« Le combat féministe fédère un réseau puissant contre l’extrême droite »

Vendredi 24 mai, le mouvement féministe Ma voix, mon choix réunis­sait une soixan­taine de personnes à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) à l’occasion du lancement européen d’une ini­tia­tive citoyenne pour l’accès à l’avortement. La mani­fes­ta­tion tenait aussi lieu de contre-meeting à celui du Rassemblement national (RN) pour les élections euro­péennes qui débutait au même moment à quelques centaines de mètres. Dans cette news­let­ter, Mathilde Viot, coor­ga­ni­sa­trice de la mani­fes­ta­tion, revient sur l’urgence, pour les fémi­nistes, de se posi­tion­ner comme force d’opposition à l’extrême droite

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Publié le 31 mai 2024
Mathilde Panot à Hénin-Beaumont, le 24 mai 2024. Crédit photo : Emmanuelle Garnot.
Mathilde Viot à Hénin-Beaumont, le 24 mai 2024. Crédit photo : Emmanuelle Garnot.

Juriste et cofon­da­trice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique, Mathilde Viot est l’une des coor­di­na­trices – avec l’élue et militante féministe Alice Coffin – de la campagne Ma Voix, mon choix. Cette ini­tia­tive citoyenne née en Slovénie veut porter jusqu’au Parlement européen une dis­cus­sion sur la prise en charge des 20 millions d’Européen·nes encore privé·es d’accès à l’avortement. Pour cela, les mili­tantes fémi­nistes doivent ras­sem­bler 1 million de signa­tures à l’échelle de l’Union.

Hénin-Beaumont – où Steeve Briois (RN) a été réélu dès le premier tour en 2020 – était, vendredi dernier, l’une des étapes de leur campagne pour l’accès à l’interruption volon­taire de grossesse (IVG).

 

Quel lien faites-vous entre le combat pour l’accès à l’avortement et la lutte contre l’extrême droite ? 

Dans les discours de l’extrême droite, la question de l’avortement est très présente. Et quand elle accède au pouvoir, on observe, partout, des remises en cause de ce droit : dans l’Italie de Giorgia Meloni [première ministre, pré­si­dente du parti Fratelli d’Italia], les anti-choix peuvent désormais accéder aux cliniques qui pra­tiquent l’avortement. La pré­si­dence de Donald Trump s’est soldée, de son côté, par l’abrogation de l’arrêt his­to­rique Roe vs Wade, qui garan­tis­sait le droit à l’IVG à l’échelle fédérale.

Il y a urgence à agir, notamment dans le contexte des élections euro­péennes. Les droits des femmes n’ont quasiment pas été évoqués par les partis poli­tiques pendant la campagne : il est fon­da­men­tal que les poli­tiques se réveillent sur ces enjeux-là. Notre ini­tia­tive citoyenne destinée à ce que l’Union euro­péenne prenne en charge les IVG des personnes qui ne peuvent béné­fi­cier de ce droit dans leurs pays, ne sera débattue au Parlement européen que si l’on obtient un million de signa­tures. Par ailleurs, pour qu’une dis­cus­sion ait réel­le­ment lieu entre les député·es européen·nes, il est néces­saire que l’extrême droite ait le moins de poids possible au Parlement.

Est-ce le rôle des orga­ni­sa­tions fémi­nistes de prendre parti contre l’extrême droite ?

La première obsession de l’extrême droite, c’est de s’attaquer aux femmes et aux personnes mino­ri­sées, donc il est important que la lutte vienne des premières visées. Mais si ce sont ces personnes qui orga­nisent la contre-offensive, c’est aussi parce que les autres ne le font pas, ou le font mollement. Les for­ma­tions poli­tiques appellent à faire barrage, et c’est tout. Or elles ont de l’argent, des locaux, et pour­raient avoir des moyens de résister. Mais aucune n’agit réellement.

Au contre-meeting que nous avons organisé à Hénin-Beaumont, les porte-parole de la CGT, de La France insoumise (LFI), d’Europe Écologie les Verts (EELV), de Place publique et du Parti socia­liste étaient présent·es. On a réussi à ras­sem­bler des gens que les partis ont échoué à mettre ensemble car ils sont trop divisés entre eux. Il est donc néces­saire de mettre sur pied une force indé­pen­dante qui puisse les ras­sem­bler autour des enjeux féministes.

Comment se manifeste l’influence de l’extrême droite sur le terrain ?

Dans le cadre de la campagne Mon droit, mon choix, nous nous sommes déplacées dans des villes fran­çaises dirigées par l’extrême droite. Le but de cette tournée, c’est de montrer aux personnes présentes dans ces villes qu’on ne les oublie pas. À Fréjus, les gérants de salle étaient effrayés à l’idée de nous recevoir, et on a dû louer un endroit en péri­phé­rie de la ville pour se réunir. La veille de notre venue à Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, le maire RN a fait fermer le lieu qui nous accueillait pour « des raisons de sécurité ». Les habitant·es nous ont parlé de l’écrasement culturel et politique qu’elles et ils subissent dans ces villes : les locaux asso­cia­tifs qui ferment, les com­pa­gnies de théâtre qui jettent l’éponge… Ce sont des témoi­gnages très frappants.

On sent de plus en plus une montée des tendances réac­tion­naires et racistes partout. C’est aussi pour cela qu’on a voulu consti­tuer un réseau massif d’associations partout en Europe : ça nous permet d’être en lien, de fédérer. On a constaté que l’extrême droite est très réactive et solidaire à travers l’Europe : en 2012–2013, au moment des mobi­li­sa­tions contre le mariage pour toustes, par exemple, on retrou­vait des panneaux de La Manif pour tous jusqu’en Bosnie ! Ils ont une capacité à s’organiser impor­tante : il faut donc qu’on arrive à consti­tuer une riposte de même ampleur.

La lutte pour le droit à l’avortement se place à l’intersection des luttes fémi­nistes, sociales, mais aussi anti­ra­cistes. Comment intégrez-vous toutes ces dimen­sions à votre campagne ? 

Nous essayons de prendre conscience de nos lacunes et de sortir du récit centré uni­que­ment sur les femmes blanches qui veulent recourir à l’avortement. Nous avons animé des webi­naires sur les biais racistes dans les pratiques de l’avortement et mis en lumière les récits de femmes racisées qui peuvent être mal prises en charge par le milieu médical.

Nous avons également consacré des confé­rences en ligne aux pro­blé­ma­tiques des personnes trans qui n’ont pas forcément accès à l’avortement, ou à celles des personnes handies qui peuvent subir des sté­ri­li­sa­tions forcées. On s’intéresse aussi aux personnes qui vivent en zone rurale et subissent la dété­rio­ra­tion actuelle du système de santé. Nous voulons profiter de cette campagne citoyenne pour parler de ces questions de manière inter­sec­tion­nelle. Et pour rappeler qu’en France, nous avons encore des problèmes d’accès à l’avortement : avec la fermeture des mater­ni­tés, les personnes doivent se déplacer de plus en plus loin pour recourir à l’IVG. Les plannings familiaux sont, dans le même temps, de moins en moins financés. En ce sens, la consti­tu­tion­na­li­sa­tion du « droit » à l’avortement est une avancée, mais elle ne suffit pas dans le contexte français.

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DESSINER : ESQUISSE D’UNE ÉMANCIPATION

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°14 Dessiner, paru en mai 2024. Consultez le sommaire.

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