Restons debout

Comment agir face à une extrême droite supré­ma­ciste, qui impose ses idées et son agenda politique ? En nous inspirant des combats de nos aîné·es, en nous mobi­li­sant loca­le­ment et en rejoi­gnant des col­lec­tifs de défense des personnes mino­ri­sées, nous encourage la militante anti­ra­ciste Goundo Diawara dans cette chronique. 
Publié le 22 juillet 2024
Double-page dans La Déferlante #15
Double-page dans La Déferlante #15
« L’extrême droite est aux portes du pouvoir ». Bien aidée par des femmes et des hommes poli­tiques qui, pendant des décennies, ont fait semblant de s’ériger en rempart contre son projet politique raciste tout en l’imitant. Elle vampirise désormais de nombreux espaces pour y dérouler son discours supré­ma­ciste et attiser la haine.

Il fut un temps où j’avais la naïveté de croire que, quel que soit le parti politique au pouvoir, le droit resterait (plus ou moins) le droit. C’était une grossière erreur. C’est à s’y méprendre, tant les imi­ta­tions sont réussies, mais il serait irres­pon­sable de dire que l’extrême droite et le reste, c’est pareil. Nous, qui faisons partie des popu­la­tions direc­te­ment visées par les discours  de haine et les poli­tiques racistes – et qui sentons les digues sauter l’une après l’autre depuis des années –, savons que la pleine accession de l’extrême droite au pouvoir ren­for­ce­ra un racisme sys­té­mique déjà bien ancré et libérera une horde de fauves qui n’attendent que cela pour laisser libre cours à leur violence.
En effet, contrai­re­ment à ce qu’elle veut laisser croire, l’extrême droite n’a pas changé. C’est la même que celle qui adhérait aux idéo­lo­gies fascistes et nazies dans les années 1930. La même que celle dont les militants orga­ni­saient des expé­di­tions pour tabasser des personnes perçues comme étran­gères dans les années 1980. La même qui a tué Ibrahim Ali (1) et Brahim Bouarram (2) en 1995, le militant anti­fas­ciste Clément Méric (3) en 2013 et le rugbyman Federico Martín Aramburú en 2022 (4). Où qu’elle soit, peu importe qui l’incarne, l’extrême droite, depuis toujours, propage une idéologie mortifère. Le massacre qui se déroule actuel­le­ment en Palestine, opéré par le gou­ver­ne­ment d’extrême droite israélien, nous le rappelle chaque jour.
En tant que militante anti­ra­ciste, je me demande moins comment nous en sommes arrivé·es à ce naufrage moral, intel­lec­tuel et politique que comment nous en sortirons. Nos mobi­li­sa­tions donnent lieu à de violentes répres­sions : dis­so­lu­tion d’associations, inter­dic­tion de mani­fes­ta­tions, pro­cé­dures judi­ciaires… Mais nous restons debout et tenons la ligne malgré tout.

Les luttes de nos parents en héritage


Nous avons de qui tenir. Les contextes poli­tiques sont dif­fé­rents, mais, bien loin de courber l’échine, nos parents ont lutté, résisté. Je ne manquerai jamais une occasion de rappeler que nous, descendant·es de l’immigration post­co­lo­niale, ne sommes pas des enfants de nulle part, encore moins les enfants de n’importe qui.

Je parle souvent de l’actualité politique avec mon père. Sous ses airs de grand sage à la barbe blanchie et à la voix toute douce, il a été en première ligne pour défendre les droits des tra­vailleurs immigrés ouest-africains en France. Né sur un ter­ri­toire colonisé, puis arrivé en France à la fin des années 1960, il a acti­ve­ment pris part à la lutte contre les aug­men­ta­tions de loyer dans les foyers, alors qu’il résidait lui-même dans celui, his­to­rique, de la rue Bara à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, géré à l’époque par l’Association pour la formation des tra­vailleurs africains et malgaches (Aftam).

Ah ! Vous devriez l’entendre lorsqu’il raconte la manière dont ils ont tenu le bras de fer durant deux ans, jusqu’à la victoire, en 1971 ! Grève des loyers, assem­blées générales, réunions avec le ges­tion­naire pour imposer des travaux de réha­bi­li­ta­tion et l’annulation des dettes de loyer pour les grévistes, création d’un journal de lutte baptisé Tambalé (mot qui désigne en soninké l’instrument par lequel on appelle les gens à se ras­sem­bler) et d’une asso­cia­tion regrou­pant des résidents de tous les foyers de tra­vailleurs africains parisiens : un rapport de force exem­plaire.
Mais je crois que ce que nos parents ont fait de plus grand encore a été de lutter pour le respect de leur dignité, sans bruit mais avec déter­mi­na­tion. À une époque où l’on ne voyait en elleux que de la main‑d’œuvre ou des parasites et où l’on méprisait tout ce qui faisait leur identité, nos parents ont résisté et cultivé l’amour de nous-mêmes à travers la trans­mis­sion de leurs langues, de leurs histoires et de leurs tra­di­tions. Car elles et ils savaient que notre dignité ne se construi­rait pas dans l’amputation d’une partie de notre identité. Elles et ils ont lutté en créant de solides réseaux de soli­da­ri­té, ou en mettant les com­pé­tences
des un·es au service des autres face aux admi­nis­tra­tions ou aux patron·nes.
Nous qui sommes leurs enfants avons pour devoir de reprendre le flambeau en cultivant les richesses de nos identités et en nous orga­ni­sant col­lec­ti­ve­ment pour défendre les plus fragiles et les plus exposé·es d’entre nous aux violences de l’extrême droite : personnes exilées ou sans domicile fixe, femmes portant le voile, jeunes de quartiers popu­laires et racisé·es, minorités de genre, etc.

Rejoignons des col­lec­tifs, mettons nos com­pé­tences au service des personnes néces­si­teuses, soutenons les médias indé­pen­dants qui relaient nos luttes, investissons-nous dans la politique locale, défendons les services publics pour garantir un accès au soin, à l’éducation, à l’habitat digne et à la justice pour tous·tes.
Bref, luttons pour nos droits et ceux de nos enfants, en prenant soin de ne jamais user de l’argument qui consiste à dire que « ce pays ne tiendrait pas sans notre force de travail ». Car l’exploitation de nos corps ne sera jamais ce qui jus­ti­fie­ra notre droit d’exister librement dans ce pays qui, quelles que soient ses tares, n’appartient pas davantage à d’autres qu’à nous. « Nous sommes ici chez nous et nous y sommes debout ! » comme nous aimons le rappeler au Front de mères.

Soyons convaincu·es que seule la lutte nous débar­ras­se­ra des messagers et mes­sa­gères de la haine. Elles et ils peuvent faire semblant de défendre la cause des droits des femmes, celle des enfants, des agriculteur·ices, des pauvres, du climat ou des animaux. Elles et ils resteront des supré­ma­cistes. C’est pourquoi la première ligne à tenir est anti­ra­ciste, et c’est pourquoi nous la tenons fermement. Un jour, nos enfants se vanteront d’avoir eu des ascendant·es qui ont résisté et, contrai­re­ment aux falsificateur·ices d’histoire, elleux ne mentiront pas.
Pour l’heure, formons nos bataillons ! •

Goundo Diawara est cose­cré­taire nationale del’association Front de mères. Elle est coautrice de l’ouvrage Nos enfants, nous-mêmes. Manuel de paren­ta­li­té féministe (Horsd’atteinte, 2024). Cette chronique est la deuxième d’une série de quatre.


(1) Le 21février 1995, à Marseille, un colleur d’affiche du Front national abat Ibrahim Ali, 17ans, d’une balle dans le dos.

(2) Le 1ermai 1995, en marge d’un ras­sem­ble­ment duFront national à Paris, trois skinheads agressent Brahim Bouarram, un Marocain de 29ans et père defamille. L’un d’eux le pousse dans la Seine ; ilmeurt noyé.

(3) Le 5juin 2013, Clément Méric, étudiant de 18ans et militant anti­fas­ciste, est tué au cours d’une rixe avec des militants de l’extrême droite nationaliste.

(4) Le principal suspect du meurtre par balles (dans le dos) de l’ex-joueur inter­na­tio­nal argentin de rugby Federico Martín Aramburú, le 19mars 2022, est un membre du Groupe union défense (GUD).
Extrême droite : Résister en féministes

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°15 Extrême droite : Résister en fémi­nistes, parue en août 2924.
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