Le recours à cette expression s’est multiplié dans l’espace public et médiatique après #MeToo. Remontant aux années 2000, relayée par l’humoriste Didier Bourdon et l’ancien président Nicolas Sarkozy, elle s’inscrit dans la filiation d’un discours réactionnaire qui fustige le politiquement correct sous couvert de défendre la liberté d’expression.
« On peut plus rien dire »: c’est la phrase de tonton Gégé qui clôt la discussion au repas des fêtes de fin d’année. C’est aussi le marronnier médiatique des chaînes d’information en continu. C’est également le fonds de commerce des essais et interventions dans les médias d’éditorialistes – Alain Finkielkraut, Eugénie Bastié, Éric Zemmour, Caroline Fourest, ou encore le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté… – qui ont en commun d’avoir publié des ouvrages plus ou moins liés aux dangers du politiquement correct. Évoquez l’introduction du pronom iel dans le dictionnaire, les collages contre les féminicides ou encore l’organisation de réunions en non-mixité pour les militantes racisées… et la discussion se terminera invariablement de la même manière : « Non mais de toute façon, aujourd’hui on ne peut plus rien dire ! »
La circulation de cette phrase a connu un regain dans la période post-#MeToo. Entre 2017 et 2021, le nombre d’articles de presse publiés en France comportant l’expression « on ne peut plus rien dire » a été multiplié par cinq. Peu après qu’ont été initiés plusieurs mouvements de libération de la parole dans l’espace public, les médias traditionnels se sont fait l’écho d’une crainte néoréactionnaire de restriction de la liberté d’expression. À la télé, dans les journaux, à table, parler des droits des minorités revenait rapidement à débattre de si, oui ou non, « on » pouvait toujours faire autant de blagues sur les Arabes et importuner une femme dans la rue.
QUI EST CE « ON » ?
Depuis le début des années 2000, dans les médias français, le « on » du « on ne peut plus rien dire » a été incarné par trois figures : l’humoriste, l’homme politique et l’éditorialiste réactionnaire. En 2005, Didier Bourdon, comédien du groupe Les Inconnus, sort un single intitulé On peuplu rien dire, dans lequel il ironise, entre autres choses, sur le fait de ne plus pouvoir dire « pédé » ou « tafiole » pour désigner un « homo ». […]