À Calais, la solidarité en actes

Point de passage entre la France et l’Angleterre, Calais est depuis trente ans le labo­ra­toire des poli­tiques répres­sives à l’encontre des personnes exilées, mais également des asso­cia­tions huma­ni­taires qui leur portent secours. Depuis quelques années, des col­lec­tifs fémi­nistes, des militant·es anti­ra­cistes et des groupes anti­ca­pi­ta­listes tentent d’unir leurs luttes. 
Publié le 26 juillet 2024
Photos : Aimée Thirion pour La Déferlante
À L’Auberge des migrants, à Calais, le 2 mai 2024, des salariées du Refugee Women’s Centre préparent le départ d’une maraude. Photo : Aimée Thirion pour La Déferlante. 

La petite camion­nette beige semble voler au-dessus des nids de poule qui parsèment les routes des quartiers sud de Calais.

Au milieu d’un paysage composé de hangars indus­triels – parfois trans­for­més en squats –, d’étendues herbeuses et de quelques barres d’immeuble en mauvais état, l’engin trans­porte d’énormes sacs de vêtements, des jouets et des produits d’hygiène. Au détour d’une rue, il s’engouffre sur un chemin défoncé au bout duquel il se gare dans le sens du départ. « Au cas où il faudrait partir vite », précise Marie Fillatre, sa conduc­trice, sans qu’on sache si elle craint une descente de police ou une bagarre dans le campement.
La jeune femme est coor­di­na­trice du Refugee Women’s Centre (RWC), une asso­cia­tion née en 2015 sur le littoral de la mer du Nord pour venir en aide aux femmes exilées et à leurs familles qui attendent de passer clan­des­ti­ne­ment en Angleterre, à 30 kilo­mètres de l’autre côté du détroit du pas de Calais. Elle est accom­pa­gnée de Bethan, une volon­taire ori­gi­naire de Manchester et d’une autre bénévole qui préfère ne pas donner son prénom. Auprès du grand public comme des migrant·es (1), l’association s’affiche ouver­te­ment féministe inter­sec­tion­nelle et LGBT+ friendly. Elle travaille en non-mixité choisie, c’est-à-dire uni­que­ment entre femmes et personnes non binaires ou trans.
Sur le terrain vague qui s’étend devant nous, une cin­quan­taine de tentes se serrent les unes contre les autres. Du linge sèche sur des grillages tordus. Marie et Bethan repèrent un groupe de Vietnamien·nes, parmi lesquel·les quatre femmes ont besoin de vêtements. Elles les entraînent vers la camion­nette et leur proposent de se servir dans leur stock. Elles sou­haitent aussi leur parler sans la présence des hommes : « On s’assure que tout va bien et qu’elles sont au courant, si besoin, qu’une mise à l’abri est possible », décrypte Marie.
En 2023, à Calais, le RWC a été en contact avec 670 femmes can­di­dates à la traversée vers l’Angleterre, aux­quelles s’ajoutent celles que l’association n’a pas eu l’occasion de ren­con­trer, car, contrai­re­ment aux hommes, elles restent souvent en retrait des dis­tri­bu­tions. « Même si c’est uni­que­ment aux abords du camion de maraude, on essaie de créer un “safe space” pour elles, raconte Alexia Douane, coor­di­na­trice juridique et sociale de l’association. Les femmes en exil sont plus exposées aux violences sexistes et sexuelles. Mais on ne veut pas les réduire à ça : elles sont aussi fortes et rési­lientes. »

Des descentes de police tous les deux jours

Un peu plus loin, sous les arbres, Bethan retrouve une femme turque et sa fille qu’elle a ren­con­trées quelques jours plus tôt. L’avant-veille, elles ont tenté, sans succès, d’embarquer sur un bateau pneu­ma­tique pour traverser la Manche. « My name is Senay », nous dit la petite fille qui a appris par cœur cette phrase en anglais. Elle nous montre six doigts pour dire son âge.

Cette semaine-là, plus de 700 personnes ont réussi à gagner l’Angleterre sur des bateaux pneu­ma­tiques à moteur, où chaque place se monnaie autour de 2 000 euros. Parmi elles, six femmes accom­pa­gnées par le Refugee Women’s Centre. L’une d’elles a envoyé un message le matin même sur le portable de l’association : « We arrived safely in the UK. »

Sur WhatsApp, une femme exilée, qui a été prise en charge à Calais par le Refugee Women’s Centre, donne de ses nouvelles après la traversée de la Manche : « We arrived safely in the UK » (Nous sommes arrivées saines et sauves au Royaume-Uni).

Sur WhatsApp, une femme exilée, qui a été prise en charge à Calais par le Refugee Women’s Centre, donne de ses nouvelles après la traversée de la Manche : « We arrived safely in
the UK » (Nous sommes arrivées saines et sauves au Royaume-Uni). Photo : Aimée Thirion pour La Déferlante.

À la per­ma­nence de jour du Secours catho­lique où la maraude du RWC a été appelée, Fatma, une Yéménite de 31 ans, confie volon­tiers sa détresse. Elle aussi a tenté et raté la traversée de la Manche plusieurs fois. Arrivée à Calais après un périple de sept mois en avion, en train et à pied, elle est aujourd’hui hébergée dans un foyer pour femmes. « Ma vie ici, c’est un film, ironise-t-elle. Je me promène partout avec mes sacs, mes vêtements encom­brants. Pour aller aux toilettes, c’est compliqué parce qu’en tant que femme je ne peux pas faire ça n’importe où, et quand j’ai mes règles, c’est encore pire : je vais me cacher derrière des maisons, mais parfois des hommes me suivent. J’ai peur tout le temps et de tout. Quand je vivais dans les cam­pe­ments je ne dormais pas de crainte de me faire attaquer ou que la police débarque. »

Depuis 2016 et le déman­tè­le­ment de la « grande jungle » de Calais (2), la doctrine mise en œuvre par l’État sur le terrain et relayée par la muni­ci­pa­li­té dirigée depuis 2008 par Natacha Bouchart (Les Républicains) est celle du « zéro point de fixation ». Tous les deux jours, les forces de l’ordre inter­viennent pour déman­te­ler les cam­pe­ments de fortune qui parsèment la ville, obligeant les personnes exilées à recons­truire leurs abris quelques dizaines de mètres plus loin. Quant aux dis­tri­bu­tions d’eau et de nour­ri­ture jugées « sous-dimensionnées » par la plupart des acteurs et actrices de terrain, elles ont été confiées à une asso­cia­tion pres­ta­taire de l’État – La Vie active – alors même qu’une suc­ces­sion d’arrêtés pré­fec­to­raux et muni­ci­paux ont longtemps interdit aux autres asso­cia­tions de nourrir les réfugié·es. Les autorités en sont per­sua­dées, plus les condi­tions de séjour à Calais seront dif­fi­ciles, moins les personnes exilées viendront. Cette théorie dite de « l’appel d’air » « prend racine dans le corpus idéo­lo­gique de l’extrême droite », explique le poli­to­logue Pierre Bonnevalle dans un rapport publié en 2022 (3). Elle repose sur une « évidence » jamais démontrée que « plus un pays est accueillant, plus il attire les étrangers ». L’évolution de la situation à Calais apporte un cinglant démenti à ce postulat : en 2023, 36 000 personnes ont rejoint le littoral puis traversé la Manche. C’est le deuxième bilan le plus élevé jamais enre­gis­tré après le record de 52 000 tra­ver­sées en 2022.

Depuis seize ans, Natacha Bouchart multiplie les mesures excluant les personnes exilées de la vie de la cité (4). En 2021, dans une interview donnée à BFM qui sonnait comme une demi-confession, elle com­men­tait sa réélec­tion un an plus tôt, à la tête de la ville : « On n’a pas besoin d’être d’extrême droite pour avoir des réponses prag­ma­tiques et défendre les gens sans tomber dans l’extrême et ses dérives. » Au plan national, lors des débats qui ont accom­pa­gné le vote de la loi dite « Asile et immi­gra­tion » à l’hiver 2023–2024, l’élue, qui se dit proche du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, s’est rangée aux côtés du RN pour réclamer le réta­blis­se­ment du « délit de séjour irré­gu­lier », supprimé en 2012 sous le mandat de François Hollande.

 

Installée dans la région il y a trois ans, Jade Lamalchi est membre de Calais la sociale, un média associatif en ligne qui raconte l’actualité des luttes sociales dans la ville et ses alentours.

Installée dans la région il y a trois ans, Jade Lamalchi est membre de Calais la sociale, un média asso­cia­tif en ligne qui raconte l’actualité des luttes sociales dans la ville et ses alentours. Photo : Aimée Thirion pour La Déferlante.

42 % des jeunes Calaisien·nes au chômage

Calais est une ville aux allures de terrain de guerre. Dès la gare, on croise des familles à la rue et des groupes d’hommes en errance.
À quelques centaines de mètres, l’entrée du port est bar­ri­ca­dée par de hauts grillages. Le long des axes routiers et fer­ro­viaires, ce sont en tout 70 kilo­mètres de clôtures coiffées de barbelés qui ont été érigées pour empêcher les migrant·es de monter dans les bateaux, trains et camions en partance pour l’Angleterre.

« Ici tout est fait pour invi­si­bi­li­ser la misère », explique Clara Liparelli. Assise à la terrasse d’un café asso­cia­tif du centre-ville, la jeune femme, libraire et membre du Collectif féministe de Calais, raconte son arrivée dans la ville en 2021. À l’époque, elle prête main-forte à l’association Utopia 56 qui défend les droits des personnes exilées : « Je suis tombée des nues devant la répres­sion qui règne ici et devant le silence média­tique qui l’accompagne. La mairie dispose partout d’énormes rochers pour empêcher les gens d’installer des tentes, les asso­cia­tions qui les aident sont régu­liè­re­ment ver­ba­li­sées pour des histoires de sta­tion­ne­ment ou de véhicules “défec­tueux”… »

Comme Clara, il y a trois ans, Jade Lamalchi a quitté sa vie en région pari­sienne, pour s’engager « à la frontière ». « Mon père est algérien, donc les questions liées à l’immigration je les ai en moi. Mais alors que j’avais à peine 21 ans, je me suis retrouvée à faire des trucs que je n’aurais jamais imaginés : me battre pour de l’eau, accom­pa­gner les proches de personnes décédées, tenter de réanimer une personne sur un parking… » Loin d’effrayer les deux jeunes femmes, l’urgence de la situation sur place les a convain­cues de s’installer dura­ble­ment : « Calais n’est pas un lieu qu’il faut quitter, justifie Clara. Il faut le défendre. »
Dans cette ville frontière où les usines ferment les unes après les autres – et où, selon la dernière enquête de l’Insee sur le sujet, 42 % des jeunes sont au chômage (5) –, l’extrême droite n’a rassemblé que 17 % des suffrages au dernier scrutin municipal. Mais le candidat du Rassemblement national, Marc de Fleurian a été élu aux légis­la­tives de 2024, avec 53,70 % des votes. « Quand je regarde cette ville – la pauvreté, les idées haineuses – je flippe, se désole Céline Foulon, une autre membre du Collectif féministe. Calais est en train de mourir. Si je ne luttais pas, je ne pourrais pas vivre ici. »

Né de la fusion de deux groupes de colleuses lassées de voir leurs slogans recou­verts par des affiches du RN, le Collectif féministe de Calais a vu le jour à l’été 2021. « Un sou­la­ge­ment ! », lâche Charlotte, pro­fes­seure de lettres et membre active du collectif : « Je me suis dit que fina­le­ment, ce n’était pas qu’une ville de fachos. » Toujours en cours de struc­tu­ra­tion, le groupe réunit aujourd’hui une vingtaine de personnes autour d’événements qui mettent en lien les réflexions fémi­nistes et la situation des personnes exilées. Pour la
deuxième année consé­cu­tive, il a coor­ga­ni­sé la Pride, qui a réuni 600 personnes de toute la région le 29 juin 2024.

Mehdia Ben Tounes Marty est traductrice pour l’équipe de Médecins sans frontières. Elle accueille régulièrement chez elle des femmes et des familles en transit vers l’Angleterre.

Mehdia Ben Tounes Marty est tra­duc­trice pour l’équipe de Médecins sans fron­tières.
Elle accueille régu­liè­re­ment chez elle des femmes et des familles en transit vers l’Angleterre. Photo : Aimée Thirion pour La Déferlante.

Comme souvent, les bénévoles sont des femmes

« Il y a beaucoup de rumeurs qui courent sur les migrants ici. Les gens disent qu’ils agressent les femmes. Mais moi j’ai envie de leur répondre : est-ce que vous avez pris le temps d’aller les voir et de leur parler ? » Dans sa grande maison en briques près du centre-ville qu’elle partage avec son mari et ses deux filles, Mehdia Ben Tounes Marty héberge régu­liè­re­ment des femmes et des familles avant leur passage en Angleterre. Originaire d’Algérie, où elle tra­vaillait comme psy­cho­logue et anthro­po­logue, Mehdia est aujourd’hui tra­duc­trice pour l’équipe de Médecins sans fron­tières. Lors des per­ma­nences orga­ni­sées dans les locaux du Secours catho­lique, elle croise chaque semaine des retrai­tées calai­siennes qui depuis des années rac­com­modent des blousons ou jouent à des jeux de société avec des femmes et des hommes venu·es d’Érythrée, du Soudan, de Syrie ou de Turquie. « C’est sur ces personnes qui aident au quotidien qu’il faut mettre la lumière. Ce sont elles qui nous disent qu’il faut continuer à accueillir les exilé·es. Les élu·es d’extrême droite dépensent tellement de temps et d’énergie à essayer de nous diviser, alors qu’ils pour­raient l’utiliser pour trouver des solutions dignes pour ces gens. »

Comme souvent dans les asso­cia­tions, et plus largement dans le secteur social, la grande majorité des volon­taires que l’on croise à Calais sont des femmes. Gilet bleu et blanc du Secours catho­lique sur le dos, Françoise, 58 ans, nous consacre sa pause, alors qu’à quelques mètres d’elle, une dizaine d’hommes, le regard absorbé par leurs écrans de portables, sont ras­sem­blés autour d’une borne de char­ge­ment. Ancienne secré­taire dans le secteur de la construc­tion, aujourd’hui sans emploi, elle a commencé à donner un coup de main il y a deux ans. « Ce que je préfère, c’est le mercredi quand je vais en maraude sur les lieux de vie, raconte-t-elle d’une voix timide. Au début on m’a proposé de m’occuper des femmes, mais je m’identifiais trop à leurs parcours, c’était déchirant. » Dans le village où elle réside, entre Calais et Dunkerque, « les gens ne disent pas trop pour qui ils votent, mais l’extrême droite progresse à chaque élection ». En 2012, dans cette 7e cir­cons­crip­tion du Pas-de-Calais, le Front national (devenu Rassemblement national en 2018), n’était pas qualifié pour le second tour des légis­la­tives (avec un score de 15 %). Il attei­gnait 49,33 % des suffrages exprimés au premier tour en 2024.

Marie Fillatre et deux bénévoles du Refugee Women’s Centre discutent avec une mère et sa fille de 6 ans, Senay, originaires de Turquie.

Marie Fillatre et deux bénévoles du Refugee Women’s Centre discutent avec une mère et sa fille de 6 ans, Senay, ori­gi­naires de Turquie. Photo : Aimée Thirion pour La Déferlante.

Une microsociété militante

Face au drame huma­ni­taire qui se rejoue chaque jour depuis trente ans et face à la montée du RN dans les urnes, beaucoup des personnes impli­quées dans l’aide aux exilé·es imaginent possible une conver­gence des luttes : sociales, anti­ra­cistes, fémi­nistes, LGBT+. Une sorte d’« union sacrée », à l’écart des partis poli­tiques tra­di­tion­nels, pour résister aux poli­tiques antimigrant·es. C’est dans ce but qu’en octobre 2022 s’est lancée Calais la Sociale, un média asso­cia­tif en ligne qui documente les luttes sociales et tisse entre elles des liens. Jade Lamalchi y signe souvent des repor­tages. Une main sur le volant de sa voiture, l’autre pointant des immeubles délabrés qui barrent le paysage, elle explique : « Ici, la pauvreté se transmet de géné­ra­tion en géné­ra­tion. La question, c’est comment nous, militant·es, pouvons-nous faire du lien entre les personnes exilées et celles qui sont licen­ciées par leur usine ? »

Le Collectif féministe de Calais, qui a vu le jour à l’été 2021, réunit aujourd’hui une vingtaine de personnes.

Le Collectif féministe de Calais, qui a vu le jour à l’été 2021, réunit aujourd’hui une vingtaine de personnes. Photo : Aimée Thirion pour La Déferlante.

Estimée à un millier de volon­taires chaque année, la popu­la­tion drainée par les asso­cia­tions huma­ni­taires est essen­tiel­le­ment composée de jeunes, souvent diplômé·es, venu·es de grandes villes fran­çaises mais aussi de l’étranger. Cette micro­so­cié­té militante est pour beaucoup le lieu d’une prise de conscience. « La première réunion à laquelle j’ai participé était organisée par une asso­cia­tion qui distribue des repas dans les cam­pe­ments. Les gens ont commencé à se présenter par leurs pronoms (6). Moi je com­pre­nais rien. Ce sont ces gens-là qui m’ont appris les codes militants. C’est grâce à elles et eux que je me suis mise à ver­ba­li­ser les oppres­sions que mes proches et moi, en tant que personnes issues de milieux popu­laires, avons pu vivre aupa­ra­vant. »

Même si on trouve de nombreux Calaisiens et Calaisiennes dans les asso­cia­tions his­to­riques d’aide aux migrant·es, la grande majorité évolue à distance des activités mili­tantes : « On a peu d’occasions de faire des choses ensemble », regrette Jade. Une des consé­quences, sans doute, de la rhé­to­rique muni­ci­pale qui, depuis 2008, ne cesse d’opposer les habitant·es de la ville d’un côté aux personnes exilées et aux volon­taires qui les accom­pagnent de l’autre. En février 2014, Natacha Bouchart mettait à dis­po­si­tion une adresse mail per­met­tant aux riverain·es de dénoncer l’installation de squats dans leur ville. En janvier 2018, sur RMC, elle accusait les asso­cia­tions d’entretenir la détresse des personnes migrantes « pour exister » et de leur fournir des barres de fer pour commettre des délits.

« Si on acceptait que les exilé·es fassent partie de la ville et si on créait des lieux de rencontre avec la popu­la­tion, les gens auraient moins peur, analyse de son côté Clara Liparelli. C’est important de lier entre eux les dif­fé­rents combats. Finalement, on est tous et toutes victimes des mêmes oppres­sions. »

 

Le 2 mai 2024, à Wimereux, se tenait un rassemblement pour rendre hommage aux sept personnes – dont Sarah, 7 ans – décédées dans un naufrage quelques jours auparavant.

Le 2 mai 2024, à Wimereux, se tenait un ras­sem­ble­ment pour rendre hommage aux sept personnes – dont Sarah, 7 ans – décédées dans un naufrage quelques jours aupa­ra­vant. Photo : Aimée Thirion pour La Déferlante.

Face au drame, l’espoir d’une prise de conscience

Ironiquement, c’est lors des évé­ne­ments tragiques qui rythment la vie à la frontière que des milieux et des géné­ra­tions dif­fé­rentes ont l’occasion de se retrouver. Sur la digue de Wimereux, ce 2 mai 2024, près de 200 personnes gre­lottent dans le vent glacé. Quelques jours plus tôt, au large de cette station balnéaire huppée située à 20 minutes au sud de Calais, sept personnes ont perdu la vie alors qu’elles tentaient de prendre la mer à bord d’un bateau pneu­ma­tique pour rejoindre les côtes anglaises. Parmi elles, Sara, 7 ans, ori­gi­naire d’Irak, est morte écrasée sous le poids d’une qua­ran­taine de passagers ayant rejoint l’embarcation de fortune à la dernière minute. Sa photo trône au centre du cercle formé par les participant·es à la cérémonie. Ses parents, sa sœur et son frère sont présent·es. Dans cette foule, on croise les visages des mili­tantes et militants asso­cia­tifs rencontré·es ces derniers jours. Mais également beaucoup de femmes et d’hommes aux cheveux blancs et à l’allure soignée. Alors que la sono commence à crachoter des chants engagés, tous et toutes ont déjà les yeux humides. Christine, infir­mière à la retraite, nous raconte que sa fille a appris le drame en voyant les affaires des naufragé·es refluer sur la plage à la marée montante. Bernadette et Romain, 75 et 74 ans, ont été informé·es du ras­sem­ble­ment « par la paroisse ».

« Nous avons espoir que cette tragédie servira d’électro­choc pour les autorités », lance une voix au micro. « Vous les préfets, les sous-préfets, êtes en partie res­pon­sables de ces morts. Vous pointez du doigt les asso­cia­tions que vous accusez de créer un appel d’air. Mais imaginez si nous n’étions pas là : ce serait bien pire ! » En silence, l’assistance se recueille. La voix au micro marque une pause puis reprend : « Il n’y aura ni oubli ni pardon. » •

Pour ce reportage, de nom­breuses citoyennes, res­pon­sables asso­cia­tives et mili­tantes calai­siennes ont été inter­ro­gées. Toutes n’ont pu être citées. Nous tenons à les remercier ici : Sophie Agneray et le Collectif des épouses des salariés licenciés de l’usine Prysmian-Draka, Loup Blaster, Juliette Deleplace, Pauline Simonneau, Coline, Julie, Paloma, Sandra.

 


(1) Le mot « migrant·es » est plutôt employé par les res­pon­sables poli­tiques et les médias, tandis qu’« exilé·es » est celui utilisé le plus cou­ram­ment dans les asso­cia­tions huma­ni­taires. Dans cet article, nous employons indif­fé­rem­ment les deux termes.

(2) En 2015, sur les dunes de Calais, s’installe un campement où vivront jusqu’à 10 000 migrant·es. La « jungle » – selon le terme utilisé au départ par les réfugié·es – est déman­te­lée en octobre 2016. L’appellation demeure pour désigner les cam­pe­ments plus petits, présents partout à Calais et dans les environs.

(3) « L’État français et la gestion des personnes exilées à la frontière franco-britannique : harceler, expulser, disperser », ce rapport, commandé par une pla­te­forme d’associations actives sur le littoral de la Manche et publié en février 2022, est télé­char­geable sur le site de la Cimade.

(4) En novembre 2015, Natacha Bouchart a fermé l’accès de la média­thèque et de la piscine muni­ci­pale aux exilé·es en le condi­tion­nant à la pré­sen­ta­tion d’un jus­ti­fi­ca­tif de domicile. Depuis quelques mois, un projet visant à faire payer les bus muni­ci­paux uni­que­ment aux migrant·es est à l’étude.

(5) Dossier consacré à la ville de Calais publié sur le site de l’Insee en février 2024 (chiffres portant sur l’année 2020).

(6) Dans les milieux fémi­nistes et LGBT+, il est fréquent d’énoncer le pronom par lequel on souhaite être désigné : elle, il, iel…

Résister en féministes

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°15 Résister, parue en août 2024. Consultez le sommaire.

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