Alice Austen, pionnière du « lesbian gaze »

Photographe états-unienne auto­di­dacte, Alice Austen (1866–1952) a réalisé plus de 8 000 clichés et s’est appliquée à subvertir les normes de genre de son époque. Aujourd’hui, elle fait figure de pionnière dans l’art de la pho­to­gra­phie et d’artiste essen­tielle dans la visi­bi­li­sa­tion lesbienne.
Publié le 2 février 2024
Trude et moi masquées, en jupon court (1891).
Alice Austen, à gauche, avec une amie, Trude Eccleston. L’image est un concentré du travail de la pho­to­graphe : la théâ­tra­li­té est assumée, les femmes masquent leur visage mais dévoilent leurs jambes, leurs épaules et posent cheveux dénoués. Jeunes filles de bonne famille, elles s’amusent à jouer aux femmes de mauvaise vie. Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Née dans une famille aisée de la côte est des États-Unis, Alice Austen (1866–1952) apprend la pho­to­gra­phie en auto­di­dacte. Réalisant tout au long de sa vie plus de 8 000 clichés, elle aime subvertir les normes de genre de son époque. Son travail est l’une des premières affir­ma­tions d’un lesbian gaze, un « regard lesbien » sur le monde : avec son objectif, elle capte plus de cinq décennies de vie commune avec sa compagne Gertrude Tate.

Ruinée par le krach de 1929, elle meurt dans la pauvreté. Aujourd’hui, elle fait à la fois figure de pionnière dans l’art de la pho­to­gra­phie et d’artiste essen­tielle dans la visi­bi­li­sa­tion lesbienne.

Passionnée de tennis, de vélo ou encore d’automobile, Alice Austen documente l’essor du sport chez les femmes de la grande bourgeoisie à la fin du XIXe siècle. L’existence du Berkeley Ladies’ Athletic Club, un club féminin de gymnastique situé dans Manhattan, est révélatrice du phénomène. En 1893, elle y photographie ses amies : Daisy Elliott (tenant les anneaux), qui dirige le lieu, et avec qui elle a une courte liaison, ou Violet Ward (à l’extrême gauche, tenant un ballon), autre compagne amoureuse de Daisy Elliott.Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Passionnée de tennis, de vélo ou encore d’automobile, Alice Austen documente l’essor du sport chez les femmes de la grande bour­geoi­sie à la fin du XIXe siècle. L’existence du Berkeley Ladies’ Athletic Club, un club féminin de gym­nas­tique situé dans Manhattan, est révé­la­trice du phénomène. En 1893, elle y pho­to­gra­phie ses amies : Daisy Elliott (tenant les anneaux), qui dirige le lieu, et avec qui elle a une courte liaison, ou Violet Ward (à l’extrême gauche, tenant un ballon), autre compagne amoureuse de Daisy Elliott.
Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

En 1896, Alice Austen réalise les photographies de la brochure Bicycling for Ladies (manuel de bicyclette pour dames) rédigée par Violet Ward, avec qui elle a fondé le club de vélo de Staten Island. Daisy Elliott lui sert de modèle. Sur cette image, elle arbore un pantalon knickers, une tenue dont le port par les femmes suscite les ricanements des conservateurs. Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

En 1896, Alice Austen réalise les pho­to­gra­phies de la brochure Bicycling for Ladies (manuel de bicy­clette pour dames) rédigée par Violet Ward, avec qui elle a fondé le club de vélo de Staten Island. Daisy Elliott lui sert de modèle. Sur cette image, elle arbore un pantalon knickers, une tenue dont le port par les femmes suscite les rica­ne­ments des conser­va­teurs.
Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Lors d’une visite à son amie d’enfance Julia Bredt durant l’hiver 1892, en Pennsylvanie, Alice Austen capte à travers son objectif l’insouciance de la jeunesse dorée à laquelle elle appartient : Julia et elle posent entourées de jeunes hommes, pour la plupart étudiants, avec lesquels elles flirtent volontiers. Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Lors d’une visite à son amie d’enfance Julia Bredt durant l’hiver 1892, en Pennsylvanie, Alice Austen capte à travers son objectif l’insouciance de la jeunesse dorée à laquelle elle appar­tient : Julia et elle posent entourées de jeunes hommes, pour la plupart étudiants, avec lesquels elles flirtent volon­tiers. 
Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Madame Snively, Julia et moi au lit (1890). Cet été-là, Alice Austen (à gauche) passe les vacances avec son amie d’enfance Julia Martin (à droite), dans la famille d’Eliza Snively (au centre), jeune mère enfermée dans un mariage malheureux, et qui divorcera un an plus tard.Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Madame Snively, Julia et moi au lit (1890). Cet été-là, Alice Austen (à gauche) passe les vacances avec son amie d’enfance Julia Martin (à droite), dans la famille d’Eliza Snively (au centre), jeune mère enfermée dans un mariage mal­heu­reux, et qui divorcera un an plus tard.
Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Julia Martin, Julia Bredt et moi-même en habit (1891). L’un des clichés les plus connus d’Alice Austen, qui pose au centre. Cette mise en scène des stéréotypes de la masculinité illustre son sens de l’humour subversif : elle tient, de manière suggestive, un parapluie entre les jambes.Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Julia Martin, Julia Bredt et moi-même en habit (1891). L’un des clichés les plus connus d’Alice Austen, qui pose au centre. Cette mise en scène des sté­réo­types de la mas­cu­li­ni­té illustre son sens de l’humour subversif : elle tient, de manière sug­ges­tive, un parapluie entre les jambes.
Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

The Darned Club (1861), traduit par « Le Club diabolique » dans Une histoire mondiale des femmes photographes de Luce Lebart et Marie Robert (éd. Textuel, 2020). Ce cercle rassemble les meilleures amies d’Alice Austen, parmi lesquelles Trude Eccleston (voir p. 54 et 64). Ce sont de jeunes hommes du voisinage, vexés d’être exclus d’un groupe composé uniquement de femmes, qui lui ont donné ce nom.Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

The Darned Club (1861), traduit par « Le Club dia­bo­lique » dans Une histoire mondiale des femmes pho­to­graphes de Luce Lebart et Marie Robert (éd. Textuel, 2020). Ce cercle rassemble les meilleures amies d’Alice Austen, parmi les­quelles Trude Eccleston (voir p. 54 et 64). Ce sont de jeunes hommes du voisinage, vexés d’être exclus d’un groupe composé uni­que­ment de femmes, qui lui ont donné ce nom.
Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Gertrude Tate vers 1899 (page de gauche) et dans les années 1930 (en haut à droite). Alice Austen a 31 ans quand elle rencontre, en 1897, Gertrude Tate (1872-1962), institutrice et professeure de danse. Elles vont passer plus de cinq décennies ensemble, vivant toutes deux à partir de 1917 à Clear Comfort, la maison de famille d’Alice Austen. Seuls le grand âge et la maladie vont les séparer : en 1950, Alice est recueillie dans un hospice, tandis que Gertrude va vivre chez sa sœur.Crédit photo : Collection of Alice Austen Museum

Gertrude Tate vers 1899 (page de gauche) et dans les années 1930 (en haut à droite). Alice Austen a 31 ans quand elle rencontre, en 1897, Gertrude Tate (1872–1962), ins­ti­tu­trice et pro­fes­seure de danse. Elles vont passer plus de cinq décennies ensemble, vivant toutes deux à partir de 1917 à Clear Comfort, la maison de famille d’Alice Austen. Seuls le grand âge et la maladie vont les séparer : en 1950, Alice est recueillie dans un hospice, tandis que Gertrude va vivre chez sa sœur.
Crédit photo : Collection of Alice Austen Museum

Le non et le oui de Trude Ec. à M. Hopper (1892). Devant une pierre tombale où figure l’inscription « Noyes », Alice Austen se joue des postures incontournables de la passion romantique. Elle met en scène Trude Eccleston refusant les avances d’un soupirant – rôle qu’endosse l’un de leurs ami·es, Augustine Hopper –, ou faisant mine d’être, au contraire, attendrie par ses suppliques amoureuses. Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

Le non et le oui de Trude Ec. à M. Hopper (1892). Devant une pierre tombale où figure l’inscription « Noyes », Alice Austen se joue des postures incon­tour­nables de la passion roman­tique. Elle met en scène Trude Eccleston refusant les avances d’un soupirant – rôle qu’endosse l’un de leurs ami·es, Augustine Hopper –, ou faisant mine d’être, au contraire, attendrie par ses sup­pliques amou­reuses.  Crédit photo : Collection of Historic Richmond Town

 

Autoportrait d’Alice Austen en costume de fée à Clear Comfort, dans les années 1930. Alors qu’elle est dans la soixantaine, sa fantaisie et son goût pour les déguisements demeurent intacts. Mais la mélancolie et l’étrangeté qui se dégagent de l’image disent en creux la lente dégradation des conditions de vie d’Alice Austen et Gertrude Tate du fait de la crise de 1929. Malgré toutes leurs tentatives pour conserver Clear Comfort, la maison doit être cédée en 1944.Crédit photo : Collection of Alice Austen Museum

Autoportrait d’Alice Austen en costume de fée à Clear Comfort, dans les années 1930. Alors qu’elle est dans la soixan­taine, sa fantaisie et son goût pour les dégui­se­ments demeurent intacts. Mais la mélan­co­lie et l’étrangeté qui se dégagent de l’image disent en creux la lente dégra­da­tion des condi­tions de vie d’Alice Austen et Gertrude Tate du fait de la crise de 1929. Malgré toutes leurs ten­ta­tives pour conserver Clear Comfort, la maison doit être cédée en 1944.
Crédit photo : Collection of Alice Austen Museum

Avorter : Une lutte sans fin
Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Consultez le sommaire.

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