Depuis le 1er juin, des médias français se font l’écho d’une réforme mise en œuvre en Belgique, la « dépénalisation » de la prostitution. Cette mesure, « sans précédent » selon le gouvernement belge, ne fait pourtant pas l’unanimité dans le royaume. La journaliste bruxelloise Camille Wernaers montre à quel point cette loi ravive les débats qui, comme en France, divisent le champ féministe. .
Tout est parti d’une déclaration de Vincent Van Quickenborne, ministre de la Justice belge, du parti libéral flamand : « Sur le plan du travail sexuel, il s’agit d’une réforme historique. […] La Belgique est le premier pays en Europe à dépénaliser le travail sexuel. » Repris partout dans les médias comme sur les réseaux sociaux, en Belgique comme en France, ce commentaire cache une réalité moins spectaculaire, mais surtout plus complexe.
En Belgique, le travail du sexe concernerait environ 26 000 personnes, dont 95 % de femmes. Et contrairement à ce que laisse entendre le terme dépénalisation, utilisé dans la presse pour décrire la réforme, la prostitution est depuis longtemps, en Belgique, une activité légale, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas.
En revanche, toute forme de gestion du travail du sexe était jusque-là criminalisée et qualifiée de proxénétisme, empêchant les travailleuses du sexe (TDS) salariées d’accéder à
une protection sociale. « Jusqu’à présent, explique le collectif de TDS Utopsi dans un texte cosigné avec d’autres associations, la loi belge visait à rendre la pratique du travail du sexe aussi difficile que possible et donc à [le] décourager […] ou à le faire disparaître. »
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal sexuel, le 1er juin, qui met à jour sur ces questions le Code pénal belge, datant de 1867, les travailleuses du sexe (TDS) sont considérées comme des travailleuses comme les autres, avec les mêmes droits sociaux. Le proxénétisme reste interdit, mais soumis à une définition plus stricte : seront notamment considérées comme proxénètes les personnes tirant un « profit anormal » du travail des TDS. Ce « profit anormal » est laissé pour l’instant à l’appréciation des magistrats. Les personnes reconnues comme proxénètes risquent d’un à cinq ans d’emprisonnement, et une amende pouvant aller jusqu’à 25 000 euros.
Interdiction de publicité
La réforme, qui ne concerne pas uniquement la prostitution mais introduit également une nouvelle définition du consentement, a été approuvée par tous les partis de la majorité du gouvernement fédéral. Le texte est le fruit de plusieurs mois de travail de la commission Justice du Parlement, avec notamment l’audition d’expert·es de la société civile, dont des travailleuses du sexe rassemblées au sein d’Utsopi. À la suite des auditions, certains amendements ont été déposés. L’un d’eux maintient, dans la plupart des cas, l’interdiction de faire de publicité pour le travail du sexe. Un autre oblige les plateformes en ligne, via lesquelles les TDS travaillent de plus en plus souvent, à signaler immédiatement aux services de police et de justice toute suspicion de traite des êtres humains.
PLUSIEURS ASSOCIATIONS FÉMINISTES REGRETTENT DE NE PAS AVOIR ÉTE AUDITIONNÉES
En Belgique, comme en France, deux courants de pensée coexistent à l’intérieur du féminisme. Les pro-sexe estiment de la prostitution qu’il s’agit d’un travail qui doit être encadré par des contrats. Les abolitionnistes pensent que la prostitution est issue d’un système sexiste, raciste et capitaliste et demandent sa disparition.
Depuis l’année dernière, le réseau féministe abolitionniste Faces, constitué d’associations de défense des droits des femmes telles que l’Université des femmes, Le Monde selon les femmes ou encore Vie féminine – qui a récemment fêté ses 100 ans –, élève la voix pour dire son inquiétude concernant cette loi.
Elles regrettent ne pas avoir été auditionnées en vue de la réforme. « Ce Code pénal ne répond pas à la demande de celles qui veulent sortir de la prostitution, il ne renforce que les proxénètes et les trafiquants ! » a réagi Mireia Crespo de l’association abolitionniste isala, qui travaille sur le terrain à Bruxelles avec les personnes en situation de prostitution.
La loi ne fera pas disparaître les méga bordels
Selon ces associations, le texte de réforme ne respecte pas les engagements internationaux de la Belgique en matière de droits humains et notamment la convention des Nations unies de 1949 qui reconnaît la prostitution comme incompatible avec la dignité humaine. Sandrine Cnapelinckx, directrice de la fondation Samilia, qui lutte contre la traite des êtres humains, abonde : « Il est certain que cette nouvelle loi ne va pas empêcher la création de méga bordels [comme ceux qui existent en Belgique à la frontière avec la France et qui attirent des Françaises fuyant une loi plus répressive dans leur pays]. Beaucoup de réseaux sont à la recherche de personnes pouvant fournir des services sexuels. »
Les débats qui animent féministes sur le travail du sexe depuis plus de 20 ans en Europe ont été en grande partie éludées de plusieurs articles de presse consacrés à la réforme. Ils permettent pourtant de saisir la complexité du débat sur le statut à donner au travail du sexe et à celles et ceux qui le pratiquent.
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