Juriste et cofondatrice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique, Mathilde Viot est l’une des coordinatrices – avec l’élue et militante féministe Alice Coffin – de la campagne Ma Voix, mon choix. Cette initiative citoyenne née en Slovénie veut porter jusqu’au Parlement européen une discussion sur la prise en charge des 20 millions d’Européen·nes encore privé·es d’accès à l’avortement. Pour cela, les militantes féministes doivent rassembler 1 million de signatures à l’échelle de l’Union.
Hénin-Beaumont – où Steeve Briois (RN) a été réélu dès le premier tour en 2020 – était, vendredi dernier, l’une des étapes de leur campagne pour l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
Quel lien faites-vous entre le combat pour l’accès à l’avortement et la lutte contre l’extrême droite ?
Dans les discours de l’extrême droite, la question de l’avortement est très présente. Et quand elle accède au pouvoir, on observe, partout, des remises en cause de ce droit : dans l’Italie de Giorgia Meloni [première ministre, présidente du parti Fratelli d’Italia], les anti-choix peuvent désormais accéder aux cliniques qui pratiquent l’avortement. La présidence de Donald Trump s’est soldée, de son côté, par l’abrogation de l’arrêt historique Roe vs Wade, qui garantissait le droit à l’IVG à l’échelle fédérale.
Il y a urgence à agir, notamment dans le contexte des élections européennes. Les droits des femmes n’ont quasiment pas été évoqués par les partis politiques pendant la campagne : il est fondamental que les politiques se réveillent sur ces enjeux-là. Notre initiative citoyenne destinée à ce que l’Union européenne prenne en charge les IVG des personnes qui ne peuvent bénéficier de ce droit dans leurs pays, ne sera débattue au Parlement européen que si l’on obtient un million de signatures. Par ailleurs, pour qu’une discussion ait réellement lieu entre les député·es européen·nes, il est nécessaire que l’extrême droite ait le moins de poids possible au Parlement.
Est-ce le rôle des organisations féministes de prendre parti contre l’extrême droite ?
La première obsession de l’extrême droite, c’est de s’attaquer aux femmes et aux personnes minorisées, donc il est important que la lutte vienne des premières visées. Mais si ce sont ces personnes qui organisent la contre-offensive, c’est aussi parce que les autres ne le font pas, ou le font mollement. Les formations politiques appellent à faire barrage, et c’est tout. Or elles ont de l’argent, des locaux, et pourraient avoir des moyens de résister. Mais aucune n’agit réellement.
Au contre-meeting que nous avons organisé à Hénin-Beaumont, les porte-parole de la CGT, de La France insoumise (LFI), d’Europe Écologie les Verts (EELV), de Place publique et du Parti socialiste étaient présent·es. On a réussi à rassembler des gens que les partis ont échoué à mettre ensemble car ils sont trop divisés entre eux. Il est donc nécessaire de mettre sur pied une force indépendante qui puisse les rassembler autour des enjeux féministes.
Comment se manifeste l’influence de l’extrême droite sur le terrain ?
Dans le cadre de la campagne Mon droit, mon choix, nous nous sommes déplacées dans des villes françaises dirigées par l’extrême droite. Le but de cette tournée, c’est de montrer aux personnes présentes dans ces villes qu’on ne les oublie pas. À Fréjus, les gérants de salle étaient effrayés à l’idée de nous recevoir, et on a dû louer un endroit en périphérie de la ville pour se réunir. La veille de notre venue à Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, le maire RN a fait fermer le lieu qui nous accueillait pour « des raisons de sécurité ». Les habitant·es nous ont parlé de l’écrasement culturel et politique qu’elles et ils subissent dans ces villes : les locaux associatifs qui ferment, les compagnies de théâtre qui jettent l’éponge… Ce sont des témoignages très frappants.
On sent de plus en plus une montée des tendances réactionnaires et racistes partout. C’est aussi pour cela qu’on a voulu constituer un réseau massif d’associations partout en Europe : ça nous permet d’être en lien, de fédérer. On a constaté que l’extrême droite est très réactive et solidaire à travers l’Europe : en 2012–2013, au moment des mobilisations contre le mariage pour toustes, par exemple, on retrouvait des panneaux de La Manif pour tous jusqu’en Bosnie ! Ils ont une capacité à s’organiser importante : il faut donc qu’on arrive à constituer une riposte de même ampleur.
La lutte pour le droit à l’avortement se place à l’intersection des luttes féministes, sociales, mais aussi antiracistes. Comment intégrez-vous toutes ces dimensions à votre campagne ?
Nous essayons de prendre conscience de nos lacunes et de sortir du récit centré uniquement sur les femmes blanches qui veulent recourir à l’avortement. Nous avons animé des webinaires sur les biais racistes dans les pratiques de l’avortement et mis en lumière les récits de femmes racisées qui peuvent être mal prises en charge par le milieu médical.
Nous avons également consacré des conférences en ligne aux problématiques des personnes trans qui n’ont pas forcément accès à l’avortement, ou à celles des personnes handies qui peuvent subir des stérilisations forcées. On s’intéresse aussi aux personnes qui vivent en zone rurale et subissent la détérioration actuelle du système de santé. Nous voulons profiter de cette campagne citoyenne pour parler de ces questions de manière intersectionnelle. Et pour rappeler qu’en France, nous avons encore des problèmes d’accès à l’avortement : avec la fermeture des maternités, les personnes doivent se déplacer de plus en plus loin pour recourir à l’IVG. Les plannings familiaux sont, dans le même temps, de moins en moins financés. En ce sens, la constitutionnalisation du « droit » à l’avortement est une avancée, mais elle ne suffit pas dans le contexte français.
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