Masculinisme et biologie : le grand détournement

Beaucoup d’in­fluen­ceurs anti­fé­mi­nistes et conser­va­teurs diffusent sur les réseaux sociaux des opinions racistes ou sexistes en s’ap­puyant sur de pré­ten­dues théories scien­ti­fiques. Une enquête de Pauline Ferrari. 
Publié le 26 juillet 2024
Lucile Gautier pour La Déferlante
Illustration de Lucile Gautier pour La Déferlante

« Un vrai homme doit prendre soin de son corps, parce que tout passe par le corps, tout est une question d’hormones », indique Killian Sensei, casquette vissée sur la tête et muscles saillants, à ses 189 000 abonné·es sur YouTube.

Parmi les vidéos les plus popu­laires sur la chaîne de celui qui se décrit comme « moti­va­teur masculin », nom­breuses sont celles qui proposent des solutions pour booster son taux de tes­to­sté­rone. Si elle est sécrétée en grande quantité, la tes­to­sté­rone permet selon lui de renforcer les muscles, d’augmenter la libido, voire de favoriser les com­por­te­ments agressifs – approuvés par les mas­cu­li­nistes. De nombreux influen­ceurs vantent ce genre de supposées vertus miracles ; certains affirment même arrêter d’éjaculer et, donc, de se masturber – la rétention séminale ayant pré­ten­du­ment un effet sur leur testostérone.

Comme l’explique l’anthropologue Mélanie Gourarier, spé­cia­liste des questions de genre et autrice de Alpha Mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes (Seuil, 2017), les mas­cu­li­nistes tentent de prouver que les hormones dif­fé­ren­cient les hommes et les femmes : « Cela s’inscrit dans une généa­lo­gie de la recherche de ce qui fait le genre, sur lequel vient s’adosser la pensée dif­fé­ren­tia­liste. Ils vont faire des analyses de sang, se mesurer, etc. Ils cherchent dans l’observation et l’analyse de leur propre corps à éprouver une certaine vérité sur ce qui constitue la mas­cu­li­ni­té. » Pourtant, la tes­to­sté­rone est présente aussi chez les femmes, et son action est beaucoup plus complexe que ce que les mas­cu­li­nistes pré­tendent, comme le précisent les scientifiques.

Ainsi la neu­ro­bio­lo­giste Catherine Vidal insiste-t-elle sur la plas­ti­ci­té du cerveau et la capacité de l’organisme à s’adapter à des influences exté­rieures, pointant le rôle des construc­tions sociales et du milieu culturel pour expliquer les com­por­te­ments, davantage que des taux hormonaux. Sur une vidéo, l’influenceuse iden­ti­taire et anti­fé­mi­niste Thaïs d’Escufon affirme de son côté que « plus une femme a multiplié les expé­riences, moins elle produit d’ocytocine », hormone qui ren­for­ce­rait la fidélité dans un couple. Son argu­men­taire a été réfuté sur France Info par des spé­cia­listes, qui dénoncent une approche faite d’amalgames et d’idées pré­con­çues ne cor­res­pon­dant pas à la réalité scien­ti­fique. Sa vidéo a néanmoins récolté plus de 26 000 likes sur TikTok.

Captures d’écran de la chaîne YouTube de Killian Sensei, 189 000 abonné·es. Ses vidéos les plus populaires proposent des solutions pour booster son taux de testostérone. Les masculinistes tentent de prouver que les hormones différencient les hommes et les femmes, explique l’anthropologue Mélanie Gourarier.

Captures d’écran de la chaîne YouTube de Killian Sensei, 189 000 abonné·es. Ses vidéos les plus popu­laires proposent des solutions pour booster son taux de tes­to­sté­rone. Les mas­cu­li­nistes tentent de prouver que les hormones dif­fé­ren­cient les hommes et les femmes, explique l’anthropologue Mélanie Gourarier.

 

Conspirationnisme et pseudoscience

Sur les réseaux sociaux, des milliers de contenus issus des sphères anti­fé­mi­nistes et réac­tion­naires pré­tendent démontrer, chiffres ou études à l’appui, les dif­fé­rences bio­lo­giques et neu­ro­nales entre hommes et femmes, ces dernières étant par exemple trop émotives ou vénales à cause de certaines hormones ou carac­té­ris­tiques phy­sio­lo­giques. Ainsi, les inéga­li­tés ne seraient pas sociales, mais sim­ple­ment bio­lo­giques. En 2023, une étude de l’École d’anthropologie et de conser­va­tion de l’université du Kent montrait comment les membres des com­mu­nau­tés mas­cu­li­nistes détournent les études scien­ti­fiques pour valider leurs croyances à propos des femmes.

L’un des coauteurs, le chercheur Louis Bachaud, qui réalise sa thèse entre le Royaume-Uni et la France sur l’usage des sciences de la vie dans les discours mas­cu­li­nistes en ligne, explique que l’histoire de la biologie a toujours été corrélée à des biais sexistes et racistes. Il observe d’ailleurs, depuis les années 2010, une récu­pé­ra­tion de théories scien­ti­fiques par les com­mu­nau­tés anti­fé­mi­nistes et d’extrême droite : celles-ci se radi­ca­lisent et créent des groupes hybrides, « avec des che­vau­che­ments de thèmes, des discours plus durs, et des mèmes qui circulent entre les com­mu­nau­tés », explicite-t-il.

Parmi ces thèmes : un déclin de l’Occident blanc et hété­ro­sexuel, doublé d’un anti­sé­mi­tisme et d’un racisme isla­mo­phobe, et la dénon­cia­tion d’un lobby féministe accusé de vouloir dévi­ri­li­ser les hommes. Le tout basé sur des théories conspi­ra­tion­nistes et pseudo­scientifiques : « L’extrême droite s’est toujours servie d’un vernis scien­ti­fique pour prétendre tenir un discours de vérité », rappelle Mélanie Gourarier. Ce qui change peut-être, avec Internet, c’est la rapidité de pro­pa­ga­tion de ces messages.

« Pour légitimer et justifier un discours sur la hié­rar­chie des genres, on récupère la nature et l’observation de celle-ci », poursuit Mélanie Gourarier. Ainsi, les com­mu­nau­tés anti­fé­mi­nistes n’hésitent pas à utiliser la science, puisant dans la biologie ou la zoologie, pour forger leurs arguments. « Les coachs en séduction veulent com­mer­cia­li­ser leurs services, alors ils se concentrent sur les pré­fé­rences sexuelles, et mettent en avant les choses qui peuvent être changées, comme la confiance en soi. Les Incels (1), qui pensent être condamnés par leur génétique, mettent en avant des recherches sur les désa­van­tages d’une petite taille, de la neuro-atypie, des carac­tères immuables », observe Louis Bachaud. Si leur discours réac­tion­naire recourt à des jus­ti­fi­ca­tions pré­sen­tées comme scien­ti­fiques, les mas­cu­li­nistes sont souvent défiants vis-à-vis des savoirs perçus comme officiels ou faisant consensus. « On retrouve des personnes qui s’affirment comme auto­di­dactes et qui font reposer la valeur de leur savoir sur le fait qu’elles l’ont acquis de façon “autonome”, en dehors des ins­ti­tu­tions scien­ti­fiques, voire contre », ajoute Mélanie Gourarier.

 


« Autre concept récupéré par les com­mu­nau­tés viri­listes : celui du « mâle alpha », qui dési­gne­rait le chef de meute chez les loups. »


 

Les com­mu­nau­tés mas­cu­li­nistes ne cessent de se comparer aux espèces animales. Ils citent par exemple souvent « la loi de Briffault », du nom d’un anthro­po­logue et écrivain franco-­britannique (2), affirmant que « c’est la femelle, et non le mâle, qui détermine les condi­tions d’existence d’une famille animale. Si la femelle ne peut obtenir aucun bénéfice d’une asso­cia­tion avec le mâle, alors il n’y a pas d’association. » Un principe qui jus­ti­fie­rait le concept d’hypergamie féminine, postulant que toutes les femmes vou­draient s’unir avec des hommes aux res­sources finan­cières et sociales plus élevées qu’elles. « Cette “loi”, tirée d’un vieux livre prônant la domi­na­tion masculine, n’a aucune existence dans le reste de la lit­té­ra­ture scien­ti­fique », souligne Odile Fillod, cher­cheuse indé­pen­dante qui analyse la construc­tion des discours bio­lo­giques autour du genre. « Utiliser cette citation est d’autant plus ridicule que Briffault parle ici de ce qu’il appelle la famille animale par oppo­si­tion à la famille humaine : selon lui, si chez les animaux ce sont les femmes qui déter­minent les condi­tions de la famille, chez les humains, ce sont les mâles qui dominent », ajoute-t-elle.

Autre concept récupéré par les com­mu­nau­tés viri­listes : celui du « mâle alpha », qui dési­gne­rait le chef de meute chez les loups, et domi­ne­rait les autres par un accès prio­ri­taire à la repro­duc­tion. Problème : ce concept du zoo­lo­giste allemand Rudolf Schenkel a été développé en 1947 à partir de l’observation de loups en captivité. Depuis, de nombreux zoo­lo­gistes ont démontré qu’il ne cor­res­pon­dait abso­lu­ment pas au com­por­te­ment des meutes en milieu naturel.

 

Darwin a bon dos

« Depuis le milieu du xixe siècle, les théories de Darwin sur la sélection naturelle et sexuelle ont été utilisées pour justifier tout et n’importe quoi », rappelle Louis Bachaud. C’est encore le cas aujourd’hui. Or, comme le précise Odile Fillod, « la théorie dar­wi­nienne de la sélection sexuelle explique juste pourquoi certains traits géné­tiques ont été sélec­tion­nés au cours de l’évolution. La recherche scien­ti­fique n’a pas davantage produit de données montrant que les hommes seraient natu­rel­le­ment pré­dis­po­sés à choisir les femmes en fonction de tel ou tel trait que de données prouvant l’existence de pré­dis­po­si­tions féminines à choisir les hommes ayant tel ou tel trait physique ou autre. »

Cela n’empêche pas le youtubeur anti­fé­mi­niste Valek, presque 400 000 abonné·es, d’indiquer dans ses contenus que l’amitié homme-femme serait impos­sible parce que « les hommes en tant que pré­da­teurs choi­sissent souvent leurs amies en fonction de leur attrac­ti­vi­té physique ». Une vidéo qui compte près de 500 000 vues, mais qui ne comporte aucune source scien­ti­fique, et pour cause : il ne s’agit pas tant de se comparer à la nature que de vouloir la faire cor­res­pondre à une vision idéo­lo­gique de la société. « Ils consi­dèrent que la nature est aujourd’hui viciée, et qu’il faut la trans­for­mer par un retour vers une nature plus “authen­tique” », pointe Mélanie Gourarier (3).

 


« Les inéga­li­tés de genre s’expliqueraient par le fait que les femmes seraient des êtres natu­rel­le­ment infé­rieurs, notamment du point de vue de l’intelligence. »


 

Construit en glanant et détour­nant des résultats mis en lumière par la biologie com­por­te­men­tale, le prétendu « retour à la nature » promu par les mas­cu­li­nistes est en réalité la vali­da­tion d’un modèle de société conser­va­teur : schéma familial reposant sur des rôles genrés, rejet de l’immigration, et anti­fé­mi­nisme. On observe aussi un recours à la psy­cho­lo­gie évo­lu­tion­niste, courant contro­ver­sé qui postule que nos pensées et com­por­te­ments sont le résultat de l’évolution, et donc de la sélection naturelle et sexuelle théorisée par Darwin, quitte à sim­pli­fier ou même trahir sa pensée. « C’est une dis­ci­pline qui parle beaucoup de pré­fé­rence sexuelle. Cela attire les mas­cu­li­nistes parce que c’est une dis­ci­pline critiquée par les fémi­nistes, mais aussi parce que ça pose la question de la nature profonde des hommes et des femmes, qui va par­fai­te­ment avec leur idéologie », résume le chercheur Louis Bachaud. Pourtant la psy­cho­lo­gie évo­lu­tion­niste reste de l’ordre des pré­dic­tions hypo­thé­tiques de l’évolution sur les com­por­te­ments des individus, tient-il à rappeler. « Les gens s’approprient la recherche scien­ti­fique pour donner du sens au réel. Mais il n’y a jamais d’études empi­riques ou d’expériences : ce prisme darwinien, on peut l’appliquer à tout », ajoute-t-il.

Les com­mu­nau­tés mas­cu­li­nistes inter­prètent les théories scien­ti­fiques de façon à pouvoir gommer toute res­pon­sa­bi­li­té sociale et toute oppres­sion sys­té­mique. « L’importance des construc­tions sociales est largement sur­es­ti­mée si on veut expliquer les dif­fé­rences entre les hommes et les femmes. Elles sont prin­ci­pa­le­ment dues à la biologie (génétique, hormones, etc.) et [à] l’environnement non social (politique, économie, climat, maladies infec­tieuses, etc.) », pouvait-on ainsi lire en 2020 sur le site MGTOW-france.fr, issu du mouvement Men Going Their Own Way (MGTOW), un groupe mas­cu­li­niste ras­sem­blant des hommes qui ne désirent plus rela­tion­ner avec des femmes. Dans ces espaces poli­tiques, les inéga­li­tés de genre sont expli­quées par le fait que les femmes seraient des êtres natu­rel­le­ment infé­rieurs, notamment du point de vue de l’intelligence. Cette vision des femmes comme moins céré­brales et moins ration­nelles s’appuie notamment sur les travaux du psy­cho­logue bri­tan­nique Richard Lynn (4), très apprécié non seulement dans les sphères mas­cu­li­nistes, mais aussi dans les cercles d’extrême droite.

Peggy Sastre, l’évoféminisme au service des inégalités de genre

Les courants mas­cu­li­nistes ne sont pas les seuls à utiliser la science pour justifier les inéga­li­tés. Docteure en phi­lo­so­phie et pas­sion­née de Darwin, Peggy Sastre est invitée régu­liè­re­ment dans les médias conser­va­teurs tels que Le Figaro pour critiquer le féminisme – tout en se reven­di­quant elle-même de ce courant de pensée. Elle fut la coré­dac­trice de la tribune faisant valoir la « liberté d’importuner » aux côtés de Catherine Deneuve, en plein mouvement #MeToo.

Peggy Sastre se définit comme « évo­fé­mi­niste », « c’est-à-dire un féminisme qui prend comme base, comme matière, le paradigme darwinien et évo­lu­tion­naire », s’appuie sur la psy­cho­lo­gie évo­lu­tion­niste, assure que la domi­na­tion masculine n’existe pas, et s’acharne souvent sur les « néo-féministes » et les « wokistes », qui semblent l’obséder. Dans les colonnes du journal Le Point, auquel elle collabore régu­liè­re­ment, elle affirme ainsi que, « aux États-Unis, la chasse au patriar­cat vient de s’inviter chez des anthro­po­logues idéo­logues, faisant une victime : la science ». Mais elle-même n’hésite pas à sélec­tion­ner les études sus­cep­tibles de conforter ses croyances. Dans un de ses ouvrages, paru en 2018, Comment l’amour empoi­sonne les femmes, elle affirmait ainsi que les mili­tantes fémi­nistes seraient « plus “mas­cu­li­ni­sées” que la moyenne des femmes, c’est-à-dire qu’elles ont été exposées à davantage de tes­to­sté­rone lorsqu’elles étaient dans l’utérus de leur mère » – la preuve par l’annulaire qui, dans ce cas, serait plus grand que l’index chez les futures rebelles. Une théorie qu’elle reconnaît elle-même comme peu fiable, mais qu’elle n’hésite pas à relayer pour appuyer ses propos sur la dif­fé­rence des sexes. La science est appa­rem­ment victime, ici, de celle qui pré­ten­dait la sauver.

Racisme à la carte

Lynn est également auteur d’une « carte mondiale des QI », supposée montrer une dif­fé­rence de niveau intel­lec­tuel selon les pays, et qui tourne depuis plusieurs années dans les réseaux racistes. « La com­pa­rai­son entre pays de scores moyens à des tests de QI a peu de sens dès lors que leurs cultures diffèrent : soit le test est mieux adapté à l’un qu’à l’autre, soit des tests dif­fé­rents ont été utilisés. De plus, des facteurs envi­ron­ne­men­taux en moyenne plus favo­rables dans les pays occi­den­taux influent posi­ti­ve­ment sur les scores à ces tests, et rien ne permet a contrario d’affirmer que des dif­fé­rences géné­tiques jouent ici un rôle. Cette carte ne montre donc pas que le QI bais­se­rait dans un pays occi­den­tal par l’incorporation à son pool génétique de variants plus fréquents ailleurs », analyse Odile Fillod. Mais le mal est fait : des influen­ceurs mas­cu­li­nistes et d’extrême droite ne manquent pas de citer cette carte en référence, comme Julien Rochedy, directeur du Front national de la jeunesse entre 2012 et 2014, et animateur d’une chaîne YouTube comptant 166 000 abonné·es.

Les théories pseu­dos­cien­ti­fiques visant à établir des dif­fé­ren­cia­tions bio­lo­giques entre les individus, dans un but raciste ou sexiste, voyagent sur la Toile, de tweets en groupes Facebook ou en fils de dis­cus­sion sur Telegram. À mesure que les com­mu­nau­tés réac­tion­naires se mélangent et se rejoignent autour de certaines théories conspi­ra­tion­nistes, elles ne restent pas confinées au Web occi­den­tal. « On retrouve des discours mas­cu­li­nistes en Afrique du Nord, en Amérique du Sud, en Inde… On les retrouve dans les sociétés qui s’ouvrent à la mon­dia­li­sa­tion, et où il y a une restruc­tu­ra­tion, car la place des femmes dans la société change », remarque Louis Bachaud, qui rappelle que les discours mas­cu­li­nistes, en se basant sur une supposée crise de la mas­cu­li­ni­té, prennent de multiples formes. Ces théories bio­lo­gi­santes touchent même certaines sphères se reven­di­quant comme fémi­nistes, à l’image des mili­tantes anti-trans Marguerite Stern et Dora Moutot, qui se défi­nissent comme « femel­listes », et qui affirment qu’être une femme, c’est être une « femelle humaine », « ancrée dans la réalité bio­lo­gique de son corps ». Un discours essen­tia­li­sant, à rebrousse-poil de la célèbre citation de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. »

Les com­mu­nau­tés mas­cu­li­nistes et d’extrême droite s’adossent à des théories scien­ti­fiques qu’elles ins­tru­men­ta­lisent, selon Mélanie Gourarier. « Ils sont méfiants à l’égard des discours scien­ti­fiques, mais vont en même temps reprendre des données décon­tex­tua­li­sées des recherches. Le risque, c’est un grand mélange et une mécom­pré­hen­sion des résultats », souligne-t-elle. Or, comme le montrent les témoi­gnages d’anciens mas­cu­li­nistes, les arguments scien­ti­fiques ont un grand pouvoir de convic­tion : ils donnent de la légi­ti­mi­té à un ressenti. « Ce serait facile de dire qu’ils n’ont rien compris, ou que c’est de la mauvaise science. Mais le fait est que tout savoir scien­ti­fique, surtout quand il est des­crip­tif, risque toujours d’être réap­pro­prié de travers », affirme Louis Bachaud. C’est ainsi que des savoirs venus de plusieurs dis­ci­plines servent d’argumentaire pour défendre une certaine vision du monde, et deviennent des armes per­met­tant de mener des batailles idéo­lo­giques. Des armes qui, ensuite, peuvent même tirer des balles réelles : fin mai 2024, près de Bordeaux, la police a inter­pel­lé un jeune homme de 26 ans qui avait reven­di­qué sur Facebook sa fas­ci­na­tion pour Elliot Rodger, mas­cu­li­niste auteur d’une tuerie de masse aux États-Unis en 2014. Célibataire « condamné à l’Incel dream depuis six ans », selon ses propres mots, Axel G., pos­ses­seur d’une arme, aurait expliqué, en garde à vue, avoir envisagé un attentat. •

Cette enquête a été éditée par Élise Thiébaut.


(1) Les Incels (pour « invo­lun­ta­ry celibates », abs­ti­nents sexuels invo­lon­taires) sont une com­mu­nau­té de jeunes hommes qui se plaignent d’un manque d’accès aux relations affec­tives et sexuelles avec les femmes, qu’ils rendent res­pon­sables de cette exclusion.

(2) Dans The Mothers: A Study of the Origins of Sentiments and Institutions, publié en 1927, Robert Stephen Briffault (1876–1948) fait l’hypothèse, dans une prose teintée de sexisme et de racisme, que les sociétés pré­his­to­riques étaient des matriar­cats, et que l’avènement de la civi­li­sa­tion passe par celle du patriarcat.

(3) Sur ce sujet, lire « Écologie : les pensées réac­tion­naires en embuscade », de Christelle Gilabert (page 128).

(4) Titulaire d’un doctorat en psy­cho­lo­gie à Cambridge, Richard Lynn (1930–2023) se décrivait lui-même comme un « raciste scien­ti­fique ». L’université d’Ulster lui a retiré en 2018 son titre de pro­fes­seur émérite.

Résister en féministes

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°15 Résister, parue en août 2024. Consultez le sommaire.

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