Le 13 mars 1868, Abel Bardin, né Herculine Barbin se suicide chez lui, au gaz. Il avait 29 ans. Dans sa modeste chambre parisienne, on retrouve un texte inachevé : Mes souvenirs. L’autrice Mathilde Forget explore la symbolique de ces écrits signés par l’une des premières personnes intersexuées à avoir subi une réassignation de genre et vu son identité modifiée par l’état civil français.
Le manuscrit est sur la table au fond à gauche. La table est d’un bois modeste et grinçant. Chaque feuille est soigneusement disposée. Le manuscrit, dont certains mots sont soulignés, est posé sur la table, en évidence. J’imagine. J’imagine en évidence, car on imagine bien que ce qui est laissé ne l’est pas au hasard lorsque l’on va se donner la mort. Au milieu du bureau, se trouve également une lettre adressée à Adélaïde Destouches, une domestique de La Rochelle. Elle est la mère. Son enfant, à l’âge de 29 ans, vient de se suicider. On ne sait pas si elle a eu connaissance de ce courrier qui lui demande pardon pour les souffrances que ce geste va lui causer. « Pardonne-moi », j’imagine. Mais, est-il possible d’en vouloir à celui qui se suicide au point de ne pas répondre à sa demande de pardon de peur de la justifier ? Alors, une demande de pardon en attente de réponse se transforme en errance. Ne demandez pas pardon. On ne sait jamais quoi vous répondre. Commencez un dialogue possible. Peut-être, « À bientôt ! ». Car c’est bien à cela que l’on pense le plus, c’est bien à propos de cela que l’on aimerait engager la conversation avec vous. « Dis, tu reviens quand ? »
Quand une personne se suicide, les journaux donnent rarement les raisons du décès. Quand les journaux ne donnent pas les raisons du décès, c’est le plus souvent un suicide. Quand les journaux ne donnent pas les raisons du décès, j’y pense. Le suicide n’est pas une raison. Le manuscrit est sur la table en haut à gauche. Dans cette petite chambre misérable au 5e étage du numéro 40 de la rue de l’École-de-Médecine, à Paris, aujourd’hui place Henri-Mondor, le bureau est à côté du lit. Non, pas à côté du lit mais devant la fenêtre. […]