C’est un anniversaire particulier pour Ettore. Mardi 28 novembre 2023, jour de ses 5 ans, ses parents, Caterina Minozzi et Anna Girelli, ont posé une journée de congé. Elles sont attendues au tribunal de Padoue (Vénétie). Les deux mères comparaissent pour que Caterina, qui n’a pas porté l’enfant, ne soit pas rayée de l’acte de naissance de leur fils.
Comme elles, 66 mères comparaîtront devant ce tribunal, jusqu’au 22 décembre 2023, pour faire valoir leurs droits. Leur combat a commencé en juin dernier, lorsque le parquet de Padoue a contesté les actes de naissance de tous les enfants de couples lesbiens enregistrés par la Ville depuis 2017. Une décision qui faisait suite à une circulaire du ministère de l’Intérieur de janvier 2023, ordonnant aux mairies de ne plus inscrire le deuxième parent sur les actes de naissance des familles homoparentales. Seules les mères ayant accouché peuvent désormais être reconnues. Concrètement, pour un couple, cela signifie que celle qui n’a pas accouché devra demander l’autorisation de sa conjointe pour aller chercher son enfant à l’école, l’emmener chez le médecin ou à l’hôpital… Et pire, en cas de décès de la mère ayant porté l’enfant, celui-ci serait considéré comme orphelin. Face à cette mesure clairement hostile à leurs droits et à ceux de leurs enfants, les 33 familles concernées, appuyées par des associations, se sont mobilisées et ont déposé un recours en justice.
Fin juillet, quand Anna a reçu le courrier de convocation, elle était presque soulagée. « Cela faisait des semaines qu’on savait que ça allait arriver, je n’en pouvais plus de sursauter dès que j’entendais l’interphone », poursuit la jeune femme de 36 ans. Au-delà de la violence de la lettre, dans laquelle il est écrit « qu’au vu du jeune âge de l’enfant, une modification de son acte de naissance n’impacterait pas son identité », Anna témoigne des conséquences délétères sur sa santé. « J’ai commencé à avoir des crampes d’estomac et des coliques comme je n’en avais jamais eu dans ma vie. J’ai fait plein d’examens pour qu’on m’explique que c’était simplement lié au stress. »
On se bat surtout pour celles et ceux qui viendront après nous
Malgré les maux de ventre et les insomnies qui envahissent leur quotidien, Anna et Caterina sont déterminées à se battre. Tout comme la mère de Caterina, Anna Daminato, qui n’envisage pas un seul instant être destituée de ses droits de grand-mère. « Je vais les chercher à la crèche, on joue ensemble, je les aime plus que tout », raconte cette Italienne de 70 ans. Elle déplore que toute cette mascarade judiciaire soit faite au détriment de l’intérêt des enfants. « Ce que je trouve le plus cruel et inhumain dans cette histoire, c’est que ce sont les enfants les premières victimes de ces procédures, c’est à eux qu’on va retirer un parent, pour rien. »
En Italie, la procréation médicalement assistée (PMA) est autorisée uniquement aux couples hétérosexuels mariés depuis au moins trois ans. Comme la PMA est interdite aux couples lesbiens sur le territoire national, aucune loi ne garantit la reconnaissance de ces enfants. Jusqu’ici, les mairies acceptaient souvent d’inscrire le nom de la deuxième mère sur les actes de naissance, notamment à Padoue. Mais le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni s’est emparé de ce vide juridique pour limiter les droits des personnes LGBT+. « Malheureusement, le gouvernement actuel veut seulement punir. C’est un gouvernement répressif », poursuit Anna Daminato, qui fait allusion au projet de loi proposé par Fratelli d’Italia (le parti au pouvoir), et adopté cet été au Parlement, de faire de la gestation pour autrui un délit universel. « On est toujours en retard en Italie, mais je ne pensais pas qu’un jour on reviendrait en arrière », conclut-elle.
L’Italie très en retard sur les droits des personnes LGBT+
Une inquiétude que partage Chiara Cuccheri, présidente de l’Arcigay, une association de défense des droits LGBT+ de Padoue : « En plus des attaques contre notre communauté, ils empêchent tout progrès en matière de droits, alors que l’Italie est extrêmement en retard sur ces questions. » Aucune loi ne condamne l’homophobie, les couples de même sexe n’ont pas le droit de se marier (l’union civile est autorisée depuis 2016) ni d’adopter, et n’ont pas accès à la PMA. « Les diatribes de Meloni sur la famille naturelle “un papa et une maman”, le “lobby LGBT” qu’il faudrait combattre… Cela légitime la haine et la discrimination envers les personnes LGBT+ », poursuit Chiara Cuccheri. Selon le classement annuel de la situation des droits humains des personnes LGBT+ en Europe réalisé par l’Ilga-Europe, la péninsule est 34ᵉ sur 49 pays. Pire, si l’on prend la catégorie « crime et discours de haine », l’Italie est en dernière position, ex æquo avec la Pologne et la Russie.
Anna Girelli est résignée : « On a les épaules larges, on encaissera les coups… On se bat surtout pour celles et ceux qui viendront après nous. Mais honnêtement, si j’avais dix ans de moins et que je réfléchissais à fonder une famille, je ne le ferai pas en Italie. »
Les audiences devant le tribunal de Padoue se tiendront chaque mardi. Les décisions seront rendues en janvier.
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