Protection des mineur·es : « La survie des enfants dépend de notre capacité à nous révolter » 

Samedi 21 septembre, Agnès Canayer (Les Républicains) a été nommée ministre déléguée à la Famille et à la Petite Enfance. L’ancienne sénatrice, qui a voté en faveur de l’interdiction des trai­te­ments médicaux pour les mineur·es trans au printemps dernier, est attendue de pied ferme par les professionnel·les de la pro­tec­tion de l’enfance. Un secteur exsangue, où 500 postes d’éducateur·ices de la Protection judi­ciaire de la jeunesse (PJJ) ont encore été supprimés cet été, alors que les besoins ne cessent de croître. Dans cette news­let­ter, Lyes Louffok, militant des droits de l’enfant, confie son découragement. 
Publié le 27 septembre 2024
Le 7 mai 2024, devant l’Assemblée nationale, Lyes Louffok (au centre) rendait hommage aux enfants mort•es alors qu’ils ou elles étaient pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Crédit photo : Ludovic Marin/AFP
Le 7 mai 2024, devant l’Assemblée nationale, Lyes Louffok (au centre) rendait hommage aux enfants mort•es alors qu’ils ou elles étaient pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Crédit photo : Ludovic Marin/AFP

Placé en famille d’accueil lorsqu’il était mineur, militant pour les droits de l’enfant, Lyes Louffok est l’un des ini­tia­teurs du Comité de vigilance des enfants placé·es, créé en avril 2024 pour peser sur les travaux de la com­mis­sion d’enquête par­le­men­taire sur les man­que­ments des poli­tiques de pro­tec­tion de l’enfance.

 

Dissoute en même temps que l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, cette com­mis­sion pourrait être relancée ces pro­chaines semaines avec l’entrée en fonction du nouveau gou­ver­ne­ment et la reprise des travaux par­le­men­taires. En France, ce sont 380 000 enfants qui sont suivi·es par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Mais le secteur manque cruel­le­ment de moyens et connaît de graves dif­fi­cul­tés : un·e enfant victime de violence meurt tous les cinq jours en France et 2 000 enfants dorment actuel­le­ment à la rue, selon l’Unicef. Mercredi 25 septembre, des professionnel·les venu·es de toute la France ont manifesté à Paris pour dénoncer le déla­bre­ment du secteur.

 

Quelle a été votre réaction à l’annonce de la com­po­si­tion du gou­ver­ne­ment Barnier ?

On passe d’un ministère des familles à un ministère de la famille, et d’un ministère de l’enfance à celui de la petite enfance uni­que­ment. Ce chan­ge­ment reflète bien une politique de droite : il nie la diversité des modèles familiaux et marque un dés­in­té­rêt pour les enfants de plus de 3 ans. Je ne m’attendais à rien d’autre venant de gens de droite. J’en viens même, à titre personnel, à souhaiter la dis­pa­ri­tion de ce ministère, juste pour qu’on foute la paix aux enfants et qu’on arrête de rogner leurs droits !

Déjà, la dis­so­lu­tion de juin avait été choquante, car on savait que le Rassemblement national pouvait récupérer des sièges à l’Assemblée nationale, voire accéder à Matignon. Si on a plus ou moins évité le pire, on se rend aujourd’hui compte que les macro­nistes et Les Républicains reprennent des éléments de langage ou de programme de l’extrême droite en matière de droits des enfants. Par exemple, sur la question de l’enfance en conflit avec la loi [com­mu­né­ment appelée « jeunesse délin­quante »] il est question de supprimer « l’excuse de minorité* ». Quant aux mineur·es non accompagné·es, ils et elles sont souvent perçu·es comme générateur·ices d’insécurité.

Je suis pes­si­miste et terrifié par l’avenir. Le niveau de violence verbale à l’égard des enfants dans le débat public est hal­lu­ci­nant, on se croirait revenu·es dans les années 1940 : [dans un discours prononcé le 18 avril 2024 sur la « violence des mineurs »] Gabriel Attal disait attendre « un sursaut d’autorité » et vouloir sanc­tion­ner les « élèves per­tur­ba­teurs » au moment du passage de leurs diplômes. Déshumaniser les jeunes et les enfants dans le débat public conduit de facto à la mise en œuvre d’une politique de domi­na­tion pure, où il ne s’agit plus pour les enfants que de se soumettre. Nous allons droit vers des poli­tiques de dressage.

Comment les militant·es des droits de l’enfant, dont vous faites partie, se repositionnent-ils et elles face à ces attaques ?

À présent, nous ne pouvons que serrer les dents et faire front commun. La situation va continuer de se dégrader. La sup­pres­sion de 500 postes à la Protection judi­ciaire de la jeunesse (PJJ) annoncée en catimini cet été vient en contra­dic­tion totale avec les discours sur la lutte contre la délin­quance des mineur·es. Les personnes qui nous gou­vernent disent vouloir en faire une priorité tout en dépouillant de ses res­sources l’administration qui est chargée de l’accompagnement de ces jeunes. Nous sommes tous·tes en alerte, et nous nous préparons au combat. En réalité, l’enjeu aujourd’hui n’est plus de nous battre pour de nouveaux droits, mais bien de tenter de conserver ceux déjà acquis.

 


« UNE POLITIQUE DE DOMINATION PURE À L’ÉGARD DES ENFANTS »


 

La riposte a beaucoup de mal à s’organiser. C’est presque ce qui m’alerte le plus. Où est la révolte contre ces 500 postes supprimés à la PJJ ? Nulle part. Nous sommes toujours frappé·es d’inertie. Jusqu’où va-t-il falloir aller pour qu’il y ait un sursaut collectif ? Si les poli­tiques se per­mettent de se comporter de cette manière-là, c’est bien parce qu’en face nous sommes faibles, nous n’utilisons pas de moyens qui nous per­mettent d’être audibles. Se serait-on permis, en plein cœur de l’été et des Jeux olym­piques, de supprimer 500 postes aux flics ? La survie des gamin·es aujourd’hui dépend de notre capacité d’action et de révolte en tant qu’adultes.

Que devient le Comité de vigilance des enfants placé·es ? 

Il s’est mis en pause au moment de la dis­so­lu­tion, mais reprendra son action si la com­mis­sion d’enquête par­le­men­taire est recréée. Cependant, il faut préciser que les débuts de la com­mis­sion [au printemps 2024] ont été très décevants : très peu de député·es ont assisté aux séances, les personnes convo­quées pour être audi­tion­nées n’étaient pas toujours per­ti­nentes eu égard aux enjeux, et la rap­por­teure, la députée Isabelle Santiago (Parti socia­liste), était peu impliquée. Nous avons constaté une mécon­nais­sance totale du système de pro­tec­tion de l’enfance de la part des élu•es. Si cette com­mis­sion d’enquête doit revoir le jour, il faut impé­ra­ti­ve­ment qu’il y ait un chan­ge­ment de personnes à sa tête. Marianne Maximi [députée insoumise, ancienne édu­ca­trice spé­cia­li­sée] a déposé une pro­po­si­tion pour recréer la com­mis­sion. C’est une affaire à suivre…

* En France, un enfant ne peut être jugé res­pon­sable de ses actes qu’à partir de 13 ans. Entre 13 et 18 ans, les peines reçues doivent être adaptées à sa situation et à son âge.

 


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Résister en féministes

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°15 Résister en fémi­nistes, à paraître en août 2024. Consultez le sommaire.

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