Angela Davis : « Contre le fascisme, l’espoir est une exigence absolue »

Ancienne membre des Black Panthers et du Parti com­mu­niste états-unien, icône féministe, la phi­lo­sophe Angela Davis est une figure de la lutte anti­ra­ciste. Alors que Donald Trump a de nouveau été élu président des États-Unis, nous avons proposé à la jour­na­liste, réa­li­sa­trice, autrice féministe anti­ra­ciste Rokhaya Diallo de recueillir son analyse. Dans cet entretien, Angela Davis déploie son regard acéré sur un monde en pleine bascule. 
Publié le 27 janvier 2025
Angela Davis, le 14 septembre 2024, à Plessis-Pâté (Essonne), à l’occasion de son passage à la Fête de L’Humanité. crédit : Magali Bragard

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°17 Travailler, parue en février 2025. Consultez le sommaire.

L’élection de Donald Trump en novembre 2024 a été un choc pour de nom­breuses personnes, aux États-Unis et dans le monde, alors que la can­di­da­ture de la démocrate Kamala Harris avait suscité un fort enthou­siasme. Comment analysez-vous ce résultat ?


On n’aurait pas dû supposer que le Parti démocrate gagnerait ces élections. On pourrait passer des heures à parler de son inca­pa­ci­té à répondre aux besoins des tra­vailleurs et des tra­vailleuses à une époque où les richesses sont de plus en plus concen­trées entre les mains des classes supé­rieures. Le Parti démocrate est dirigé essen­tiel­le­ment par une élite, c’est-à-dire par des gens qui n’ont pas conscience que le capi­ta­lisme mondial a détruit la pos­si­bi­li­té pour un grand nombre de personnes de vivre une vie décente.

Cette élection a été perdue parce qu’on n’a pas réfléchi aux liens entre le capi­ta­lisme mondial – qui est aussi un capi­ta­lisme racial – et l’hétéropatriarcat. En tant que membre hono­ri­fique du syndicat inter­na­tio­nal des dockers 1 L’International Longshore and Warehouse Union, qui défend les intérêts des ouvriers por­tuaires aux États-Unis, est en première ligne dans les luttes anti­ra­cistes et déco­lo­niales, en refusant par exemple de décharger des bateaux venant d’Israël., je suis pro­fon­dé­ment déçue de voir le Parti démocrate se détourner des ouvriers et des ouvrières. Je n’ai jamais présumé que l’élection de Kamala Harris serait à elle seule une victoire. Ma position était de voter pour elle pour, une fois qu’elle serait élue, faire pression sur elle pour infléchir sa politique.

Pensez-vous qu’il faille analyser l’élection de Donald Trump comme une victoire de l’homme blanc et de la supré­ma­tie blanche ? La campagne de Kamala Harris était axée sur les droits repro­duc­tifs, mais cela n’a pas été suffisant pour l’électorat des femmes blanches. Comment pensez-vous que le genre a joué un rôle dans cette élection ?)

À bien des égards, c’est une victoire tactique de la supré­ma­tie blanche. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une victoire défi­ni­tive. Le virage à droite et la répres­sion accrue des minorités que nous avons vécue ces dernières années est une réaction de l’ultradroite face à une prise de conscience mondiale de ce racisme et de cette supré­ma­tie blanche comme phé­no­mènes struc­tu­rels ainsi que de la nécessité de les remettre en question.

Le patriar­cat a par ailleurs été une force dévas­ta­trice dans cette élection. Mais faire entrer les femmes dans l’arène élec­to­rale n’est pas le seul moyen de renverser la situation. J’ai toujours regardé avec méfiance l’idée selon laquelle des personnes, du simple fait de leur identité raciale ou de genre, seraient sus­cep­tibles de provoquer des chan­ge­ments massifs. Ces pré­dic­tions ne tiennent pas compte du pouvoir de l’orga­ni­zing 2 Aux États-Unis, l’organizing est une méthode de mobi­li­sa­tion com­mu­nau­taire visant à ras­sem­bler des individus autour d’intérêts communs pour exercer un pouvoir collectif et obtenir des chan­ge­ments sociaux, éco­no­miques ou poli­tiques.. C’est grâce à ces mobi­li­sa­tions struc­tu­rées au fil des décennies, de centaines d’années même, que les femmes noires sont à même d’occuper une place centrale.


« La répres­sion accrue des minorités est une réaction de l’ultradroite face à une prise de conscience mondiale du racisme et de la supré­ma­tie blanche comme phé­no­mènes structurels. »


Pensez-vous que l’élection de Donald Trump fasse courir un risque sérieux à la démo­cra­tie états-unienne ?

Cela fait longtemps que les États-Unis prennent une direction qui va à l’encontre d’un déve­lop­pe­ment de la démo­cra­tie. Les débats sur l’utilisation du mot « fasciste »3 Lancé dès le premier mandat de Donald Trump, en 2017, le débat a resurgi lors de la dernière campagne pré­si­den­tielle après que plusieurs anciens col­la­bo­ra­teurs du président élu ont estimé qu’il cor­res­pon­dait à la défi­ni­tion de « fasciste ». Une accu­sa­tion reprise par la candidate démocrate, Kamala Harris. nous amènent à nous inter­ro­ger sur la nature de notre système. Les États-Unis pré­tendent répandre la démo­cra­tie à travers le monde, mais cet impé­ria­lisme sert d’abord une volonté d’expansion du capi­ta­lisme. Nous devons prendre au sérieux la menace du fascisme et la montée des leaders d’extrême droite, non seulement aux États-Unis, mais aussi au Brésil, aux Philippines, en Italie, et en France, bien sûr. Nous devons aussi repenser ce que l’on entend par « démo­cra­tie » puisque ce mot est utilisé de façon si désinvolte.

Conférence de presse d’Angela Davis le 7 janvier
1971 à San Rafael (Californie, États-Unis). Deux jours auparavant, la militante était officiellement inculpée de « meurtre, kidnapping et conspiration ». Risquant la peine capitale, elle a fait l’objet d’une campagne de soutien internationale et a finalement été acquittée.
Conférence de presse d’Angela Davis le 7 janvier 1971 à San Rafael (Californie, États-Unis). Deux jours aupa­ra­vant, la militante était offi­ciel­le­ment inculpée de « meurtre, kid­nap­ping et conspi­ra­tion ». Risquant la peine capitale, elle a fait l’objet d’une campagne de soutien inter­na­tio­nale et a fina­le­ment été acquittée. Crédit : UPI / AFP

Face à la montée des extrêmes droites dans le monde, quels sont les outils pour résister ? Y a‑t-il encore une place pour l’espoir ?

Oui, sans espoir, cela n’a aucun sens de continuer à lutter. Mariame Kaba 4 Mariame Kaba est une autrice et activiste états-unienne engagée dans les mou­ve­ments pour l’abolition des prisons, la justice raciale et la justice de genre.l’a par­fai­te­ment formulé en disant que « l’espoir est une dis­ci­pline ». C’est une exigence absolue de la lutte et un élément essentiel de la mobi­li­sa­tion contre la menace imminente du fascisme. Trouver des moyens de générer de l’espoir relève de notre res­pon­sa­bi­li­té d’activistes.

La prise de conscience du racisme struc­tu­rel s’est inten­si­fiée en 2020 5Après le meurtre raciste de George Floyd par un officier de police aux États-Unis, le mouvement Black Lives Matter a pris une ampleur inédite à travers le monde.en pleine pandémie. Ce qui est remar­quable dans cette période, c’est qu’un grand nombre de personnes qui n’avaient pro­ba­ble­ment pas réfléchi sérieu­se­ment aux luttes anti­ra­cistes ont commencé à déve­lop­per une conscience col­lec­tive de cette oppres­sion. Nous devons être conscientes et conscients de la manière dont de tels évé­ne­ments nous font avancer et être prêt·es à tirer parti des évé­ne­ments imprévus.

Aujourd’hui, un mouvement réac­tion­naire tente de contrer cette évolution. Des livres sont censurés ou menacés d’être brûlés sur la place publique, et certain·es exercent des pressions pour changer les pro­grammes dans les écoles primaires, les lycées, les collèges et les uni­ver­si­tés [lire l’encadré ci-dessous].

Les plus diplômé·es étant les plus sus­cep­tibles de com­prendre les racines his­to­riques escla­va­gistes et colo­niales du racisme struc­tu­rel et de voter contre Trump, elles et ils repré­sentent une menace pour les pro­mo­teurs du fascisme. L’éducation est donc un espace de lutte très important. C’est pourquoi j’entrevois des pos­si­bi­li­tés de victoires à l’avenir.

Les livres LGBT+, nouveau front des guerres culturelles aux États-Unis

En septembre 2023, une vidéo prétend montrer deux sénateurs répu­bli­cains de l’État du Missouri, Bill Eigel et Nick Shroer, se livrant à un autodafé au lance-flammes. Elle a été vue des millions de fois aux États-Unis en quelques jours. L’information a été démentie – il s’agissait de cartons et non de livres – mais cela ne l’a pas empêchée de devenir virale. Bill Eigel a par la suite déclaré sur X : « Si vous apportez des livres wokes et por­no­gra­phiques dans les écoles du Missouri pour essayer de laver le cerveau de nos enfants, je les brûlerai. » En 2022, dans cet État, une loi a été adoptée qui bannit des biblio­thèques scolaires des livres consi­dé­rés comme « sexuel­le­ment expli­cites » et qui cible en réalité les ouvrages traitant des violences sexuelles, de l’avortement, de la culture LGBT+.

Cet épisode est symp­to­ma­tique de la guerre cultu­relle qui fait rage aux États-Unis. Depuis plusieurs années, des élu·es conservateur·ices et des parents d’élèves demandent ou orchestrent l’interdiction d’ouvrages dans les écoles sous prétexte qu’ils seraient « choquants » pour les élèves. Sont prin­ci­pa­le­ment visés les ouvrages portant sur la sexualité, le genre, les tran­si­den­ti­tés et la question raciale. Selon l’association Pen America, plus de 10 000 livres auraient été interdits – au moins tem­po­rai­re­ment – dans les écoles publiques au cours de l’année scolaire 2023–2024. Parmi les titres les plus fré­quem­ment ciblés, on trouve Dix-neuf minutes, de Jodi Picoult, L’Œil le plus bleu, de Toni Morrison, La Servante écarlate, de Margaret Atwood, ou encore Gender Queer, de Maia Kobabe.

Les inter­dic­tions de livres sont des éléments de la guerre cultu­relle, par­ti­cu­liè­re­ment brutale à l’égard des personnes trans, contre ce que les réac­tion­naires appellent « le wokisme ». D’après vous, qu’est-ce qui explique cette panique morale ? Comment devrions-nous y répondre ?

Jamais les Républicains n’auraient pu anticiper la popu­la­ri­té des mou­ve­ments trans de ces dernières années. Ces mou­ve­ments sont non seulement une menace pour leur pouvoir, mais aussi le symbole de tout ce qui les effraie. La binarité de genre est tenue pour évidente depuis si longtemps. Sa remise en question repré­sente la pos­si­bi­li­té de ques­tion­ner de nombreux facteurs qui ont établi la supré­ma­tie blanche, le patriar­cat hété­ro­sexuel et tant d’autres phé­no­mènes oppressifs.

Le mouvement trans est une révo­lu­tion politique, éco­no­mique et idéo­lo­gique qui va bien au-delà de la question du genre. Il est aussi important de recon­naître que la com­pré­hen­sion de la notion de genre par tant de gens dans un laps de temps rela­ti­ve­ment court est un phénomène révo­lu­tion­naire. Si nous devons nous opposer au mouvement fasciste, c’est aussi parce qu’il considère comme des ennemi·es celles et ceux qui ne se conforment pas aux normes de genre.

Marche pour les droits des personnes trans
à Atlanta (Géorgie, États-Unis), le 12 octobre 2024.
Les manifestant·es ont notamment protesté contre les lois récemment adoptées par l’État, sous gouvernance républicaine, qui rendent illégaux les soins médicaux pour les trans de moins de 18 ans. « Le mouvement trans est une révolution qui va bien au-delà de la question du genre », estime Angela Davis.
ROBIN RAYNE / ZUMA PRESS WIRE / SHUT / SIPA
Marche pour les droits des personnes trans à Atlanta (Géorgie, États-Unis), le 12 octobre 2024. « Le mouvement trans est une révo­lu­tion qui va bien au-delà de la question du genre », estime Angela Davis. Crédit : Robin Rayne / Zuma Press Wire / Shut / Sipa


Votre mili­tan­tisme a‑t-il évolué sur les questions LGBT+ ? Le fait d’être lesbienne 6 Angela Davis a fait son coming out en tant que lesbienne dans le magazine Out en 1997. joue-t-il un rôle dans votre façon de penser, dans votre façon de militer aujourd’hui ?

Je m’efforce de me tenir à distance des pré­sup­po­sés iden­ti­taires selon lesquels on serait davantage sus­cep­tible de s’engager dans la lutte si l’on est membre d’un groupe dont la liberté est remise en question. Je soutenais la cause LGBT+ bien avant que les trans­for­ma­tions de ma vie per­son­nelle ne m’amènent à m’identifier comme membre de la com­mu­nau­té queer.

Il faut savoir que l’une des carac­té­ris­tiques du Black Panther Party était non seulement son soutien aux luttes de libé­ra­tion dans le monde entier, en tant que parti inter­na­tio­na­liste, mais aussi à ce que l’on appelait alors le mouvement de libé­ra­tion gay (7). Et c’était à la fin des années 1960 !

En tant que militante révo­lu­tion­naire et radicale, j’étais très opposée au fait de se focaliser sur le mariage pour les personnes de même sexe : la com­mu­nau­té queer a été une force de contes­ta­tion du mariage comme ins­ti­tu­tion capi­ta­liste. J’étais aussi opposée à l’inclusion des personnes LGBT+ dans l’armée.

Pour moi, la question n’est pas de réclamer l’inclusion, mais de se mobiliser col­lec­ti­ve­ment pour faire tomber l’armée. Dans le mouvement noir également, il faut faire attention aux logiques assi­mi­la­tion­nistes. Elles semblent parfois prendre le dessus et empêcher les éléments les plus radicaux, révo­lu­tion­naires et libé­ra­teurs de cette lutte de parvenir à une place centrale.

Angela Davis, du communisme au féminisme des marges

Née en 1944, au temps de la ségré­ga­tion raciale dans le sud des États-Unis, Angela Davis dit avoir grandi dans un contexte qui ne lui « a pas laissé d’autre choix que d’être une activiste ». Sous l’influence de l’engagement anti­ra­ciste et com­mu­niste de sa mère, Sallye Davis, elle forge très jeune sa conscience politique.

C’est d’ailleurs la passion de sa mère pour la chanteuse Billie Holliday qui amènera plus tard Angela Davis à écrire une analyse féministe du blues, dont les inter­prètes dénoncent dès le début du xxe siècle les violences sexistes et racistes (Blues et féminisme noir, Libertalia, 2017).

Étudiante engagée dans des mou­ve­ments noirs des années 1960, elle y découvre une culture patriar­cale qui la révolte. Membre du Parti com­mu­niste, elle rejoint le Black Panther Party, un mouvement révo­lu­tion­naire de libé­ra­tion africain-américain, en 1968. Surveillée par le FBI, elle est accusée à tort de meurtre et risque la peine capitale. Elle est arrêtée en 1970 après une longue cavale. Son incar­cé­ra­tion pendant seize mois forge son enga­ge­ment pour l’abolition du système carcéral.

Elle dénonce en par­ti­cu­lier la violence sin­gu­lière qui s’y déploie contre les femmes, notamment enceintes, mères et non blanches. Avec des soutiens dans le monde entier, elle devient une icône de la lutte féministe et antiraciste.

En 1972, sa rencontre avec Toni Morrison – alors éditrice, elle la convainc de publier son auto­bio­gra­phie – sera déter­mi­nante tant sur le plan amical qu’intellectuel. Une autre rencontre a marqué son parcours de féministe, celle de Gerty Archimède, première femme avocate des Antilles fran­çaises, com­mu­niste et féministe, qu’elle rencontre en Guadeloupe en 1969.

En 1981, Angela Davis publie Femmes, race et classe, ouvrage majeur qui s’inscrit dans la longue tradition d’un féminisme des marges et pose les jalons d’une pensée exigeante enjoi­gnant au féminisme de tenir compte des luttes anti­ra­cistes, des mou­ve­ments ouvriers et des droits repro­duc­tifs pour tous·tes.

Vous êtes depuis longtemps engagée en faveur de la Palestine. Avec le génocide en cours à Gaza, le soutien au peuple pales­ti­nien est-il devenu prio­ri­taire pour vous ?

Nous sommes nombreux et nom­breuses à nous pré­oc­cu­per de ce qui se passe actuel­le­ment à Gaza et au Liban. Mais nous ne pré­ten­dons pas qu’il s’agit de la lutte la plus impor­tante au monde. Je me suis toujours méfiée du processus de hié­rar­chi­sa­tion entre les causes. Je crois plutôt à leur inter­dé­pen­dance. Ce qui se passe à Gaza dépasse Gaza.

Tout comme nous avons considéré la lutte contre l’apartheid sud-africain non pas comme la plus impor­tante des luttes contre le racisme, mais comme une lutte qui aurait des réper­cus­sions dans le monde entier. Personne ne peut être sur tous les fronts mais on peut être conscient·es des relations entre les luttes.

C’est ainsi que nous créons une sorte de connexion dans le monde. Mais nous ne devons pas dire qu’il est plus important en ce moment de soutenir le mouvement pales­ti­nien que de soutenir, par exemple, les Haïtiens et les Haïtiennes, qui souffrent ter­ri­ble­ment à cause de la position his­to­rique du gou­ver­ne­ment français (8).

Nous vivons à une époque où les actes des ultra­riches concourent à l’accélération de l’extinction pla­né­taire. Comme à Gaza, où la pro­duc­tion capi­ta­liste d’armes, aux mains de quelques entre­prises, ne détruit pas seulement les maisons, les mosquées et les hôpitaux, mais aussi la pos­si­bi­li­té même de vivre. Nous sommes face à un génocide, comme le rap­pellent les accu­sa­tions portées par l’Afrique du Sud devant la Cour inter­na­tio­nale de justice.


« Je me tiens à distance des pré­sup­po­sés iden­ti­taires selon lesquels on serait davantage sus­cep­tible de s’engager dans la lutte si l’on est membre d’un groupe dont la liberté est remise en question. »


Vos enga­ge­ments englobent la pré­ser­va­tion du vivant et de l’écologie en général, pourriez-vous nous en parler ?

Le chan­ge­ment cli­ma­tique est pro­fon­dé­ment lié aux luttes contre le racisme et contre le capi­ta­lisme. Bien sûr, le capi­ta­lisme est res­pon­sable des terribles dégâts infligés à la planète. La justice envi­ron­ne­men­tale est le point de départ de la justice sociale. Si nous rem­por­tons des victoires dans nos luttes contre le racisme, la misogynie, l’homophobie, etc., mais que la planète est détruite, alors ces luttes n’ont plus aucun sens. Nous devons donc tous et toutes concevoir la pro­tec­tion de la planète comme une urgence absolue.

Je pense que les popu­la­tions du Sud global devraient être en première ligne de ces luttes. La prédation des entre­prises capi­ta­listes – par exemple dans l’agriculture – a pour effet de détruire les cultures autoch­tones, qui savaient protéger la terre. Or ces cultures com­pre­naient l’importance des approches durables dans l’agriculture et la nécessité de préserver la biodiversité.

À titre personnel, je suis végane, pour minimiser mon impact sur la planète, mais je n’impose pas ma manière de vivre. Je pense sim­ple­ment que nous devrions être conscient·es de nos activités quo­ti­diennes et de l’impact qu’elles ont sur des êtres vivants, bien au-delà de la portée de nos vies.

Vous avez passé beaucoup de temps en France. Qu’en avez-vous retiré ?)

Ma mère avait l’habitude de dire, lorsque j’étais petite, que je devais toujours porter mon ima­gi­na­tion au-delà de l’endroit où je me trouvais. Mes études en France ont joué un rôle très important dans ce processus, et je ne l’oublierai jamais. Même si aujourd’hui je sais combien la France a tendance à se présenter comme la plus grande adver­saire du racisme dans le monde sans voir les actes racistes qui se pro­duisent sur son sol. Je pense que la France fait face à une crise d’identité. Le colo­nia­lisme a été au cœur de son déve­lop­pe­ment et de celui de tous les pays occi­den­taux, mais heu­reu­se­ment les descendant·es de ces histoires bous­culent cette position et s’impliquent dans la création d’une France très différente. •

Entretien réalisé en anglais, en visio­con­fé­rence le 14 novembre 2024.

Angela Davis en 7 dates

1944

Naissance d’Angela Davis à Birmingham (Alabama), un des États les plus ségrégués des États-Unis

1962

Elle entame des études de lit­té­ra­ture française et de phi­lo­so­phie à l’u­ni­ver­si­té Brandeis (Massachusetts). Elle étudie plusieurs moi à la Sorbonne à Paris, et deux ans à Francfort.

1970

Accusée de meurtre, elle figure parmi les dix personnes les plus recher­chées par le FBI. Menacée de la peine capitale, elle fait l’objet d’une campagne de soutien internationale.

1972

Emprisonnée pendant seize mois, elle est acquittée à l’issue de son procès

1981

Publication de son livre Femmes, race et classe, une série de 13 essais qui propose avant l’heure une approche inter­sec­tion­nelle des rapports de pouvoir.

1991

Elle est nommée pro­fes­seure, puis direc­trice du dépar­te­ment d’études fémi­nistes de l’u­ni­ver­si­té de Californie à Santa Cruz, fonction qu’elle occupe jusqu’en 2021.

1999

Publication aux États-Unis de son ouvrage Blues et féminisme noir, une histoire politique et féministe de la musique noire des années 1920–1940.

  • 1
    L’International Longshore and Warehouse Union, qui défend les intérêts des ouvriers por­tuaires aux États-Unis, est en première ligne dans les luttes anti­ra­cistes et déco­lo­niales, en refusant par exemple de décharger des bateaux venant d’Israël.
  • 2
    Aux États-Unis, l’organizing est une méthode de mobi­li­sa­tion com­mu­nau­taire visant à ras­sem­bler des individus autour d’intérêts communs pour exercer un pouvoir collectif et obtenir des chan­ge­ments sociaux, éco­no­miques ou politiques.
  • 3
    Lancé dès le premier mandat de Donald Trump, en 2017, le débat a resurgi lors de la dernière campagne pré­si­den­tielle après que plusieurs anciens col­la­bo­ra­teurs du président élu ont estimé qu’il cor­res­pon­dait à la défi­ni­tion de « fasciste ». Une accu­sa­tion reprise par la candidate démocrate, Kamala Harris.
  • 4
    Mariame Kaba est une autrice et activiste états-unienne engagée dans les mou­ve­ments pour l’abolition des prisons, la justice raciale et la justice de genre.
  • 5
    Après le meurtre raciste de George Floyd par un officier de police aux États-Unis, le mouvement Black Lives Matter a pris une ampleur inédite à travers le monde.
  • 6
    Angela Davis a fait son coming out en tant que lesbienne dans le magazine Out en 1997.
Rokhaya Diallo

Voir tous ses articles

Travailler, à la conquête de l’égalité

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°17 Travailler, parue en février 2025. Consultez le sommaire.