Samedi 10 décembre à Stockholm, Annie Ernaux recevra officiellement le prix Nobel de littérature. Première écrivaine française à recevoir cette récompense, elle a exploré, tout au long de son œuvre, les effets des logiques de domination et porté haut et fort le combat pour la liberté et l’émancipation des femmes.
Pour La Déferlante, elle revient sur l’annonce de cette distinction, début octobre, et sur sa carrière d’écrivaine engagée.
Comment avez-vous vécu ces dernières semaines et l’intense médiatisation autour de cette consécration ?
Annie Ernaux : C’est une grande joie de constater que beaucoup de gens sont heureux que j’aie eu le Nobel ! Ces dernières semaines ont été bousculées. Je reviens tout juste du Brésil. J’avais des engagements pris auparavant, notamment des déplacements pour la sortie du film Les Années Super 8 que j’ai réalisé avec mon fils, David Ernaux-Briot. Et puis d’un seul coup j’ai reçu une masse de courriers et de mails !
Il me semble qu’il y a une machine qui s’est mise en route pour m’extraire du monde dans lequel j’ai l’habitude d’être. Je tâche de résister le mieux possible et, en même temps, je me soumets aux exigences de la médiatisation en bon petit soldat ! Mais ma vie ne se justifie pas par le fait de me montrer, de parler de moi. Ce n’est pas ça, ce que je voulais faire à 20 ans ! Ni à 40 ans ! (Rires.)
Vous êtes la première Française récompensée par ce prix. Est-ce qu’il change quelque chose dans votre manière d’aborder votre travail d’écrivaine ?
Annie Ernaux : Absolument pas. Des événements personnels peuvent changer ma façon d’écrire, mais pas un événement de cet ordre-là. Je ne veux pas être réduite à ce prix Nobel. Je suis Annie Ernaux voilà tout !
Le discours de réception du prix Nobel que vous prononcerez demain, samedi 10 décembre, est très attendu – il est d’ailleurs publié en avant-première par plusieurs journaux. Quel message avez-vous voulu faire passer ?
A.E. : Il s’agit d’affirmer la ligne qui a été la mienne et d’expliquer comment je suis devenue écrivaine dans ce monde-ci. Je tâche de l’expliquer sans compromission, c’est-à-dire sans remercier Untel et Untel, ce ne serait pas moi ça… En tant que femme, j’ai personnellement été très marquée par le discours de réception du Nobel d’Albert Camus, en 1957. J’avais 17 ans et j’avais déjà lu L’Homme révolté. C’est en pensant à lui que j’ai abordé mon discours.
Il est traversé par deux lignes essentielles à mes yeux. Le féminisme, d’abord, ou comment ma condition de femme m’a fait écrire mon premier livre, Les Armoires vides, en 1974. Et la question sociale : ce que cela m’a fait d’être née dans un milieu considéré comme inférieur au monde de la culture et de la littérature.
Quelques jours après l’annonce du prix, vous avez participé à la manifestation nationale contre la vie chère et l’inaction climatique. Quelles étaient vos motivations ?
A.E. : J’avais décidé d’y participer un mois auparavant. Donc je me suis demandé : […]
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