En RDC, le viol comme arme de guerre

Les crimes sexuels, des entraves à l’avortement, des exactions contre des fémi­nistes : trois acti­vistes congo­laises analysent les violences de genre à l’œuvre dans le conflit en République démo­cra­tique du Congo.
Publié le 02/05/2025

Modifié le 07/05/2025

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Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°18 Éduquer, parue en mai 2025. Consultez le sommaire.

Le 8 mars 2025, l’Organisation des Nations unies (ONU) a relayé un chiffre glaçant sur l’ampleur des violences sexuelles en cours en République démo­cra­tique du Congo (RDC) : durant la première quinzaine de février 2025, une femme a été violée « toutes les quatre minutes » dans l’est du pays. 

Un chiffre largement sous-estimé, précisent les Nations unies. Depuis la prise de la ville de Goma, à la fin de janvier, par le Mouvement du 23 Mars (M23), un groupe armé rebelle soutenu par le Rwanda, une nouvelle vague de violences ensan­glante la région du Kivu. Les femmes en sont des victimes par­ti­cu­lières, comme lors de pré­cé­dentes phases du conflit, qui dure depuis plus de trente ans. Avec une ampleur aujourd’hui inédite.

« Il nous est rapporté plus de 4 000 cas de femmes ayant subi des violences sexuelles. Certaines sont soumises à un esclavage moderne, contraintes à avoir des relations sexuelles par peur des repré­sailles », détaille Emmanuella Zandi, direc­trice générale adjointe du Fonarev RDC, un organisme gou­ver­ne­men­tal congolais venant en aide aux victimes de violences sexuelles liées aux conflits. En plus d’instaurer la peur et d’asseoir le pouvoir des agres­seurs, l’utilisation de ces violences « constitue une arme de guerre pour faire passer un message au gou­ver­ne­ment, poursuit l’activiste. Et quand on touche aux femmes, on détruit les tissus sociaux, parce que les femmes consti­tuent le socle des com­mu­nau­tés. » « Agresser les femmes envoie le message qu’on a vaincu les hommes de leur com­mu­nau­té, puisqu’ils n’ont pas été en mesure de les protéger », complète Anny Modi, fon­da­trice d’Afia Mama, une ONG féministe congolaise.

Un « cercle vicieux de violences »

Les femmes victimes de violences sexuelles doivent souvent affronter le stigmate, la honte, l’isolement. « Elles se retrouvent dans un cercle vicieux de violences, décrit Anny Modi. Leur famille les rejette, leur mariage est détruit et elles perdent leurs moyens de sub­sis­tance. Elles risquent alors de nouveau d’être victimes. » Certaines ne dénoncent donc pas les violences vécues.

Les asso­cia­tions déplorent aussi un accès au suivi de grossesse ou à l’avortement gravement entravé par le conflit. « Les violences de genre ne se limitent pas aux agres­sions ; les droits à la santé sexuelle et repro­duc­tive sont aussi violentés. Sans couloir huma­ni­taire, on condamne des femmes à mener à terme des gros­sesses non désirées, en plus de tout ce qu’elles subissent », explique Anny Modi. Ces enfants à naître, issus de viols « ennemis », peuvent ne pas être acceptés par la com­mu­nau­té, voire par leur mère.

Une régression des droits des femmes sur le long terme

Les millions de femmes et d’enfants déplacé·es sont par­ti­cu­liè­re­ment vul­né­rables à toutes ces violences. Des femmes, déjà victimes au cours du conflit, ont dû repartir en exode lors du déman­tè­le­ment des camps dans la région de Goma, et s’exposer à nouveau aux violences.

Anny Modi relève plusieurs caté­go­ries de femmes qui sont spé­ci­fi­que­ment agressées. Celles « issues de minorités sexuelles », qui ont « subi des viols liés au simple fait de ne pas être hété­ro­sexuelles ». Des femmes de mili­taires ont aussi été attaquées. Enfin, des mili­tantes pour les droits des femmes sont direc­te­ment menacées pour leurs activités. « Après la prise de Goma, nous avons reçu des images d’une activiste, violée devant sa famille. Ces images sont envoyées à d’autres fémi­nistes, pour les faire taire si elles veulent dénoncer ce qu’il se passe. »

Les femmes détenues sont également visées : lors de la prise de Goma, au moins 165 pri­son­nières ont été violées, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. La majorité d’entre elles ont ensuite péri dans un incendie survenu à la prison de Munzenze. L’ONU alerte sur les « milliers de détenus, y compris des criminels violents et des chefs de groupes armés » qui s’en sont évadés, et la menace que ces hommes repré­sen­te­raient pour les victimes et les témoins ayant joué un rôle dans leur condam­na­tion. Selon Emmanuella Zandi, la pro­tec­tion de ces personnes est aussi un enjeu dans les affaires de violences sexuelles. Son orga­ni­sa­tion a mis en place un mécanisme d’alerte spécifique.

Les orga­ni­sa­tions inter­ro­gées se mobi­lisent comme elles peuvent. Elles logent des victimes, orga­nisent des séances de « détrau­ma­ti­sa­tion » ou prennent en charge des orphelin·es. Mais elles se heurtent à plusieurs obstacles. L’absence de sécurité, d’abord, la pénurie des res­sources (finan­cières, médicales…), sans compter les hôpitaux détruits. Il manque des médi­ca­ments pour les femmes conta­mi­nées par le VIH… Anny Modi regrette que la prise en charge des femmes n’ait pas été une priorité dans la première phase de la mobi­li­sa­tion humanitaire.

Une activiste congo­laise, qui a souhaité rester anonyme, pointe la régres­sion que ce conflit repré­sente pour les droits des femmes : « On se demande quel est l’avenir des femmes et des enfants en RDC. Grâce aux fémi­nistes, la situation com­men­çait à s’améliorer, mais là, elle est devenue bien plus grave qu’avant. Des femmes voient leur business réduit à néant, des filles aban­donnent le chemin de l’école, devenu dangereux. »

Les dommages liés à la guerre auront aussi des consé­quences après le conflit. Les asso­cia­tions d’aides aux victimes, tout comme le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, s’inquiètent de la des­truc­tion – par les coupables eux-mêmes, qui contrôlent certaines zones du pays – des preuves qui pour­raient être utilisées en justice par des victimes d’exactions. Les ONG attendent une accalmie pour pouvoir inter­ve­nir, et espèrent pour cela un soutien plus franc de la part de la com­mu­nau­té internationale.


Les enfants également ciblé·es

Autre catégorie de la popu­la­tion par­ti­cu­liè­re­ment touchée par le conflit en République démo­cra­tique du Congo : les enfants. Le 11 avril 2025, l’Unicef indiquait qu’ils consti­tuaient près de la moitié des 10 000 cas de violences sexuelles recensée aux mois de janvier et février. James Elder, porte-parole de l’organisation, souligne la dimension sys­té­mique de ces violences : « C’est une arme de guerre et une tactique délibérée de terreur. » Un constat d’autant plus glaçant que la crise des finan­ce­ments de l’aide huma­ni­taire empêche de fournir des soins essen­tiels aux survivant·es de violences sexuelles.

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Maya Elboudrari

Journaliste indépendante, Maya Elboudrari s’intéresse à l’actualité internationale et aux questions sociales – féminismes et migrations en particulier. Engagée à l’Association des journalistes antiracistes et racisé·es (Ajar), elle assure également des séances d’éducation aux médias. Voir tous ses articles

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En tant que journaliste vidéo en alternance à La Déferlante, elle a pour mission de traduire en images et en sons les propositions éditoriales et de développer de nouveaux formats pour les réseaux sociaux. Voir tous ses articles

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