Comment mieux définir les féminicides ?

par

Lucile Gautier

Surgi récemment dans le débat public français, le concept de fémi­ni­cide s’est cris­tal­li­sé autour de la question des violences conju­gales. La magis­trate Gwenola Joly-Coz, l’historien Frédéric Chauvaud et la militante de #NousToutes Maëlle Noir reviennent sur la façon dont cet outil s’est imposé en France, et sur les débats concer­nant son acception.

Vous couvrez trois domaines d’expertises dif­fé­rents mais com­plé­men­taires. Quelles sont vos défi­ni­tions res­pec­tives du féminicide ?
MAËLLE NOIR C’est un crime genré : le meurtre d’une femme en raison de son genre. L’autre élément clé, c’est le rôle du patriar­cat. Ce système de pouvoir et de domi­na­tion perpétue ce crime à travers la bana­li­sa­tion des violences sexistes et sexuelles. Le fémi­ni­cide s’inscrit dans un continuum de violences. Il est le haut de la pyramide de ces violences. Cette défi­ni­tion que nous utilisons à #NousToutes s’appuie sur le travail des premières théo­ri­sa­tions du concept par les cher­cheuses anglo-saxonnes Jill Radford et Diana Russell dans les années 1990.

GWENOLA JOLY-COZ Dans le voca­bu­laire juridique, il existe l’homicide, le parricide, l’infanticide, mais le fémi­ni­cide n’est pas nommé dans le Code pénal. Néanmoins, en tant que magis­trate, je dispose d’incriminations suf­fi­santes pour condamner un homme qui a tué une femme grâce à des outils du Code pénal qui s’appellent « les atteintes volon­taires à la vie d’autrui ». Le meurtre est puni de trente ans de réclusion cri­mi­nelle. Plusieurs cir­cons­tances aggra­vantes font encourir la per­pé­tui­té, notamment le meurtre par conjoint. Il existe depuis la loi du 27 janvier 2017 une cir­cons­tance aggra­vante pour tout crime ou délit accom­pa­gné de propos, écrits, images, portant atteinte à l’honneur ou à la consi­dé­ra­tion de la victime en raison de son sexe.

FRÉDÉRIC CHAUVAUD Avec ma collègue Lydie Bodiou, nous avons retrouvé la trace du mot fémi­ni­cide dès le XVIIe siècle, dans une pièce de Scarron. Il est utilisé de manière discrète par des jour­na­listes au XIXe et au XXe siècle, pas toujours avec le même sens. On le voit réap­pa­raître de manière impor­tante en 1976 à l’occasion du Tribunal inter­na­tio­nal des crimes contre les femmes de Bruxelles, un ras­sem­ble­ment créé pour rendre visibles les violences faites aux femmes. Le mot désigne dès lors une forme de violence contre les femmes. […]

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Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°6, de juin 2022. La Déferlante est une revue trimestrielle indépendante consacrée aux féminismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abonnement, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.

La Déferlante #6 couverture