Chaque semaine, Mme F.* marche quarante-cinq minutes, avec sa canne, de chez elle au centre de santé sexuelle (CSS) de sa commune, dans la vallée de la Drôme : un lieu d’accueil, d’information et de consultation sur les sujets liés à la vie sexuelle, à la santé et aux droits reproductifs.
Aujourd’hui, même si c’est dur de vivre seule, Mme F. retrouve confiance grâce à une écoute active et sans jugement. Elle a porté plainte contre son ex-conjoint, et « son visage s’ouvre de jour en jour », se félicite sa conseillère, qui poursuit : « Il y a peu d’espace dans les vies que nous menons pour parler du corps, de la puberté, de la ménopause, de l’avortement, de la sexualité, ou des conflits. Les questions sur la contraception conduisent souvent à libérer la parole. Parce qu’elles ont le temps nécessaire et qu’elles sont écoutées, les personnes se confient souvent pour la première fois sur l’inceste ou les violences conjugales dont elles sont victimes. » Le 30 juin prochain, si le département ne revient pas sur sa décision, le CSS que fréquente Mme F. fermera boutique, et six autres avec lui.
La majorité des centres de santé sexuelle gérés jusqu’ici par le département de la Drôme sont situés en zone rurale, dans des communes isolées. Celui de Die, 4 800 habitants – ville dont la maternité est fermée depuis 2017 – est éloigné de presque 70 kilomètres de celui de Valence. À Saint-Jean-en Royans, les employées sillonnent les villages de montagne jusqu’au plateau du Vercors. Pour les consultations en ville, il faut prévoir une journée entière, car les bus ne passent dans les villages que le matin et le soir.
La moitié des féminicides ont lieu en zone rurale
« Nous comprenons les contraintes budgétaires imposées par l’État aux départements, explique Frédérique Clausse, secrétaire générale des cinq centres gérés par le Planning familial – lequel va perdre 20 % de subventions. Mais nous aurions souhaité être associées aux arbitrages. » De son côté, la présidente du conseil départemental, Marie-Pierre Mouton (Les Républicains), avance, par voie de presse, des arguments économiques : « On est obligés, dans le contexte financier où on est, complètement asphyxiées par l’État, de rebalayer l’ensemble de nos politiques » et argue qu’il s’agit d’une simple réorganisation. Les économies réalisées devraient représenter 0,02 % du budget du département, selon les syndicats.
D’après le rapport d’information « Femmes et ruralité » de la délégation du droit des femmes au Sénat (2021), c’est pourtant précisément dans les zones rurales comme la Drôme que 50 % des féminicides ont lieu, alors que seulement 30 % des femmes – soit 11 millions – y vivent. « L’identification et la protection des victimes sont plus complexes en raison de leur isolement social et géographique, de leur insuffisante mobilité, du manque d’anonymat et de confidentialité », indique le texte.
« Les centres de santé sexuelle sont les garants des politiques publiques d’égalité pour les femmes et les personnes minorisées. »
Communiqué du Planning familial, 18 mars 2025
Une conseillère conjugale se désole : « Je ne reconnais plus le service public que j’ai connu. Sur notre territoire, il n’y a quasiment plus de gynécologues, et quand il y en a, ils et elles pratiquent des dépassements d’honoraires que beaucoup de femmes ne peuvent pas payer. » Près d’elle, la mère d’une adolescente abonde : « On a besoin de personnes comme ces conseillères conjugales. » Sa fille, dont c’est la deuxième interruption volontaire de grossesse, « s’était sentie jugée par le personnel de l’hôpital la première fois », explique ‑t-elle. « C’est bien, dans ce centre, vous faites les choses avec nous. »
Téléphones portables
Les plus jeunes risquent de pâtir grandement de ces fermetures : en l’absence de médecins et d’infirmières scolaires, ce sont les conseillères conjugales et familiales des CSS qui assurent aujourd’hui les rares séances d’éducation affective et sexuelle au sein des collèges et des lycées. Le 14 avril, lors du vote du budget et devant l’inquiétude des élus d’opposition, la vice-présidente du département évacuait le sujet d’une phrase : « Les jeunes sont plus dégourdis que vous ne le pensez, ils ont des téléphones portables ! »
Alors que l’exécutif s’est bruyamment félicité d’avoir soutenu l’inscription dans la Constitution de la liberté d’avorter, en février 2024, que pèsent la santé sexuelle et les droits reproductifs des femmes vivant en zone rurale lorsque vient l’heure des arbitrages budgétaires ? Dans un communiqué publié le 18 mars dernier, le Planning familial rappelait que, depuis leur création, en 1972, « les centres de santé sexuelle sont les garants des politiques publiques d’égalité pour les droits des femmes et des personnes minorisées ».
Dans l’espoir qu’ils puissent continuer à remplir cette mission, et malgré l’annonce d’une fermeture le 30 juin 2025, les travailleuses des CSS de la Drôme, soutenues par des élu·es, des associations, des syndicats et des personnalités du monde de la culture continuent à manifester et à organiser des réunions publiques, un peu partout dans les villages du département.
* Les bénéficiaires comme les employées des centres de santé sexuelle menacés de fermeture ont souhaité rester anonymes.