Placé en famille d’accueil lorsqu’il était mineur, militant pour les droits de l’enfant, Lyes Louffok est l’un des initiateurs du Comité de vigilance des enfants placé·es, créé en avril 2024 pour peser sur les travaux de la commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques de protection de l’enfance.
Dissoute en même temps que l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, cette commission pourrait être relancée ces prochaines semaines avec l’entrée en fonction du nouveau gouvernement et la reprise des travaux parlementaires. En France, ce sont 380 000 enfants qui sont suivi·es par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Mais le secteur manque cruellement de moyens et connaît de graves difficultés : un·e enfant victime de violence meurt tous les cinq jours en France et 2 000 enfants dorment actuellement à la rue, selon l’Unicef. Mercredi 25 septembre, des professionnel·les venu·es de toute la France ont manifesté à Paris pour dénoncer le délabrement du secteur.
Quelle a été votre réaction à l’annonce de la composition du gouvernement Barnier ?
On passe d’un ministère des familles à un ministère de la famille, et d’un ministère de l’enfance à celui de la petite enfance uniquement. Ce changement reflète bien une politique de droite : il nie la diversité des modèles familiaux et marque un désintérêt pour les enfants de plus de 3 ans. Je ne m’attendais à rien d’autre venant de gens de droite. J’en viens même, à titre personnel, à souhaiter la disparition de ce ministère, juste pour qu’on foute la paix aux enfants et qu’on arrête de rogner leurs droits !
Déjà, la dissolution de juin avait été choquante, car on savait que le Rassemblement national pouvait récupérer des sièges à l’Assemblée nationale, voire accéder à Matignon. Si on a plus ou moins évité le pire, on se rend aujourd’hui compte que les macronistes et Les Républicains reprennent des éléments de langage ou de programme de l’extrême droite en matière de droits des enfants. Par exemple, sur la question de l’enfance en conflit avec la loi [communément appelée « jeunesse délinquante »] il est question de supprimer « l’excuse de minorité* ». Quant aux mineur·es non accompagné·es, ils et elles sont souvent perçu·es comme générateur·ices d’insécurité.
Je suis pessimiste et terrifié par l’avenir. Le niveau de violence verbale à l’égard des enfants dans le débat public est hallucinant, on se croirait revenu·es dans les années 1940 : [dans un discours prononcé le 18 avril 2024 sur la « violence des mineurs »] Gabriel Attal disait attendre « un sursaut d’autorité » et vouloir sanctionner les « élèves perturbateurs » au moment du passage de leurs diplômes. Déshumaniser les jeunes et les enfants dans le débat public conduit de facto à la mise en œuvre d’une politique de domination pure, où il ne s’agit plus pour les enfants que de se soumettre. Nous allons droit vers des politiques de dressage.
Comment les militant·es des droits de l’enfant, dont vous faites partie, se repositionnent-ils et elles face à ces attaques ?
À présent, nous ne pouvons que serrer les dents et faire front commun. La situation va continuer de se dégrader. La suppression de 500 postes à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) annoncée en catimini cet été vient en contradiction totale avec les discours sur la lutte contre la délinquance des mineur·es. Les personnes qui nous gouvernent disent vouloir en faire une priorité tout en dépouillant de ses ressources l’administration qui est chargée de l’accompagnement de ces jeunes. Nous sommes tous·tes en alerte, et nous nous préparons au combat. En réalité, l’enjeu aujourd’hui n’est plus de nous battre pour de nouveaux droits, mais bien de tenter de conserver ceux déjà acquis.
« UNE POLITIQUE DE DOMINATION PURE À L’ÉGARD DES ENFANTS »
La riposte a beaucoup de mal à s’organiser. C’est presque ce qui m’alerte le plus. Où est la révolte contre ces 500 postes supprimés à la PJJ ? Nulle part. Nous sommes toujours frappé·es d’inertie. Jusqu’où va-t-il falloir aller pour qu’il y ait un sursaut collectif ? Si les politiques se permettent de se comporter de cette manière-là, c’est bien parce qu’en face nous sommes faibles, nous n’utilisons pas de moyens qui nous permettent d’être audibles. Se serait-on permis, en plein cœur de l’été et des Jeux olympiques, de supprimer 500 postes aux flics ? La survie des gamin·es aujourd’hui dépend de notre capacité d’action et de révolte en tant qu’adultes.
Que devient le Comité de vigilance des enfants placé·es ?
Il s’est mis en pause au moment de la dissolution, mais reprendra son action si la commission d’enquête parlementaire est recréée. Cependant, il faut préciser que les débuts de la commission [au printemps 2024] ont été très décevants : très peu de député·es ont assisté aux séances, les personnes convoquées pour être auditionnées n’étaient pas toujours pertinentes eu égard aux enjeux, et la rapporteure, la députée Isabelle Santiago (Parti socialiste), était peu impliquée. Nous avons constaté une méconnaissance totale du système de protection de l’enfance de la part des élu•es. Si cette commission d’enquête doit revoir le jour, il faut impérativement qu’il y ait un changement de personnes à sa tête. Marianne Maximi [députée insoumise, ancienne éducatrice spécialisée] a déposé une proposition pour recréer la commission. C’est une affaire à suivre…
* En France, un enfant ne peut être jugé responsable de ses actes qu’à partir de 13 ans. Entre 13 et 18 ans, les peines reçues doivent être adaptées à sa situation et à son âge.
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