S’habiller

La question de l’habillement se situe à l’intersection des oppres­sions sexistes, racistes, vali­distes, clas­sistes, mais aussi éco­no­miques et éco­lo­giques. Notre dossier se propose d’examiner dif­fé­rentes formes d’oppression qui se nichent dans ce geste quotidien qu’est celui d’enfiler des vêtements.
Publié le 31 octobre 2024
Clémence Gouy pour La Déferlante
Crédit : Clémence Gouy pour La Déferlante

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°16 S’habiller, parue en novembre 2024. Consultez le sommaire.

En septembre 2020, en pleine polémique sur le « crop top », l’hebdomadaire Marianne com­man­dait un sondage pour connaître l’avis des Français·es sur ce que devait être une « tenue correcte » pour les jeunes filles à l’école. 55 % des personnes inter­ro­gées se disaient alors opposées au port de tee-shirts dévoilant le ventre, tandis que 66 % se pro­non­çaient contre « le port de hauts sans soutien-gorge au travers duquel la pointe des tétons est visible ». La minijupe leur semblait plus accep­table, avec néanmoins 49 % des sondé·es se posi­tion­nant pour son interdiction.

Au-delà de ces réponses affli­geantes, c’est d’abord le fait même de consulter l’opinion sur la manière dont les jeunes filles devraient se vêtir qui interroge. Sans toutefois étonner : « L’historienne que je suis, déclarait Christine Bard au Monde en cette même rentrée 2020, observe la récur­rence des contro­verses à propos du vêtement féminin […] Trop courte, la minijupe fait problème, trop longue aussi, car elle serait devenue un signe religieux ostentatoire. »

C’est ainsi que, trois ans après ce sondage, à la rentrée 2023, le gou­ver­ne­ment d’Élisabeth Borne – sur pro­po­si­tion de Gabriel Attal alors ministre de l’Éducation nationale – inter­di­sait le port de l’abaya à l’école, presque vingt ans après la loi sur le port des signes religieux qui visait déjà tout par­ti­cu­liè­re­ment les jeunes filles musulmanes.

La question de l’habillement se situe à l’inter­section des oppres­sions sexistes, racistes, vali­distes, clas­sistes, mais aussi éco­no­miques et éco­lo­giques. Car si le vêtement est, pour les groupes minorisés, un motif de stig­ma­ti­sa­tion, ses modèles de fabri­ca­tion nous inter­rogent également sur notre rapport dés­équi­li­bré aux pays du Sud global – Chine, Bangladesh et Turquie en tête des expor­ta­teurs de prêt-à-porter en Europe. Le plus souvent, les ouvrier·es de l’industrie de la fast-fashion sont des femmes, sous-payées et tra­vaillant dans des condi­tions dan­ge­reuses pour leur santé et pour l’environnement.

Notre dossier se propose d’examiner les formes d’oppression qui se nichent dans ce geste quotidien qu’est celui de s’habiller. Certes, choisir un vêtement peut nous aider le temps d’une soirée ou d’une journée à nous protéger, nous récon­for­ter ou nous affran­chir d’injonctions sexistes, racistes ou gros­so­phobes. Mais prendre conscience qu’il n’en va pas de même pour celles et ceux qui ont produit, cousu et assemblé les textiles est aussi un acte politique. Le germe, peut-être, d’une lutte dans laquelle le vêtement devient étendard.


Les articles du dossier :

Quand l’habit fait le genre, un focus de Sarah Bosquet

Turquie : avec les pro­lé­taires de la fast-fashion, un reportage de Céline Pierre-Magnani

« Un système d’exploitation extrême », un entretien avec l’his­to­rienne Audrey Millet

Nos « dons », leurs déchets, une data visua­li­sa­tion de Julie Desrousseaux

La mode est-elle toujours raciste ?, une analyse de Jennifer Padjemi

Au lycée, tenues (in)correctes exigées, un reportage d’Elsa Gambin

L’armoire de ma mère, un récit d’Anne-Laure Pineau

Pourquoi les grosses ne portent pas de vêtements éthiques, une chronique de Lucie Inland

« Les cagoles montrent tout : les émotions, les seins, les fesses. », pourquoi luttez-vous avec Lisa Granado, Miss cagole 2024

La revanche des drag-kings, une bande-dessinée de Marcel Shorjian

S’habiller, en découdre avec les injonctions

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°16 S’habiller, parue en novembre 2024. Consultez le sommaire.