Le Planning familial face aux « antichoix »

Des col­lec­tifs de plus en plus struc­tu­rés com­battent l’IVG, l’éducation à la sexualité et les droits des personnes LGBT+. Il y a cinq ans, le Planning familial a mis en place un groupe de lutte contre ces mou­ve­ments antichoix. Entretien avec Véronique Sehier, ancienne copré­si­dente du Planning familial, qui a participé à la création de ce groupe et Dominique Mauvillain, qui en est la référente actuelle.
Publié le 26 juillet 2024
Dominique Mauvillain, référente du groupe de lutte contre les mouvements antichoix, et Véronique Séhier, ancienne coprésidente du Planning familial.
Dominique Mauvillain, référente du groupe de lutte contre les mou­ve­ments antichoix, et Véronique Séhier, ancienne copré­si­dente du Planning familial. Crédit : Sophie Palmier pour La Déferlante.

Le Planning familial est coutumier des attaques lancées par les mou­ve­ments anti-IVG. Avez-vous constaté une évolution de cette rhé­to­rique réactionnaire ?

VÉRONIQUE SÉHIER La Manif pour tous, au début des années 2010, a marqué un tournant : on a vu les mou­ve­ments conser­va­teurs s’organiser en réseaux. Les groupes opposés à la loi dite Taubira du mariage pour tous et toutes ont, par exemple, développé une com­mu­ni­ca­tion commune avec le collectif anti-IVG Les Survivants, mul­ti­pliant les attaques contre l’éducation à la sexualité, accusée de pro­mou­voir la « théorie du genre » [lire le glossaire]. Aujourd’hui, les mou­ve­ments qu’on appelle « antichoix » s’opposent aux droits sexuels et repro­duc­tifs, en par­ti­cu­lier à l’avortement, mais aussi à l’éducation à la sexualité à l’école et aux droits des personnes LGBT+. Ils militent pour la res­tau­ra­tion d’un supposé « ordre naturel » des choses : les femmes et les hommes doivent se marier entre eux, la sexualité doit avoir un but pro­créa­tif… Au Planning, nous défendons le droit de chacun·e à vivre une sexualité libre et épanouie, quelles que soient son orien­ta­tion sexuelle ou son identité de genre.

Réunion de travail du groupe de lutte contre les « antichoix » au Planning familial, le 17 juin 2024, à Paris.

Réunion de travail du groupe de lutte contre les « antichoix » au Planning familial, le 17 juin 2024, à Paris. Crédit : Sophie Palmier pour La Déferlante.

Dans quel contexte le Planning en est-il venu à monter un groupe de lutte contre ces collectifs ?

VÉRONIQUE SÉHIER Au sein du Planning, on était plusieurs à voir que, contrai­re­ment à une idée reçue, il ne s’agissait pas de quelques petits cathos vieillis­sants, mais d’une relève organisée, avec des moyens finan­ciers impor­tants : en matière de com­mu­ni­ca­tion ou de levée de fonds, on ne leur arrivait pas à la cheville. Organiser la riposte, ça demandait des moyens, du temps, de l’organisation. Finalement, en 2019, au terme du congrès du Planning (1), la lutte contre les antichoix a été adoptée comme orien­ta­tion politique du mouvement. Le premier objectif, c’était de déve­lop­per au sein de notre structure la récolte d’informations et la sen­si­bi­li­sa­tion autour de ce sujet.

Quels sont les liens entre mou­ve­ments antichoix et extrême droite ?

VÉRONIQUE SÉHIER Les mou­ve­ments anti-IVG ont toujours eu des connexions très fortes avec l’extrême droite : par exemple dans les années 2000, le GUD (2) faisait le service d’ordre des personnes qui orga­ni­saient des prières devant le Planning familial. L’un des axes forts à venir dans le travail global que nous menons au Planning sera d’affiner notre connais­sance des rami­fi­ca­tions existant entre ces col­lec­tifs antichoix et l’extrême droite. Ce n’est pas un hasard si le Planning est justement souvent attaqué dans des villes où les réseaux de l’extrême droite sont bien implantés, comme à Bordeaux, Lyon, Strasbourg ou Lille.


« Les mou­ve­ments anti-IVG ont toujours eu des connexions très fortes avec l’extrême droite. »
Véronique Séhier


DOMINIQUE MAUVILLAIN Pour moi, toute personne d’extrême droite est antichoix, mais tout antichoix n’est pas néces­sai­re­ment d’extrême droite. Certes, une partie des député·es du Rassemblement national (RN) ont voté pour la consti­tu­tion­na­li­sa­tion de la liberté des femmes à recourir à l’IVG, mais c’était le fruit d’une stratégie élec­to­ra­liste, puisque la majorité de la popu­la­tion était pour. Ils et elles ont pu se dire que c’était une mesure sym­bo­lique, qui n’empêcherait pas le parti, s’il arrive au pouvoir, de dérem­bour­ser l’avortement ou de réduire le délai légal d’accès par exemple.

VÉRONIQUE SÉHIER Ça montre comment, en dix ans, les fronts de lutte ont évolué. Les mou­ve­ments antichoix savent que ce n’est plus la peine de s’attaquer autant à l’IVG, parce que sa consti­tu­tion­na­li­sa­tion faisait consensus en France. Par contre, ils y vont très fort contre les droits des personnes trans, au nom de l’opposition à la « théorie du genre ». Leurs stra­té­gies aussi ont changé. Aujour­d’hui, les col­lec­tifs antichoix sont très forts sur les réseaux sociaux. Ils font de l’entrisme dans des orga­ni­sa­tions ins­ti­tu­tion­nelles, par exemple dans celles liées à l’ONU. Ils se sont emparés des leviers de la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive : en 2013, la fédé­ra­tion anti­avor­te­ment One of Us a déposé une ini­tia­tive citoyenne euro­péenne (ICE) pour interdire le versement de fonds européens à des cliniques pra­ti­quant l’avortement3. Ils s’attaquent aux orga­ni­sa­tions comme le Planning ou les asso­cia­tions LGBT+ en mul­ti­pliant les fake news, par exemple sur les mineur·es trans.

Lire aussi : En arrière toutes

Quelles stra­té­gies adoptez-vous contre ces fausses informations ?

VÉRONIQUE SÉHIER Là où il y a de la dés­in­for­ma­tion sur les droits des femmes ou des personnes LGBT+, là où des personnes partagent des thèses pseudo­scientifiques, on essaie d’apporter un contre-discours factuel. L’année dernière, la psy­cha­na­lyste et essayiste Caroline Eliacheff est venue parler de son livre La Fabrique de l’enfant trans­genre (4) à Lille. Sur la question des enfants trans, elle se permet de dire des choses qui dépassent com­plè­te­ment ses com­pé­tences. Donc on a décidé de faire des confé­rences ouvertes au grand public, en invitant par exemple des soignant·es qui accom­pagnent réel­le­ment des enfants trans et savent de quoi elles et ils parlent. L’idée, c’est de décons­truire toutes les fausses idées que des livres comme celui-là véhi­culent. C’est un enjeu qui dépasse les cercles conser­va­teurs. Récemment, alors que j’intervenais dans une col­lec­ti­vi­té ter­ri­to­riale à la demande de personnes a priori de gauche et prochoix, une élue m’a expliqué que l’avortement ne pourrait jamais être un soin comme les autres, parce que « quand même, c’est trau­ma­ti­sant ». Cette musique de fond per­sis­tante sur le caractère trau­ma­ti­sant d’une IVG empêche d’en faire un droit à part entière.

L’un des ouvrages dis­po­nibles au centre de docu­men­ta­tion du Planning familial, une étude dont Véronique Sehier est l’autrice. Crédit : Sophie Palmier pour La Déferlante.

Comment répondez-vous aux attaques physiques ?

DOMINIQUE MAUVILLAIN On a édité un document qui explique comment réagir et se protéger en cas d’attaque. On met aussi en contact nos antennes dépar­te­men­tales avec des asso­cia­tions locales qui proposent des for­ma­tions que nous, en interne, n’avons pas encore les moyens d’assurer, sur l’autodéfense ou sur la sécu­ri­sa­tion d’une mani­fes­ta­tion ou d’un stand. Enfin, on propose une infor­ma­tion juridique : on explique aux membres du Planning familial comment trouver un avocat et déposer plainte, quelle est la juris­pru­dence, etc. Même si les plaintes n’aboutissent pas, on veut docu­men­ter les attaques, pouvoir com­mu­ni­quer à la justice leur nombre et laisser une trace offi­cielle aux pouvoirs publics.

VÉRONIQUE SÉHIER À Lille, le local du Planning a été attaqué cette année par des acti­vistes anti­avor­te­ment le jour de la cérémonie de scel­le­ment de la Constitution (4) le 8 mars. Ils ont tagué sur la vitrine « IVG = meurtre, assassins ». Dans ce cas-là, la tentation, c’est de prendre des photos et de les diffuser. Mais les mou­ve­ments anti-IVG sont très contents quand on fait ça : ce qu’ils veulent, c’est de la visi­bi­li­té. Et donc, c’est important de demander aux asso­cia­tions dépar­te­men­tales ou aux médias de ne pas publier ces photos, pour ne pas entrer dans leur jeu.

Comment envisagez-vous l’évolution de votre groupe de lutte ?

DOMINIQUE MAUVILLAIN Notre travail et nos priorités évoluent en fonction de la situation sur le terrain. Nous venons d’échapper au pire en France. Nous devons renforcer ce travail d’information et inten­si­fier la mobi­li­sa­tion au sein du Planning, avec les groupes de travail sur les questions LGBTQIA+ et l’IVG, et bien au-delà, pour faire front à ces attaques per­ma­nentes contre les droits fondamentaux. •


(1) Le Planning familial fédère environ 80 asso­cia­tions dépar­te­men­tales recevant du public. Le congrès qui les réunit tous les trois ans  permet de voter les orien­ta­tions politiques.
(2) Particulièrement actif dans les années 1970, le Groupe union défense (GUD) est une orga­ni­sa­tion étudiante d’extrême droite qui pratique l’action violente.
(3) Coécrit avec Céline Masson, La Fabrique de l’enfant trans­genre (L’Observatoire, 2022), sous couvert de pro­tec­tion des enfants, remet en cause le droit des enfants et adolescent·es à changer de genre.
(4) Journée sym­bo­lique actant la modi­fi­ca­tion de la Constitution et l’inscription de la liberté garantie des femmes de recourir à l’IVG.

Extrême droite : résister en féministes

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°15 Spécial Extrême droite : résister en fémi­nistes, parue en août 2024. Consultez le sommaire.

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