Après Mazan : « Il faut mettre le paquet sur l’éducation affective et sexuelle des enfants »

Le verdict est tombé hier au procès des violeurs de Mazan. Dominique Pelicot a été condamné à la peine maximale, soit vingt ans de réclusion cri­mi­nelle. Les 50 autres accusés ont écopé de peines infé­rieures aux réqui­si­tions du parquet, allant de trois (dont deux avec sursis) à quinze ans de prison. Tout au long des audiences qui auront duré plus de trois mois, de nombreux accusés ont affirmé qu’ils n’avaient pas conscience de commettre un viol. Dans cette dernière news­let­ter de notre série consacrée à ce procès his­to­rique, nous nous inté­res­sons au profil des auteurs de violences sexuelles, avec la psy­chiatre Anne-Hélène Moncany. Et à ce que les pouvoirs publics mettent – ou pas – en place pour prévenir ces violences, les punir et éviter la récidive.
Publié le 19 décembre 2024
Dans le XIIe arron­dis­se­ment de Paris, des fémi­nistes collent des slogan en soutien à Gisèle Pelicot. Crédit photo : Sandrine Laure Dippa / Hans Lukas.

Ils ont entre 26 et 73 ans. Ils sont pompier, infirmier, jour­na­liste, artisan, chauffeur-routier ou encore ex-policier. Beaucoup ont des enfants. Les 51 hommes accusés de viols aggravés sur Gisèle Pelicot devant la cour cri­mi­nelle du Vaucluse ont tous été condamnés à des peines de prison ferme.

Psychiatre, Anne-Hélène Moncany accom­pagne quo­ti­dien­ne­ment des auteurs de violences sexuelles. Elle est res­pon­sable d’un pôle de psy­chia­trie légale à Toulouse, préside la Fédération française des Centres res­sources pour les inter­ve­nants auprès d’auteurs de violences sexuelles (Criavs) depuis 2019, et dirige l’antenne de Midi-Pyrénées. Ces centres, qui sont au nombre de 27 en France, proposent aux professionnel·les qui inter­viennent auprès d’auteurs de violences sexuelles, des res­sources et un accom­pa­gne­ment. Ils sont financés par le ministère de la Santé, et souvent rattachés à des hôpitaux.

Pendant le procès des violeurs de Mazan, on a entendu les accusés dire : « J’ai pénétré Gisèle Pelicot mais je ne suis pas un violeur » ou encore « C’est bien mon corps, mais ce n’est pas mon cerveau. » Comment analysez-vous ces propos ?

On s’en doutait grâce aux enquêtes de vic­ti­ma­tion, mais avec ce procès, on s’est rendu compte qu’il existe un hiatus important entre ce que les gens pensent être un viol et ce que ce crime est réel­le­ment. Pour une partie des accusés, le fait d’avoir un rapport sexuel avec une femme incons­ciente n’est pas un viol. Si eux pensent cela, une partie non négli­geable de la popu­la­tion générale le pense aussi. Ce qui est inquié­tant également, c’est [qu’aucun d’eux] ne se soit dit : « Quelque chose ne va pas, une personne est en danger et il faut le signaler. »

 

Les experts psy­cho­logues et les psy­chiatres qui ont examiné ces hommes ont affirmé qu’ils ne pré­sen­taient pas de troubles psy­chia­triques. Qu’est-ce que cela signifie ?

Tout dépend de ce qu’on entend par l’expression « troubles psy­chia­triques », et les psy­chiatres ne sont pas toutes et tous d’accord sur ce que ce terme recouvre. Pour certain·es, ce sont la schi­zo­phré­nie, le trouble bipolaire, etc. Les violeurs de Mazan ne sont visi­ble­ment pas des hommes qui perdent le contact avec la réalité, ils sont res­pon­sables de leurs actes. En revanche, si on intègre dans les troubles psy­chia­triques ce que l’on appelle les troubles de la per­son­na­li­té (impul­si­vi­té, dif­fi­cul­tés à gérer les relations inter­per­son­nelles, à respecter la loi, etc.), on va peut-être en retrouver parmi ces accusés.

Pareillement, si on considère que les troubles para­phi­liques [troubles de l’attirance sexuelle] en font partie [c’est ce qu’affirme le DSM‑5, manuel psy­chia­trique de référence aux États-Unis], on va sans doute en retrouver aussi. Les violeurs de Mazan appar­tiennent à une popu­la­tion qu’on n’a pas forcément l’habitude de voir et de prendre en charge, et en ce sens, c’est un peu un tsunami. Je ne les ai pas examinés, mais pour moi il y a un intérêt à ce qu’ils puissent béné­fi­cier d’un accom­pa­gne­ment psy­cho­thé­ra­peu­tique, mais aussi d’un rappel de ce qu’est la loi.

 

Les violeurs de Gisèle Pelicot sont-ils, comme on l’a beaucoup entendu durant ce procès, des hommes ordinaires ?

Le viol n’est pas la norme, mais on ne peut pas dire que ce soit un acte isolé ou singulier. L’enquête Virage de 2015 montrait que 14,7 % des femmes avaient été victimes de violences sexuelles au cours de leur vie ; cela signifie qu’une part non négli­geable d’hommes a commis des violences sexuelles.

On n’a pas attendu ce procès pour le savoir, l’auteur de violences sexuelles, c’est d’abord le père, l’oncle, le frère, ou celui qui exerce une domi­na­tion : le prof, l’entraîneur, le prêtre. C’est une personne insérée, qui a un job, une famille, un entourage, des amis. Ce n’est ni le « méchant monstre horrible » ni le « malade mental pervers ».

 

Plus d’un quart des accusés affirme avoir été victime de violences sexuelles dans l’enfance. Ce procès est-il aussi celui de la culture de l’inceste ?

Oui, j’en suis convain­cue. Les enquêtes montrent que la pré­va­lence de l’inceste est énorme, en France une personne sur dix en est victime. Cela a des consé­quences dra­ma­tiques en termes de santé, puisqu’on sait que les victimes de violences sexuelles dans l’enfance déve­loppent des troubles de la per­son­na­li­té, des addic­tions, des dépres­sions, des com­por­te­ments sui­ci­daires, etc. On sait aussi que le fait d’avoir été victime augmente le risque de commettre soi-même des violences sexuelles, surtout si se développe un stress post-traumatique qui n’est pas traité par la suite.

 


« 14,7 % des femmes ont été victimes de violences sexuelles au cours de leur vie, donc une part impor­tante d’hommes a commis des violences sexuelles. »


 

Comment les auteurs de violences sexuelles sont-ils pris en charge aujourd’hui en France ?

Depuis 2009, 22 centres de détention sont spé­ci­fi­que­ment fléchés pour la prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel, avec des équipes soi­gnantes spé­ci­fiques, qui tra­vaillent étroi­te­ment avec les Criavs. Il n’est pas consti­tu­tion­nel d’imposer des soins en prison, mais il existe un dis­po­si­tif d’incitation : pour béné­fi­cier d’une remise de peine, il faut prouver qu’on reçoit des soins en lien avec l’infraction commise. À l’issue de l’incarcération, il existe deux types de dis­po­si­tifs : l’obligation de soins pour les faits les moins graves, et l’injonction de soins pour les plus graves [contrai­re­ment à l’obligation de soins, l’injonction de soins est ordonnée dans le cadre du suivi socio-judiciaire, après la décision de justice, et fait toujours suite à une expertise psychiatrique].

Les juges pré­co­nisent beaucoup d’obligations de soins, ce qui vient saturer les dis­po­si­tifs. D’autant que les moyens humains manquent à la fois chez les psy­chiatres – dans le public, un quart des postes sont vacants, et certaines régions n’en ont pas – et chez les conseiller·es d’insertion et de probation, qui doivent assurer le contrôle de ces mesures-là. Il existe également un numéro de téléphone à des­ti­na­tion des personnes attirées sexuel­le­ment par les enfants.

 

Sur le volet de la pré­ven­tion des violences sexuelles, qu’est-ce qui existe et qu’est-ce qu’il reste à faire ?

C’est la grande leçon de ce procès : il n’est pas accep­table qu’une partie impor­tante de la popu­la­tion considère encore qu’on peut avoir un rapport sexuel avec une personne inanimée. Tant qu’on ne sera pas plus à l’offensive sur la pré­ven­tion dès le plus jeune âge, on s’expose à ce que ça continue.

Il faut donc mettre le paquet auprès des enfants sur l’éducation à la vie affective et sexuelle [lire notre encadré], et sur les com­pé­tences psy­cho­so­ciales. Il faudrait une matière à part entière à l’école pour aborder le respect de l’autre, l’altérité, les défi­ni­tions de l’agression, du viol, du respect. La plupart des intervenant·es axent encore la pré­ven­tion sur la pro­tec­tion de la victime poten­tielle : « Faites attention, il faut apprendre à dire non. »

C’est néces­saire, mais quand on s’adresse à une classe d’enfants, on a aussi affaire [sta­tis­ti­que­ment] à des auteurs poten­tiels donc il faut aborder la question du respect et de l’acceptation du non. Il faut le dire et le répéter à tout le monde dès le plus jeune âge : « Non, on ne couche pas avec une personne incons­ciente. » Ces pro­grammes sont obli­ga­toires mais très peu appliqués. Il faut des moyens et des for­ma­tions. La volonté politique n’est pas encore assez forte.

 

L’éducation affective et sexuelle à l’école en suspens

Obligatoire dans les écoles, collèges et lycées depuis 2001, l’éducation affective et sexuelle est, en réalité, peu ou pas appliqué dans les éta­blis­se­ments scolaires. Sous l’impulsion de Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation de mai 2022 à juillet 2023, le programme a été réécrit puis soumis à un consensus large allant de la droite fillo­niste aux syndicats tels que le SNES-FSU. Mais fin novembre 2024, Alexandre Portier, alors ministre délégué à la réussite scolaire, en rupture avec la position de sa ministre de tutelle, Anne Genetet, affirmait que la nouvelle version de ce programme n’était « pas accep­table » car marquant le retour d’une supposée « théorie du genre » au sein des éta­blis­se­ments. En raison de la censure du gou­ver­ne­ment Barnier, la pré­sen­ta­tion offi­cielle du texte, prévue mi-décembre 2024 devant le Conseil supérieur de l’éducation n’est, pour l’instant, plus d’actualité.

 

Par Sarah Boucault

Journaliste indé­pen­dante, elle s’intéresse aux sujets sur la fin de vie et travaille également sur les violences sexuelles.
Voir tous ses articles.

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