Entre Winnie Byanyima, femme politique ougandaise aujourd’hui directrice d’Onusida, et Cécile Duflot, ancienne ministre du Logement, quels horizons partagés ? La première était directrice exécutive d’Oxfam International quand la seconde a pris les rênes de la branche française de l’ONG. Elles ont en commun des valeurs féministes qu’elles concilient sans peine avec leurs convictions religieuses. Rencontre entre deux personnalités qui luttent avec pragmatisme pour davantage de justice sociale.
Winnie Byanyima, Cécile Duflot, vous avez eu toutes deux des parents engagés pour la justice sociale. Le féminisme avait-il sa place dans cette politisation précoce ?
WINNIE BYANYIMA Oui, j’ai grandi en étant très consciente que filles et garçons n’avaient pas les mêmes droits. Le mot féminisme n’existait pas encore dans ma communauté, mais ma mère, qui était enseignante, militait pour les droits des femmes en organisant des clubs dans notre cour. Elle apprenait à lire aux femmes de notre village, et aussi à faire de l’artisanat, à s’occuper des enfants. Ensemble, elles parlaient des droits des filles, et notamment du droit à l’éducation – à une époque où seuls les garçons poursuivaient leur scolarité – et du problème des mariages précoces. Mon histoire avec mon père a aussi compté. Je viens d’une culture pastorale. Une vache a mis bas le jour de ma naissance : on m’a raconté qu’il était déçu d’avoir une fille, mais se réjouissait d’avoir une nouvelle génisse. Je l’ai par la suite souvent taquiné : « Tu as préféré la vache à moi ! » Mais lui m’a toujours répété : « Ta naissance m’a rendu heureux parce qu’une fille est l’égale d’un garçon. »
CÉCILE DUFLOT Moi, mes parents étaient très militants, très engagés dans les mouvements tiers-mondistes et la solidarité internationale, mais pas particulièrement féministes. Cela dit, mon frère, ma soeur et moi avons été élevé·es de la même manière, d’autant que ma mère travaillait. Nous devions tous et toutes débarrasser la table, par exemple. Mais dans cet environnement, il n’y avait pas de réflexion sur la condition des femmes. Mon vrai déclic féministe, c’est lorsque j’ai reçu ma confirmation dans l’Église catholique. J’étais très pieuse et quand j’ai demandé à l’évêque, dans ma lettre de confirmation, quelle allait être la suite – puisque je n’avais pas le droit d’être ordonnée prêtre –, l’évêque m’a répondu que Dieu avait fait les femmes et les hommes différents, que chacun·e avait sa place. J’ai trouvé ça vraiment dégueulasse. Parce que si j’avais pu, je serais devenue évêque plutôt que ministre. Cette petite révolte intérieure, elle ne m’a jamais quittée. […]