Égalité femmes-hommes : les mauvais comptes du gouvernement

Discuté à l’Assemblée nationale depuis le 17 octobre dernier, le projet de loi de finances 2024 s’enorgueillit d’un budget en hausse pour l’égalité femmes-hommes. Mais derrière les effets de com­mu­ni­ca­tion, les moyens alloués restent très insuf­fi­sants pour financer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Décryptage.
Publié le 27 octobre 2023
Chaque 25 novembre, les associations féministes manifestent pour demander davantage de moyen pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Crédit photo : Jeanne Menjoulet / Flikr
Chaque 25 novembre, les asso­cia­tions fémi­nistes mani­festent pour demander davantage de moyen pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Crédit photo : Jeanne Menjoulet / Flikr

Les effets d’annonce ont cela de pratique pour les dirigeant·es qu’ils occupent longtemps l’espace média­tique. Et qu’élu·es comme citoyen·nes peuvent en oublier de demander des comptes. Si la lutte contre les violences faites aux femmes a été sacrée par deux fois « Grande Cause » des quin­quen­nats d’Emmanuel Macron, c’est à l’heure où le gou­ver­ne­ment présente son budget qu’il est inté­res­sant d’évaluer concrè­te­ment son action.

Le projet de loi de finances est un document de plusieurs milliers de pages qui définit chaque automne les dépenses de l’État pour l’année qui suit. Pour 2024, l’article 35 stipule que 76 millions d’euros seront alloués à la politique d’égalité femmes-hommes. Contre un peu moins de 55 millions en 2023. Soit une aug­men­ta­tion des crédits de 25 %. Au gou­ver­ne­ment, comme dans l’administration, on s’en félicite ouver­te­ment : « Cette pro­gres­sion à deux chiffres traduit notre ambition », exposait Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale, le 11 octobre, devant la délé­ga­tion aux droits des femmes de l’Assemblée nationale.

Cette aug­men­ta­tion s’explique en grande partie par l’adoption, en février 2023, de la loi sur l’aide uni­ver­selle d’urgence, qui prévoit qu’un prêt ou un don puisse être accordé, sous trois à cinq jours, aux victimes qui portent plainte pour violence, effec­tuent un signa­le­ment ou demandent une ordon­nance de pro­tec­tion. L’enveloppe allouée à cette mesure absorbe, à elle seule, 13 millions d’euros.

De quoi se plaignent les féministes ?

Mais le gou­ver­ne­ment va plus loin dans ses annonces : au total, ce seraient 5,8 milliards d’euros qui seraient mis sur la table en 2024 pour l’égalité des genres. Pour parvenir à ce chiffre très élevé, il fait entrer dans la case « lutte pour l’égalité femmes-hommes » des budgets déjà existants. Sont par exemple comp­ta­bi­li­sés les fonds versés à des asso­cia­tions étran­gères pour l’égalité femmes-hommes au titre de la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale (899 millions), mais également une partie des salaires des professeur·es d’histoire-géographie, chargé·es de l’enseignement moral et civique (EMC) qui doivent théo­ri­que­ment évoquer, dans ce cadre, l’égalité entre les filles et les garçons (85 millions). « C’est magique : pour dire qu’on consacre plus d’argent à l’égalité, il suffit d’ajouter dans le comptage des parties du budget de l’État qui ont plus ou moins de rapport avec le sujet », décrypte Floriane Volt, direc­trice des affaires publiques à la Fondation des femmes.


SI ON RAPPORTE LE BUDGET AU NOMBRE DE FEMMES VICTIMES, IL EST EN BAISSE DE 26 %


 

Le budget de la lutte pour l’égalité femmes-hommes grossit ainsi d’année en année. Un milliard en 2020 confor­mé­ment aux demandes des asso­cia­tions fémi­nistes. Puis 3,2 milliards en 2023 et, en 2024, 5,8 milliards… De quoi se plaignent les fémi­nistes ? En réalité, derrière ces comptages en trompe‑l’œil les crédits aug­mentent sen­si­ble­ment mais pas autant que les signa­le­ments pour violences qui connaissent, de leur côté, une pro­gres­sion spec­ta­cu­laire. « En cinq ans, le nombre de plaintes déposées a grimpé de 83 % », insiste Floriane Volt.

Même constat concer­nant les moyens versés aux asso­cia­tions. Les 98 struc­tures qui composent la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) béné­fi­cient, dans le budget 2024, d’une ligne bud­gé­taire sup­plé­men­taire de 8 millions d’euros pour leurs per­ma­nences juri­diques. Mais, dans le même temps, les besoins de terrain ne cessent d’augmenter. En 2022, le nombre de femmes prises en charge a augmenté de 10 %. Et la tendance est la même pour 2023. « Ça peut paraître beaucoup, 8 millions d’euros. Mais si on divise par le nombre de struc­tures qui assurent cette mission partout sur le ter­ri­toire, cela rela­ti­vise l’effort », tempère Clémence Pajot, direc­trice générale de la FNCIDFF.

« Le nombre de victimes ne baisse pas »

Dans un rapport publié le 26 septembre, la Fondation des femmes préconise un calcul dissident. Si on rapporte la dotation gou­ver­ne­men­tale au nombre actualisé de femmes devant être accom­pa­gnées, le budget 2024 concer­nant la lutte contre les violences est, cette fois-ci, en baisse, de 26 %. « Nous avons besoin d’une hausse autrement sub­stan­tielle du budget global consacré aux droits des femmes », conclut Françoise Brié, direc­trice générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes. Et Clémence Pajot d’interroger les effets à long terme du manque d’investissements de l’État : « On peut parler d’effort bud­gé­taire. En attendant, le nombre de victimes ne baisse pas. »

 

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