Les mots de l’extrême droite

Ce glossaire réca­pi­tule plusieurs notions et concepts, notamment uni­ver­si­taires, qui per­mettent de décrire les phé­no­mènes d’extrême droite. Il comporte également quelques expres­sions de l’arsenal lexical déployé ou détourné par ses représentant·es pour dis­qua­li­fier le camp progressiste. 
Publié le 29/07/2024
Dico facho édition 2024

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°15 Résister, parue en août 2024. Consultez le sommaire.

« Cancel culture »

L’expression, qui peut se traduire par « culture de l’annulation » ou « culture de l’effacement » vient, à l’origine, de la droite états-unienne. Étiquette fourre-tout (comme la « théorie du genre » ou le « wokisme »), elle vise à dis­cré­di­ter tout un réper­toire d’actions que les minorités – femmes, personnes racisées, LGBT+, handies… – mettent en place pour contrer, dans l’espace public, la mini­mi­sa­tion des oppres­sions qu’elles subissent.

Il peut s’agir de débou­lon­nage de statues de figures liées à l’esclavagisme ou à la colo­ni­sa­tion, du boycott ou de la dénon­cia­tion d’œuvres, d’institutions ou de per­son­na­li­tés jugées racistes, trans­phobes, gros­so­phobes, vali­distes, sexistes, etc. Depuis #MeToo, l’expression « cancel culture » est utilisée à tout bout de champ pour dénoncer une prétendue tyrannie du « poli­ti­que­ment correct » et une présumée ostra­ci­sa­tion d’individus – prin­ci­pa­le­ment masculins, blancs, hété­ro­sexuels et cisgenres – érigés en victimes.

« Grand remplacement »

Popularisée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus dans les années 2010, puis largement relayée par Éric Zemmour et d’autres figures réac­tion­naires, cette théorie conspi­ra­tion­niste prétend qu’un rem­pla­ce­ment des Européens dits « de souche » par des popu­la­tions immigrées non euro­péennes (prin­ci­pa­le­ment du Maghreb et d’Afrique sub­sa­ha­rienne) mena­ce­rait les supposées valeurs tra­di­tion­nelles de l’Occident. Obsession des iden­ti­taires, de l’extrême droite, voire de la droite, cette panique morale – sans fondement sta­tis­tique – vise désormais d’autres com­mu­nau­tés, comme les personnes trans ou homo­sexuelles dont le nombre explo­se­rait et repré­sen­te­rait une menace civilisationnelle.

Fémonationalisme

La notion de fémo­na­tio­na­lisme – définie par la cher­cheuse féministe et marxiste Sara R. Farris en 2012 – désigne l’instrumentalisation par l’extrême droite des reven­di­ca­tions fémi­nistes à des fins racistes, xéno­phobes et isla­mo­phobes. La droite radicale se reven­dique ainsi du féminisme pour cibler dans ses discours les hommes racisés, prin­ci­pa­le­ment musulmans, présentés comme dangereux pour les femmes occidentales.

Homonationalisme

Conceptualisé par l’universitaire états-unienne queer Jasbir K. Puar en 2007, l’homonationalisme s’applique cette fois à l’instrumentalisation par l’extrême droite des reven­di­ca­tions LGBT+ à des fins racistes, xéno­phobes et isla­mo­phobes. La méthode : présenter les pays occi­den­taux comme pro­gres­sistes, éga­li­taires et LGBT friendly, en oppo­si­tion à ceux du Sud global, notamment d’Afrique et du Moyen-Orient. La dénon­cia­tion de l’homophobie ou de la trans­pho­bie, supposées être l’apanage des étranger·es, permet d’alimenter une rhé­to­rique anti-immigration.

Masculinisme

Réactionnaire, misogyne et anti­fé­mi­niste, ce mouvement vise à défendre les « droits des hommes ». Né en Amérique du Nord avant d’émerger en Europe, il déplore une « crise de la mas­cu­li­ni­té » provoquée par la pro­gres­sion des droits des femmes. Incel (invo­lun­ta­ry celibate, ou « abstinent sexuel invo­lon­taire » en français), MGTOW (Men going their own way, « hommes suivant leur propre voie » et reven­di­quant leur haine des femmes), militants pour les « droits des pères »… Cette galaxie hété­ro­clite se répand avec violence sur les réseaux sociaux – et ailleurs. Déjà, en décembre 1989, un homme tuait 14 femmes à l’université Polytechnique de Montréal, après avoir déclaré qu’il haïssait le féminisme.

Panique morale

Décrite dès 1972 par le socio­logue sud-africain Stanley Cohen dans son essai Folks Devils and Moral Panics (non traduit), la panique morale désigne des épisodes d’inquiétude col­lec­tive, sans réelle base factuelle, durant lesquels « un incident, une personne ou un groupe de personnes sont brus­que­ment définis comme une menace pour la société, ses valeurs et ses intérêts ». Le mécanisme est simple, selon Cohen : des « entre­pre­neurs de morale » – c’est-à-dire des personnes ou des col­lec­tifs qui veulent modifier les normes du groupe social en se servant des médias comme caisse de résonance – pointent du doigt des com­por­te­ments ou des individus qu’ils éti­quettent comme déviants et dangereux. Loin d’encourager la réflexion, la panique morale déclenche peur, colère, répulsion. L’extrême droite y a par exemple régu­liè­re­ment recours pour attaquer les personnes trans ou musulmanes.

Radical right gender gap

Cette expres­sion, qui n’a pas d’équivalent en français, a été employée pour la première fois par la poli­to­logue afro-états-unienne Terri E. Givens en 2004. Elle désigne le dif­fé­ren­tiel de vote pour les partis de la droite radicale en fonction du genre, et plus pré­ci­sé­ment le phénomène selon lequel les femmes sont tra­di­tion­nel­le­ment moins enclines que les hommes à voter pour l’extrême droite. Cet écart, observé dans de nom­breuses études, tend néanmoins à se réduire, notamment en France, où la dif­fé­rence entre le vote masculin et féminin pour le Rassemblement national est quasi nulle depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti en 2011.

TERF

L’acronyme pour « trans-exclusionary radical feminists » désigne des personnes se reven­di­quant fémi­nistes tout en excluant les femmes trans de leurs luttes, au prétexte que celles-ci ne pré­sentent pas les mêmes carac­tères sexués que les femmes cisgenres. Pour détourner les accu­sa­tions de trans­pho­bie et d’essentialisme qui leur sont faites, certaines personnes terfs préfèrent se qualifier de « gender critical » (critique du genre). En France, certaines d’entre elles reven­diquent l’appellation « femellistes ».

« Théorie du genre »

« Théorie du gender », « théorie du genre sexuel » ou « idéologie du genre » : les appel­la­tions abondent pour désigner cette prétendue « théorie », qui ne cor­res­pond pourtant à aucun concept scien­ti­fique. L’expression, adoubée par le Vatican, est utilisée par les tenants du camp réac­tion­naire pour dénigrer les études de genre (« gender studies »), domaine de recherche plu­ri­dis­ci­pli­naire ayant établi une dis­tinc­tion entre sexe bio­lo­gique et genre, et donc mis en évidence la construc­tion sociale, his­to­rique et cultu­relle de ce dernier. Dénoncée par La Manif pour tous, la supposée « théorie du genre » sert de prétexte pour s’en prendre tour à tour à l’éducation sexuelle à l’école, la tran­si­den­ti­té, et plus géné­ra­le­ment à toute remise en question de la dif­fé­rence entre les sexes et du modèle tra­di­tion­nel de la famille hétéronormée.

« Wokisme »

Nouvelle marotte des réac­tion­naires de tous bords, l’« idéologie woke » est, en quelque sorte, l’héritière du « poli­ti­que­ment correct ». Passé simple du verbe « to wake » (se réveiller), le mot « woke » désigne, durant la ségré­ga­tion, le fait d’être conscient·e des dis­cri­mi­na­tions visant les Noir·es aux États-Unis. En 1965, Martin Luther King exhorte ainsi des étudiant·es de l’université Oberlin, dans l’Ohio, à « rester éveillés » (« stay woke »). En 2008, la chanteuse états-unienne Erykah Badu popu­la­rise l’expression dans Master Teacher. Repris en slogan lors du mouvement Black Lives Matter, en 2013, le terme qualifie désormais les personnes sensibles aux injus­tices sys­té­miques touchant toutes les minorités : femmes, personnes han­di­ca­pées, racisées, trans ou LGBT+. Détourné de son sens initial, le qua­li­fi­ca­tif « woke » et ses dérivés francisés « wokisme » et « wokiste » sont aujourd’hui prin­ci­pa­le­ment utilisés par la droite et l’extrême droite comme mot repous­soir pour dis­cré­di­ter toute reven­di­ca­tion pro­gres­siste et occulter la réalité des discriminations.

Rozenn Le Carboulec

Journaliste indépendante, elle est passée par L’Obs et la rédaction en chef de Têtu. Créatrice du podcast Quouïr pour Nouvelles écoutes, elle travaille aujourd’hui principalement avec Mediapart. Elle est l’autrice de Les Humilié·es. Dix ans après le mariage pour tous : l’heure du bilan (Équateurs, mai 2023). Voir tous ses articles

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