En septembre 2020, en pleine polémique sur le « crop top », l’hebdomadaire Marianne commandait un sondage pour connaître l’avis des Français·es sur ce que devait être une « tenue correcte » pour les jeunes filles à l’école. 55 % des personnes interrogées se disaient alors opposées au port de tee-shirts dévoilant le ventre, tandis que 66 % se prononçaient contre « le port de hauts sans soutien-gorge au travers duquel la pointe des tétons est visible ». La minijupe leur semblait plus acceptable, avec néanmoins 49 % des sondé·es se positionnant pour son interdiction.
Au-delà de ces réponses affligeantes, c’est d’abord le fait même de consulter l’opinion sur la manière dont les jeunes filles devraient se vêtir qui interroge. Sans toutefois étonner : « L’historienne que je suis, déclarait Christine Bard au Monde en cette même rentrée 2020, observe la récurrence des controverses à propos du vêtement féminin […] Trop courte, la minijupe fait problème, trop longue aussi, car elle serait devenue un signe religieux ostentatoire. »
C’est ainsi que, trois ans après ce sondage, à la rentrée 2023, le gouvernement d’Élisabeth Borne – sur proposition de Gabriel Attal alors ministre de l’Éducation nationale – interdisait le port de l’abaya à l’école, presque vingt ans après la loi sur le port des signes religieux qui visait déjà tout particulièrement les jeunes filles musulmanes.
La question de l’habillement se situe à l’intersection des oppressions sexistes, racistes, validistes, classistes, mais aussi économiques et écologiques. Car si le vêtement est, pour les groupes minorisés, un motif de stigmatisation, ses modèles de fabrication nous interrogent également sur notre rapport déséquilibré aux pays du Sud global – Chine, Bangladesh et Turquie en tête des exportateurs de prêt-à-porter en Europe. Le plus souvent, les ouvrier·es de l’industrie de la fast-fashion sont des femmes, sous-payées et travaillant dans des conditions dangereuses pour leur santé et pour l’environnement.
Notre dossier se propose d’examiner les formes d’oppression qui se nichent dans ce geste quotidien qu’est celui de s’habiller. Certes, choisir un vêtement peut nous aider le temps d’une soirée ou d’une journée à nous protéger, nous réconforter ou nous affranchir d’injonctions sexistes, racistes ou grossophobes. Mais prendre conscience qu’il n’en va pas de même pour celles et ceux qui ont produit, cousu et assemblé les textiles est aussi un acte politique. Le germe, peut-être, d’une lutte dans laquelle le vêtement devient étendard.
Les articles du dossier :
Quand l’habit fait le genre, un focus de Sarah Bosquet
Turquie : avec les prolétaires de la fast-fashion, un reportage de Céline Pierre-Magnani
« Un système d’exploitation extrême », un entretien avec l’historienne Audrey Millet
Nos « dons », leurs déchets, une data visualisation de Julie Desrousseaux
La mode est-elle toujours raciste ?, une analyse de Jennifer Padjemi
Au lycée, tenues (in)correctes exigées, un reportage d’Elsa Gambin
L’armoire de ma mère, un récit d’Anne-Laure Pineau
Pourquoi les grosses ne portent pas de vêtements éthiques, une chronique de Lucie Inland
« Les cagoles montrent tout : les émotions, les seins, les fesses. », pourquoi luttez-vous avec Lisa Granado, Miss cagole 2024
La revanche des drag-kings, une bande-dessinée de Marcel Shorjian