Le Planning familial est coutumier des attaques lancées par les mouvements anti-IVG. Avez-vous constaté une évolution de cette rhétorique réactionnaire ?
VÉRONIQUE SÉHIER La Manif pour tous, au début des années 2010, a marqué un tournant : on a vu les mouvements conservateurs s’organiser en réseaux. Les groupes opposés à la loi dite Taubira du mariage pour tous et toutes ont, par exemple, développé une communication commune avec le collectif anti-IVG Les Survivants, multipliant les attaques contre l’éducation à la sexualité, accusée de promouvoir la « théorie du genre » [lire le glossaire]. Aujourd’hui, les mouvements qu’on appelle « antichoix » s’opposent aux droits sexuels et reproductifs, en particulier à l’avortement, mais aussi à l’éducation à la sexualité à l’école et aux droits des personnes LGBT+. Ils militent pour la restauration d’un supposé « ordre naturel » des choses : les femmes et les hommes doivent se marier entre eux, la sexualité doit avoir un but procréatif… Au Planning, nous défendons le droit de chacun·e à vivre une sexualité libre et épanouie, quelles que soient son orientation sexuelle ou son identité de genre.
Réunion de travail du groupe de lutte contre les « antichoix » au Planning familial, le 17 juin 2024, à Paris. Crédit : Sophie Palmier pour La Déferlante.
Dans quel contexte le Planning en est-il venu à monter un groupe de lutte contre ces collectifs ?
VÉRONIQUE SÉHIER Au sein du Planning, on était plusieurs à voir que, contrairement à une idée reçue, il ne s’agissait pas de quelques petits cathos vieillissants, mais d’une relève organisée, avec des moyens financiers importants : en matière de communication ou de levée de fonds, on ne leur arrivait pas à la cheville. Organiser la riposte, ça demandait des moyens, du temps, de l’organisation. Finalement, en 2019, au terme du congrès du Planning (1), la lutte contre les antichoix a été adoptée comme orientation politique du mouvement. Le premier objectif, c’était de développer au sein de notre structure la récolte d’informations et la sensibilisation autour de ce sujet.
Quels sont les liens entre mouvements antichoix et extrême droite ?
VÉRONIQUE SÉHIER Les mouvements anti-IVG ont toujours eu des connexions très fortes avec l’extrême droite : par exemple dans les années 2000, le GUD (2) faisait le service d’ordre des personnes qui organisaient des prières devant le Planning familial. L’un des axes forts à venir dans le travail global que nous menons au Planning sera d’affiner notre connaissance des ramifications existant entre ces collectifs antichoix et l’extrême droite. Ce n’est pas un hasard si le Planning est justement souvent attaqué dans des villes où les réseaux de l’extrême droite sont bien implantés, comme à Bordeaux, Lyon, Strasbourg ou Lille.
« Les mouvements anti-IVG ont toujours eu des connexions très fortes avec l’extrême droite. »
Véronique Séhier
DOMINIQUE MAUVILLAIN Pour moi, toute personne d’extrême droite est antichoix, mais tout antichoix n’est pas nécessairement d’extrême droite. Certes, une partie des député·es du Rassemblement national (RN) ont voté pour la constitutionnalisation de la liberté des femmes à recourir à l’IVG, mais c’était le fruit d’une stratégie électoraliste, puisque la majorité de la population était pour. Ils et elles ont pu se dire que c’était une mesure symbolique, qui n’empêcherait pas le parti, s’il arrive au pouvoir, de dérembourser l’avortement ou de réduire le délai légal d’accès par exemple.
VÉRONIQUE SÉHIER Ça montre comment, en dix ans, les fronts de lutte ont évolué. Les mouvements antichoix savent que ce n’est plus la peine de s’attaquer autant à l’IVG, parce que sa constitutionnalisation faisait consensus en France. Par contre, ils y vont très fort contre les droits des personnes trans, au nom de l’opposition à la « théorie du genre ». Leurs stratégies aussi ont changé. Aujourd’hui, les collectifs antichoix sont très forts sur les réseaux sociaux. Ils font de l’entrisme dans des organisations institutionnelles, par exemple dans celles liées à l’ONU. Ils se sont emparés des leviers de la démocratie participative : en 2013, la fédération antiavortement One of Us a déposé une initiative citoyenne européenne (ICE) pour interdire le versement de fonds européens à des cliniques pratiquant l’avortement3. Ils s’attaquent aux organisations comme le Planning ou les associations LGBT+ en multipliant les fake news, par exemple sur les mineur·es trans.
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Quelles stratégies adoptez-vous contre ces fausses informations ?
VÉRONIQUE SÉHIER Là où il y a de la désinformation sur les droits des femmes ou des personnes LGBT+, là où des personnes partagent des thèses pseudoscientifiques, on essaie d’apporter un contre-discours factuel. L’année dernière, la psychanalyste et essayiste Caroline Eliacheff est venue parler de son livre La Fabrique de l’enfant transgenre (4) à Lille. Sur la question des enfants trans, elle se permet de dire des choses qui dépassent complètement ses compétences. Donc on a décidé de faire des conférences ouvertes au grand public, en invitant par exemple des soignant·es qui accompagnent réellement des enfants trans et savent de quoi elles et ils parlent. L’idée, c’est de déconstruire toutes les fausses idées que des livres comme celui-là véhiculent. C’est un enjeu qui dépasse les cercles conservateurs. Récemment, alors que j’intervenais dans une collectivité territoriale à la demande de personnes a priori de gauche et prochoix, une élue m’a expliqué que l’avortement ne pourrait jamais être un soin comme les autres, parce que « quand même, c’est traumatisant ». Cette musique de fond persistante sur le caractère traumatisant d’une IVG empêche d’en faire un droit à part entière.
L’un des ouvrages disponibles au centre de documentation du Planning familial, une étude dont Véronique Sehier est l’autrice. Crédit : Sophie Palmier pour La Déferlante.
Comment répondez-vous aux attaques physiques ?
DOMINIQUE MAUVILLAIN On a édité un document qui explique comment réagir et se protéger en cas d’attaque. On met aussi en contact nos antennes départementales avec des associations locales qui proposent des formations que nous, en interne, n’avons pas encore les moyens d’assurer, sur l’autodéfense ou sur la sécurisation d’une manifestation ou d’un stand. Enfin, on propose une information juridique : on explique aux membres du Planning familial comment trouver un avocat et déposer plainte, quelle est la jurisprudence, etc. Même si les plaintes n’aboutissent pas, on veut documenter les attaques, pouvoir communiquer à la justice leur nombre et laisser une trace officielle aux pouvoirs publics.
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VÉRONIQUE SÉHIER À Lille, le local du Planning a été attaqué cette année par des activistes antiavortement le jour de la cérémonie de scellement de la Constitution (4) le 8 mars. Ils ont tagué sur la vitrine « IVG = meurtre, assassins ». Dans ce cas-là, la tentation, c’est de prendre des photos et de les diffuser. Mais les mouvements anti-IVG sont très contents quand on fait ça : ce qu’ils veulent, c’est de la visibilité. Et donc, c’est important de demander aux associations départementales ou aux médias de ne pas publier ces photos, pour ne pas entrer dans leur jeu.
Comment envisagez-vous l’évolution de votre groupe de lutte ?
DOMINIQUE MAUVILLAIN Notre travail et nos priorités évoluent en fonction de la situation sur le terrain. Nous venons d’échapper au pire en France. Nous devons renforcer ce travail d’information et intensifier la mobilisation au sein du Planning, avec les groupes de travail sur les questions LGBTQIA+ et l’IVG, et bien au-delà, pour faire front à ces attaques permanentes contre les droits fondamentaux. •
(1) Le Planning familial fédère environ 80 associations départementales recevant du public. Le congrès qui les réunit tous les trois ans permet de voter les orientations politiques.
(2) Particulièrement actif dans les années 1970, le Groupe union défense (GUD) est une organisation étudiante d’extrême droite qui pratique l’action violente.
(3) Coécrit avec Céline Masson, La Fabrique de l’enfant transgenre (L’Observatoire, 2022), sous couvert de protection des enfants, remet en cause le droit des enfants et adolescent·es à changer de genre.
(4) Journée symbolique actant la modification de la Constitution et l’inscription de la liberté garantie des femmes de recourir à l’IVG.