Les effets d’annonce ont cela de pratique pour les dirigeant·es qu’ils occupent longtemps l’espace médiatique. Et qu’élu·es comme citoyen·nes peuvent en oublier de demander des comptes. Si la lutte contre les violences faites aux femmes a été sacrée par deux fois « Grande Cause » des quinquennats d’Emmanuel Macron, c’est à l’heure où le gouvernement présente son budget qu’il est intéressant d’évaluer concrètement son action.
Le projet de loi de finances est un document de plusieurs milliers de pages qui définit chaque automne les dépenses de l’État pour l’année qui suit. Pour 2024, l’article 35 stipule que 76 millions d’euros seront alloués à la politique d’égalité femmes-hommes. Contre un peu moins de 55 millions en 2023. Soit une augmentation des crédits de 25 %. Au gouvernement, comme dans l’administration, on s’en félicite ouvertement : « Cette progression à deux chiffres traduit notre ambition », exposait Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale, le 11 octobre, devant la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale.
Cette augmentation s’explique en grande partie par l’adoption, en février 2023, de la loi sur l’aide universelle d’urgence, qui prévoit qu’un prêt ou un don puisse être accordé, sous trois à cinq jours, aux victimes qui portent plainte pour violence, effectuent un signalement ou demandent une ordonnance de protection. L’enveloppe allouée à cette mesure absorbe, à elle seule, 13 millions d’euros.
De quoi se plaignent les féministes ?
Mais le gouvernement va plus loin dans ses annonces : au total, ce seraient 5,8 milliards d’euros qui seraient mis sur la table en 2024 pour l’égalité des genres. Pour parvenir à ce chiffre très élevé, il fait entrer dans la case « lutte pour l’égalité femmes-hommes » des budgets déjà existants. Sont par exemple comptabilisés les fonds versés à des associations étrangères pour l’égalité femmes-hommes au titre de la coopération internationale (899 millions), mais également une partie des salaires des professeur·es d’histoire-géographie, chargé·es de l’enseignement moral et civique (EMC) qui doivent théoriquement évoquer, dans ce cadre, l’égalité entre les filles et les garçons (85 millions). « C’est magique : pour dire qu’on consacre plus d’argent à l’égalité, il suffit d’ajouter dans le comptage des parties du budget de l’État qui ont plus ou moins de rapport avec le sujet », décrypte Floriane Volt, directrice des affaires publiques à la Fondation des femmes.
SI ON RAPPORTE LE BUDGET AU NOMBRE DE FEMMES VICTIMES, IL EST EN BAISSE DE 26 %
Le budget de la lutte pour l’égalité femmes-hommes grossit ainsi d’année en année. Un milliard en 2020 conformément aux demandes des associations féministes. Puis 3,2 milliards en 2023 et, en 2024, 5,8 milliards… De quoi se plaignent les féministes ? En réalité, derrière ces comptages en trompe‑l’œil les crédits augmentent sensiblement mais pas autant que les signalements pour violences qui connaissent, de leur côté, une progression spectaculaire. « En cinq ans, le nombre de plaintes déposées a grimpé de 83 % », insiste Floriane Volt.
Même constat concernant les moyens versés aux associations. Les 98 structures qui composent la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) bénéficient, dans le budget 2024, d’une ligne budgétaire supplémentaire de 8 millions d’euros pour leurs permanences juridiques. Mais, dans le même temps, les besoins de terrain ne cessent d’augmenter. En 2022, le nombre de femmes prises en charge a augmenté de 10 %. Et la tendance est la même pour 2023. « Ça peut paraître beaucoup, 8 millions d’euros. Mais si on divise par le nombre de structures qui assurent cette mission partout sur le territoire, cela relativise l’effort », tempère Clémence Pajot, directrice générale de la FNCIDFF.
« Le nombre de victimes ne baisse pas »
Dans un rapport publié le 26 septembre, la Fondation des femmes préconise un calcul dissident. Si on rapporte la dotation gouvernementale au nombre actualisé de femmes devant être accompagnées, le budget 2024 concernant la lutte contre les violences est, cette fois-ci, en baisse, de 26 %. « Nous avons besoin d’une hausse autrement substantielle du budget global consacré aux droits des femmes », conclut Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes. Et Clémence Pajot d’interroger les effets à long terme du manque d’investissements de l’État : « On peut parler d’effort budgétaire. En attendant, le nombre de victimes ne baisse pas. »
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