Il y a quelques jours, le numéro 13 de La Déferlante partait à l’imprimerie. Son thème : « Avorter, une lutte sans fin ». Au même moment, dans la rue en bas de notre bureau à Paris, de grandes lettres noires sur fond blanc ont fleuri sur les murs : « Nos corps, nos choix ».
Une femme sur quatre doit quitter son département pour avorter
Outre que, comme l’a rappelé le démographe Hervé Le Bras, le lien entre le taux de natalité et la puissance d’un pays n’a jamais été prouvé, le discours présidentiel apparaît comme totalement à contresens de la réalité.
D’abord, il confond lutte contre l’infertilité et natalité. À savoir, d’un côté, un problème de santé publique, pour lequel les expert·es recommandent notamment de limiter l’usage des pesticides agricoles, à rebours des récents engagements du gouvernement auprès des agriculteur·ices. De l’autre, un sujet politique, dont l’extrême droite a coutume de s’emparer pour exprimer son racisme.
Ensuite, les démographes sont plutôt d’accord là-dessus, la natalité n’a pas besoin d’être relancée. Et si elle craint le déclin démographique, la France peut aussi renoncer à fermer ses frontières, comme le suggèrent depuis longtemps la gauche internationaliste tout comme les économistes libéraux.
Le péril, c’est plutôt celui qu’encourent les femmes qui souhaitent disposer librement de leur corps. Comme nous le rappelons dans notre dossier, en France, presque cinquante ans après la loi Veil, une femme sur quatre est obligée de changer de département pour avorter, faute de place dans les centres de planification. La propagande anti-IVG s’est frayé un chemin jusque dans les salles de classe de certains établissements. Partout dans le monde, à la faveur d’une poussée des idées d’extrême droite, des dirigeant∙es conservateur∙ices reviennent sur les droits acquis. Aux États-Unis, l’abrogation du décret Roe vs Wade par la Cour suprême en juin 2022 laisse la liberté aux États de revenir sur le droit à l’IVG. En Argentine, l’arrivée au pouvoir du populiste ultralibéral Javier Milei risque de mettre à bas le droit à l’avortement acquis de haute lutte en 2020. En Italie, les mères lesbiennes non gestantes se voient rayées des livrets de famille de leurs enfants.
L’ACTUALITÉ NOUS APPORTE LA PREUVE QUE LES DROITS REPRODUCTIFS DES FEMMES ET DES PERSONNES LGBT+ NE SONT JAMAIS TOTALEMENT ACQUIS
Et pendant ce temps-là, en France, alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir et que le scénario états-unien est dans toutes les têtes, Gérard Larcher, président du Sénat, affiche tranquillement son opposition à la constitutionnalisation de l’IVG – pourtant voulue par l’Élysée – au prétexte qu’elle « n’est pas menacée dans notre pays ». Un signal inquiétant à l’approche du vote à la chambre haute.
Lorsque nous avons commencé à travailler sur notre numéro « Avorter » il y a six mois, nous étions loin de nous douter que le droit à l’IVG reviendrait d’une manière aussi tonitruante au centre du débat politique français. Cinquante ans après les combats militants qui ont abouti à la loi Veil du 17 janvier 1975 dépénalisant l’avortement, l’actualité nous apporte la preuve que les droits reproductifs des femmes et des personnes LGBT+, en France pas plus qu’ailleurs, ne sont jamais totalement acquis. En 1971, aux juges du tribunal de Bobigny devant lesquels elle défendait Marie-Claire Chevalier, une jeune femme poursuivie pour avoir avorté illégalement, l’avocate et militante Gisèle Halimi lançait : « Est-ce que vous accepteriez, vous, messieurs, de comparaître devant des tribunaux de femmes parce que vous auriez disposé de votre corps ? »
Plus d’un demi-siècle plus tard, il semble utile de reformuler cette question : « Et vous, messieurs Macron et Larcher, accepteriez-vous que deux femmes, bien installées sur les deux plus hauts fauteuils de l’État, vous intiment de vous reproduire tout en chipotant sur votre droit le plus élémentaire à contrôler votre fécondité ? »
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