Élu en 2017 avec la promesse de combattre les inégalités de genre et les violences sexistes et sexuelles, Emmanuel Macron va entamer son nouveau mandat avec un bilan très insuffisant sur les droits des femmes et des personnes minorisées. Pour cette dernière newsletter consacrée à l’élection présidentielle, La Déferlante s’interroge sur les errements du président réélu concernant les dossiers féministes. Quelle connaissance en a‑t-il ? Qui l’influence ? Et comment travaille son équipe sur ces sujets ?
En avril 2017, Emmanuel Macron, alors en campagne présidentielle pour la première fois, affirmait dans Vanity Fair : « Je suis un converti tardif au féminisme, mais […] je suis résolu. » Quelques mois plus tard, depuis l’Élysée, il déclarait l’égalité femmes-hommes « grande cause nationale ». Mais, à l’aube de son second mandat, c’est surtout la lenteur à mettre en place des mesures concrètes et la nomination, en 2020, au ministère de l’Intérieur, de Gérald Darmanin (alors visé par une plainte pour viol en cours d’examen) que les associations et militantes féministes retiennent de son bilan. Pour Fabienne El Khoury, co-porte-parole d’Osez le féminisme : « Il fait du féminisme-washing et veut être vu comme travaillant pour les droits des femmes, mais c’est du marketing ! »
« LE SUJET DES DROITS DES FEMMES
N’EST PAS AU COEUR DE SON ACTION
ET NE LE PASSIONNE PAS »
De fait, un rapport intitulé « Égalité femmes-hommes : grande cause, petit bilan », publié en mars 2022 par Oxfam France, Equipop et Care France, épingle « un quinquennat insuffisant au regard de l’ambition affichée ». Le rapport note que, avec à peine 0,25 % du budget de l’État alloué aux inégalités de genre en 2022, « les moyens ont été trop faibles » et questionne « la réalité de l’engagement de la France ». Interrogée à la veille de la réélection d’Emmanuel Macron, Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, déplore : « Je pense qu’il n’a pas encore compris que chausser des lunettes féministes veut dire avoir à cœur l’égalité dans toutes les mesures que l’on met en œuvre. La réforme de la retraite va impacter d’abord les femmes. Même chose pour la réforme du chômage. »
Les hommes du président
Ce qui empêche Emmanuel Macron de prendre la juste mesure des enjeux féministes, c’est
peut-être son entourage. « Emmanuel Macron est conseillé par des hommes : les réunions et les dîners à l’Élysée, c’est avec Richard Ferrand [le président de l’Assemblée nationale], Clément Léonarduzzi, son conseiller communication, François Bayrou, et Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, qui est son autre cerveau… Le sujet des droits des femmes n’est pas au cœur de son action et il ne le passionne pas », observe Astrid de Villaines, cheffe du service politique du Huffington Post et autrice de Harcelées (Plon, 2019), un livre d’enquête réunissant des témoignages de femmes ayant subi des violences sexistes et sexuelles en France.
Jusqu’à début avril, il y avait pourtant bien une personne à l’œuvre aux côtés d’Emmanuel Macron : Constance Bensussan, nommée « conseillère technique inclusion, égalité femmes-hommes et citoyenneté » en 2017, énarque, inspectrice des affaires sociales à l’Inspection générale des affaires sociales, devenue secrétaire générale de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. « C’est elle qui a porté la thématique de l’allongement du congé paternité et du rapport sur les 1 000 premiers jours de l’enfant confié à Boris Cyrulnik, décrypte Astrid de Villaines, mais je ne sais pas quel a été son rôle sur d’autres dossiers. »
« Faut arrêter le foutage de gueule »
Si l’on en croit les militantes féministes que nous avons jointes par téléphone, Constance Bensussan a rencontré les représentantes de plusieurs associations de défense des droits des femmes au cours du premier quinquennat Macron : Ghada Hatem, fondatrice et médecin-cheffe de la Maison des femmes de Saint-Denis, Anne-Cécile Mailfert ou encore Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. Mais selon leurs dires, les maigres avancées obtenues n’ont pas été à la hauteur des attentes. « Pour cette deuxième campagne, on a fait passer [à l’équipe d’Emmanuel Macron] dix propositions urgentes pour lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Il ne les a pas signées… », déplore Anne-Cécile Mailfert.
DE NOMBREUSES PERSONNES
SOLLICITENT BRIGITTE MACRON
POUR PORTER LEUR VOIX
AUPRÈS DU PRÉSIDENT
Déception partagée par le collectif Double Peine, qui alerte sur la mauvaise prise en charge des plaintes pour violences et n’a jamais été consulté. Caroline De Haas, cofondatrice du collectif féministe Nous toutes estime, quant à elle, avoir été « blacklistée » tout au long de ce premier mandat. Elle a finalement reçu, en mars 2021, une proposition de rendez-vous avec Constance Bensussan qu’elle a déclinée : « On était à un an de la présidentielle, faut arrêter le foutage de gueule ! » estime celle qui a lancé dans l’entre-deux-tours un appel au vote utile en faveur du candidat Jean-Luc Mélenchon (lire notre newsletter du 4 avril).
Contactée par La Déferlante, la conseillère en communication de Marlène Schiappa, Aurélia du Vignau affirme que l’ancienne secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a « toujours échangé directement avec le président ou avec Alexis Kohler, [et que] de nombreuses personnes échangent aussi avec lui sur ces sujets via Brigitte Macron ». Le chef de cabinet de Brigitte Macron nous confirme quelques noms parmi les personnes qui l’ont sollicitée pour porter leur voix auprès du président : l’autrice Andréa Bescond, la présidente de la Voix de l’enfant Martine Brousse, ou encore Céline Gréco, en charge du projet de dépistage des violences sur les enfants à l’hôpital Necker.
Un positionnement universaliste
Plus récemment, c’est la députée LREM Bérangère Couillard qui a travaillé sur les propositions de campagne du candidat Macron en matière d’égalité femmes-hommes et de violences sexistes et sexuelles, produisant un ensemble de 25 notes à destination de l’équipe de campagne, sans jamais, de son propre aveu, avoir échangé avec le candidat ni lui avoir parlé au téléphone. « Cela montre bien qu’elle n’est pas au cœur du réacteur et que c’est du saupoudrage qu’il veut faire », analyse Astrid de Villaines.
Au téléphone, la députée confirme l’orientation « universaliste » de la feuille de route du président nouvellement réélu, par opposition à des « approches intersectionnelles » qui « peuvent enfermer ». Une ligne également défendue par la comédienne et autrice Rachel Khan, dont l’influence ne cesse de croître dans l’entourage présidentiel. « Avec Emmanuel Macron, on a pu échanger bien en amont de la campagne, notamment pour préparer le sommet ONU Femmes de 2021 », nous a‑t-elle assuré. À l’occasion de ce sommet, le président expliquait dans un long entretien au magazine Elle ne pas se reconnaître « dans un combat qui renvoie chacun dans son identité ou son particularisme ». Une déclaration dans la droite ligne des idées développées dans le dernier essai de Rachel Khan, Racée (éditions de l’Observatoire, 2021), dans lequel elle fustige la pensée intersectionnelle et dénonce les réunions en non-mixité. Un ouvrage qui lui a également valu, selon des révélations du Monde, d’être invitée à déjeuner par Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national.
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