Pour cette troisième et dernière newsletter consacrée aux répercussions du mouvement #MeToo, nous avons interrogé Élodie Tuaillon-Hibon. Avocate au barreau de Paris, elle est spécialisée dans les affaires de violences sexuelles et défend les parties civiles dans plusieurs affaires très médiatiques : celles de Julien Bayou et de Gérald Darmanin notamment. Dans cet entretien, elle nous explique comment l’afflux d’accusations et de plaintes pour violences sexistes et sexuelles interroge de manière très concrète le fonctionnement de la justice.
Alors que la vague #MeToo percute le monde politique, les cellules d’enquête contre les violences sexistes et sexuelles dans les partis sont très critiquées, parfois qualifiées de « justice privée ». Quel est votre regard de juriste là-dessus ?
Le mouvement de privatisation de la justice existe depuis vingt ans, avec ce qu’on appelle les modes de résolution alternatifs des conflits (médiation, transaction, négociation, arbitrage), qui sont adossés à l’institution judiciaire mais se sont développés en dehors d’elle. Où est le problème ?
Quand un adhérent à un parti ne paie pas sa cotisation, ça se règle en interne. Et comme ce n’est pas une affaire qui traite de sexualité, personne ne se roule par terre en demandant que la justice soit saisie !
Il faut arrêter de faire comme si, dans notre pays, tout était traité, jugé par l’institution judiciaire et, surtout, comme si elle avait les moyens des ambitions du ministre ! Le temps d’attente pour accéder aux prud’hommes est de quatre ans ; une information judiciaire lambda, c’est cinq ans. Et pour les violences de genre, dans 70 à 80 % des cas, les victimes se prennent la porte dans la figure. Il y en a marre !
Donc, pour vous, les cellules d’enquêtes actuelles à gauche fonctionnent correctement ?
Je ne dis pas que les choses telles qu’elles existent chez Europe Écologie-Les Verts (EELV) et La France insoumise (LFI) sont satisfaisantes, loin de là. Mais je refuse de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’existence de ces cellules constitue une avancée et, non, elles ne se substituent pas à l’institution judiciaire. Dire cela est un mensonge. On ne demande pas à une cellule de dire s’il y a eu viol ou pas : ce n’est pas son rôle. Ce qu’on lui demande, c’est de permettre aux membres de l’organisation de travailler et/ou de militer en sécurité.

Selon l’Observatoire des violences faites aux femmes, 94 000 d’entre elles sont violées chaque année, en France. © Christine Garbage
Une décision de justice récente remet en cause la prescription dans l’affaire des accusations contre Patrick Poivre d’Arvor (PPDA). Elle fait écho aux revendications portées par certaines associations et victimes de rendre imprescriptibles les crimes sexuels. Quelle est votre position ?
Dans l’affaire PPDA, la défense de Florence Porcel a eu l’occasion de faire reconnaître la sérialité des faits (c’est-à-dire qu’une série de faits, dont certains étaient prescrits, constitue un seul et même acte). Cette jurisprudence n’est pas nouvelle, elle existe depuis 2005.
Je comprends que certaines personnes demandent […]
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