles qui veulent sortir de la pros­ti­tu­tion, il ne renforce que les proxé­nètes et les tra­fi­quants !» a réagi  Mireia Crespo de l’association abo­li­tion­niste isala, qui travaille sur le terrain à Bruxelles avec les personnes en situation de prostitution.

La loi ne fera pas dis­pa­raître les méga bordels

Selon ces asso­cia­tions, le texte de réforme ne respecte pas les enga­ge­ments inter­na­tio­naux de la Belgique en matière de droits humains et notamment la conven­tion des Nations unies de 1949 qui reconnaît la pros­ti­tu­tion comme incom­pa­tible avec la dignité humaine. Sandrine Cnapelinckx, direc­trice de la fondation Samilia, qui lutte contre la traite des êtres humains, abonde : «Il est certain que cette nouvelle loi ne va pas empêcher la création de méga bordels [comme ceux qui existent en Belgique à la frontière avec la France et qui attirent des Françaises fuyant une loi plus répres­sive dans leur pays]. Beaucoup de réseaux sont à la recherche de personnes pouvant fournir des services sexuels. »

Les débats qui animent fémi­nistes sur le travail du sexe  depuis plus de 20 ans en Europe ont été en grande partie éludées de plusieurs articles de presse consacrés à la réforme. Ils per­mettent pourtant de saisir la com­plexi­té du débat sur le statut à donner au travail du sexe et à celles et ceux qui le pratiquent.

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Camille Wernaers

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