Danser : L’émancipation pas à pas

Des petites filles, joli­ment dégui­sées, che­veux domes­ti­qués, déam­bulent dans les rues en jus­tau­corps et col­lants de bal­le­rine. On les aper­çoit sur­tout les mer­cre­dis et same­dis. D’autres sont ins­crites au cours de modern jazz du club spor­tif du coin. Il est ques­tion d’être gra­cieuse et d’obéir au tem­po impo­sé par les adultes. Plus tard, lorsqu’auront lieu les boums ou les sor­ties en boîte de nuit, il leur fau­dra être polies quand on les invi­te­ra à dan­ser. Ainsi sommes-nous socia­li­sées, avec plus ou moins de succès.
Publié le 12 avril 2023
Dossier « l’é­man­ci­pa­tion pas à pas » © Lucile Gautier

Dénudées, un peu mais pas trop, sur la piste, on s’époumonera sur Beyoncé avec nos copines. Le sou­rire tou­jours accro­ché aux lèvres, car on aime ça, dan­ser, non ? Oui, enfin pas tou­jours. Quand on le décide, selon l’entourage, par­fois seule, à notre rythme, pour se vider la tête ou au contraire se rem­plir de force et de joie. La beau­té et la tech­ni­ci­té des gestes deviennent alors secon­daires. On danse pour se sen­tir ter­ri­ble­ment vivantes et moins souf­frir de ce sys­tème néo­li­bé­ral qui fait de nous des zombies.

Au cœur des luttes sociales, dan­ser devient une stra­té­gie et un outil de résis­tance. Telle est la pro­messe du col­lec­tif des Rosies, dont les cho­ré­gra­phies de rue sont une expres­sion de l’opposition à la réforme des retraites. C’est le mode d’action pri­vi­lé­giée par les fémi­nistes chi­liennes de Las Tesis, qui dansent et chantent, depuis 2019, contre les vio­lences sys­té­miques et sexuelles, ins­pi­rant artistes et militant·es à tra­vers le monde, jusqu’au col­lec­tif Dame Chevalier en France. Toutes et tous s’inscrivent dans une tra­di­tion ancienne for­gée par des groupes mino­ri­taires, esclavis·ées et colonisé·es, lut­tant grâce à l’art cho­ré­gra­phique, n’ayant sou­vent plus que ce lan­gage pour exis­ter. Ce lan­gage qui ne cesse de se trans­mettre et de se trans­for­mer, jusqu’au hip-hop ou au voguing, se nour­ris­sant de gestes sym­bo­liques, de rythmes, de souffles, de dési­rs de vivre et d’occuper l’espace. La danse fait un bien fou. Elle libère, et par­fois même, répare les corps vio­len­tés.

Alors dan­sons. Quand on n’a pas les mots, pas assez de mots,pour évi­ter d’être silen­ciées, quand la musique devient appel, réveil, pour être ensemble, pour foutre la joie.

Iris Derœux est jour­na­liste indé­pen­dante et membre du comi­té édi­to­rial de La Déferlante.

Danser : l’émancipation en mouvement

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°10 Danser, de mai 2023. La Déferlante est une revue tri­mes­trielle indé­pen­dante consa­crée aux fémi­nismes et au genre. Tous les trois mois, en librai­rie et sur abon­ne­ment, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.
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