Royaume-uni : Résister à la haine anti-trans

En 2022, les agres­sions trans­phobes ont aug­men­té de 56 % au Royaume-Uni par rap­port à l’année pré­cé­dente. Depuis une décen­nie, la trans­pho­bie s’intensifie outre-Manche, dans les médias et sous l’impulsion des terfs, ces mou­ve­ments fémi­nistes anti-trans. En réponse à la guerre idéo­lo­gique menée par le camp réac­tion­naire et face aux vio­lences et au har­cè­le­ment quo­ti­dien, les militant·es trans et leurs allié·es orga­nisent la résistance.
Publié le 12 avril 2023
Manifestant·es pour les droits des per­sonnes trans, devant le 10 Downing Street, à Londres le 21 jan­vier 2023. © Henry nicholls  / Reuters

« De com­bien de nos morts avez-vous besoin pour vous sou­cier de ce qui nous arrive ? » scandent les manifestant·es bran­dis­sant des bou­gies. Elles et ils sont une cen­taine rassemblé·es ce soir de la mi-février devant le dépar­te­ment de l’Éducation, à Londres, pour une veillée funèbre à la mémoire de Brianna Ghey, une jeune fille trans de 16 ans poi­gnar­dée quelques jours plus tôt à Werrington, au nord-ouest de l’Angleterre. Plusieurs autres veillées funèbres et die-in ont été orga­ni­sées ce soir-là à tra­vers le pays, lais­sant entendre le cri de colère des militant·es trans et de leurs allié·es contre le gou­ver­ne­ment conser­va­teur et la presse, accusé·es d’instaurer un cli­mat de haine contre la com­mu­nau­té trans. Deux adolescent·es (une jeune fille et un jeune homme de 15 ans) ont été inculpé·es pour le meurtre de Brianna Ghey. La police a fini par concé­der qu’il pou­vait s’agir d’un crime de haine, alors qu’elle avait d’abord écar­té cette piste.

Un mois plu­tôt, le 18 jan­vier 2023, plu­sieurs cen­taines de militant·es trans étaient réuni·es devant les grilles du 10 Downing Street, siège de la rési­dence offi­cielle du Premier ministre, le conser­va­teur Rishi Sunak. En cause : le blo­cage par le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique d’une loi de sim­pli­fi­ca­tion à l’accès au chan­ge­ment de genre adop­tée en décembre 2022 par le Parlement écos­sais. Défendue par la Première ministre écos­saise sociale-démocrate Nicolas Sturgeon, la Gender Recognition Reform Bill est une réforme des condi­tions d’obtention du cer­ti­fi­cat de recon­nais­sance de genre (Gender Recognition Certificate). Conformément au prin­cipe d’autodétermination, les per­sonnes trans ne sont plus tenues de pré­sen­ter un diag­nos­tic médi­cal de « dys­pho­rie de genre » : une simple décla­ra­tion suf­fit. La demande peut être faite trois mois après que la per­sonne concer­née a com­men­cé à vivre dans le genre qui lui cor­res­pond – au lieu de deux ans pré­cé­dem­ment. Enfin, l’âge mini­mal pour récla­mer le cer­ti­fi­cat est abais­sé de 18 ans à 16 ans. Cette loi fait de l’Écosse l’une des pre­mières nations d’Europe, à légi­fé­rer pour dépa­tho­lo­gi­ser et sim­pli­fier les démarches de chan­ge­ment de genre, près de vingt ans après la loi de 2004 qui ins­ti­tuait la recon­nais­sance légale du chan­ge­ment de genre, le Gender Recognition Act, en vigueur dans tout le royaume. Inacceptable, pour le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique qui en met­tant son veto à la loi écos­saise, pro­voque une crise poli­tique sans précédent.


« Maintenant, tous les deux ou trois mois j’entends par­ler de quelqu’un qui s’est sui­ci­dé. Pour une si petite com­mu­nau­té, ça fait beaucoup ! »

Jane Fae, mili­tante trans


Produire des contenus haineux, ça assure le Buzz

Elle s’inscrit dans un cli­mat de haine gran­dis­sant à l’égard des per­sonnes trans depuis une décen­nie, avec pour prin­ci­pale consé­quence une grave dégra­da­tion de leurs condi­tions de vie. En témoigne la dégrin­go­lade du pays dans le clas­se­ment de l’International Lesbian and Gay Association (Ilga) qui défend les droits des per­sonnes LGBT+ au niveau euro­péen. En 2015, le Royaume-Uni arri­vait en tête des États euro­péens ; six ans plus tard, il n’occupe plus que la qua­tor­zième place du clas­se­ment. Parmi les rai­sons avan­cées par l’Ilga : l’incapacité du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique à réfor­mer le Gender Recognition Act de 2004. Depuis plu­sieurs années, cette loi enca­drant le chan­ge­ment de genre est décriée par les asso­cia­tions LGBT+ à cause du pro­ces­sus inva­sif et déshu­ma­ni­sant qu’elle fait subir aux per­sonnes concer­nées lors des entre­tiens médi­caux et psy­cho­lo­giques obli­ga­toires pour l’établissement d’un diag­nos­tic de dys­pho­rie de genre. Par ailleurs, les per­sonnes trans sont éga­le­ment tou­chées de plein fouet par la crise qui affecte le ser­vice de san­té publique bri­tan­nique, le National Health Service (NHS) et qui s’est encore accen­tuée avec la pan­dé­mie de Covid-19. Le temps d’attente pour une pre­mière consul­ta­tion rela­tive à une dys­pho­rie de genre se compte en années, de même que le pro­ces­sus médi­cal de tran­si­tion en lui-même.

« Les per­sonnes trans tra­versent une période hor­rible, en par­ti­cu­lier celles qui reçoivent peu de sou­tien et n’ont pas accès à des espaces com­mu­nau­taires », témoigne Cleo Madeleine, mili­tante trans qui vit à Norwich, ville moyenne de l’est du pays. Elle est porte-parole de Gendered Intelligence, une asso­cia­tion bri­tan­nique de sou­tien pour et par les per­sonnes trans basées à Londres. « Cela entraîne chez certain·es une peur de sor­tir de chez soi, des dif­fi­cul­tés à aller chez le méde­cin ou à deman­der de l’aide en cas de besoin. Les effets sur leur san­té men­tale sont pro­fonds. » L’une des rai­sons majeures de cette dété­rio­ra­tion est l’explosion de l’hostilité et de la vio­lence trans­phobe sur les pla­teaux télé, les réseaux sociaux et dans les pages des tabloïds depuis quelques années. Une hos­ti­li­té qui se tra­duit en actes : en 2022, les agres­sions trans­phobes ont explo­sé, aug­men­tant de 56 % par rap­port à l’année pré­cé­dente, selon le Home Office, le minis­tère de l’Intérieur bri­tan­nique. C’est la plus forte hausse depuis 2011, année où ces don­nées ont com­men­cé à être recueillies. « Maintenant, tous les deux ou trois mois j’entends par­ler de quelqu’un qui s’est sui­ci­dé. Pour une si petite com­mu­nau­té, ça fait beau­coup ! », s’inquiète la mili­tante trans vété­rane Jane Fae par télé­phone depuis sa petite ville de Letchworth, au nord de Londres. Affaiblie depuis l’épidémie de Covid-19, Jane est tenue de s’isoler chez elle. C’est de son domi­cile qu’elle dirige TransActual, une asso­cia­tion de défense des droits des per­sonnes trans.

« Comment en est-on arri­vé là ? », s’interrogent aujourd’hui nombre de militant·es. Pour Jane Fae, la cam­pagne par­ti­cu­liè­re­ment toxique sur le réfé­ren­dum du Brexit en 2016 a créé un pré­cé­dent. « Tout au long de cette cam­pagne, les citoyen·nes ont été matraqué·es de men­songes au sujet des immigré·es. » Mentir, pro­duire des conte­nus hai­neux, c’est s’assurer de faire le buzz. Or, au même moment, la Première ministre conser­va­trice Theresa May déci­dait de réfor­mer la loi sur la recon­nais­sance du chan­ge­ment de genre, « cher­chant un moyen facile de prou­ver qu’elle n’était pas si à droite que ça, après son alliance avec les ultra­con­ser­va­teurs unio­nistes en Irlande du Nord ». D’après Jane Fae, cette réforme aurait dû pas­ser aisé­ment mais, du fait d’une forte insta­bi­li­té gou­ver­ne­men­tale, les ministres chargé·es de l’Égalité ont démis­sion­né les un·es après les autres. « La réforme a alors atti­ré l’attention des médias conser­va­teurs, qui se sont mis à publier une série d’articles alar­mistes et com­plo­tistes pré­ten­dant, par exemple, que des hommes mal inten­tion­nés allaient se faire pas­ser pour des femmes trans et faire irrup­tion dans des espaces réser­vés aux femmes pour les vio­ler », se souvient-elle.

Katy Montgomerie, ingé­nieure trans de 33 ans et célèbre mili­tante pour les droits des per­sonnes LGBT+ via sa chaîne YouTube, estime pour sa part que le gou­ver­ne­ment de droite s’est pro­gres­si­ve­ment rap­pro­ché de l’extrême droite, sous l’influence des guerres idéo­lo­giques agi­tées par les mou­ve­ments réac­tion­naires proches de Donald Trump. « Avec l’immigration, un de leurs thèmes de pré­di­lec­tion est la tran­si­den­ti­té. Sachant qu’en ce qui concerne la Grande-Bretagne, s’opposer aux droits des per­sonnes gay n’est plus du tout “por­teur” poli­ti­que­ment… »

Un mouvement Terf de plus en plus influent

C’est dans ce contexte qu’un petit groupe de fémi­nistes – par­mi les­quelles la jour­na­liste Julie Bindel¹ ou l’universitaire Germaine Greer² – s’est mis à relayer ces dis­cours trans­phobes. Les « terf s » (Trans-Exclusionary Radical Feminists), à l’origine issues de la gauche et des mou­ve­ments fémi­nistes mais qui s’engagent alors dans un mili­tan­tisme vio­lem­ment anti-trans, font rapi­de­ment des émules. L’exemple le plus connu est celui de la roman­cière à suc­cès autrice de Harry Potter J.K. Rowling. Elle prend régu­liè­re­ment la parole sur les réseaux sociaux ou sur son blog pour s’atta­quer aux femmes trans sous pré­texte qu’elles met­traient en dan­ger les femmes cis­genres (per­sonne dont l’identité de genre est en concor­dance avec le sexe assi­gné à la nais­sance). En 2022, elle a annon­cé sa par­ti­ci­pa­tion au finan­ce­ment d’un lieu d’accueil exclu­si­ve­ment réser­vé aux femmes cis­genres à Édimbourg. Et ces der­niers mois, elle s’est très ouver­te­ment enga­gée contre la loi écos­saise en inter­pe­lant régu­liè­re­ment la Première ministre Nicola Sturgeon.

Des articles anti-trans dans les journaux progressistes

En quelques années, les réseaux terfs bri­tan­niques se sont struc­tu­rés et ont pris de l’ampleur. Déjà en 2017, l’organisation Women’s Place UK avait été créée pour s’opposer au pro­jet de réforme du Gender Recognition Act et récla­mer l’exclusion des femmes trans des lieux d’accueil des femmes vic­times de vio­lences sexistes et sexuelles. Puis, en 2019, c’est la LGB Alliance qui est fon­dée, en oppo­si­tion à Stonewall, l’organisation LGBT+ la plus connue de Grande-Bretagne, qui a affi­ché son sou­tien aux per­sonnes trans. C’est à cette période qu’une par­tie des asso­cia­tions spé­cia­li­sées dans les vio­lences sexistes et sexuelles com­mence à ne plus accep­ter les per­sonnes trans.

Avec cette mon­tée en puis­sance, les argu­ments des militant·es terfs ont peu à peu impré­gné l’opinion. Ainsi, Mumsnet, un forum en ligne à tra­vers lequel des parents échangent des conseils, est deve­nu depuis 2015 un lieu pri­vi­lé­gié d’expression de pro­pos trans­phobes. « J’ai l’impression que l’intégralité de notre pay­sage média­tique est deve­nue anti-trans », résume Katy Montgomerie. En une décen­nie, le nombre d’articles néga­tifs publiés a explo­sé, ana­lyse pour sa part la vété­rane Jane Fae, enga­gée dans Trans Media Watch, une asso­cia­tion qui étu­die la repré­sen­ta­tion des per­sonnes trans et inter­sexes dans la presse : « Entre 2010 et 2015, il y avait une cen­taine d’articles par an sur les per­sonnes trans. Aujourd’hui on est à envi­ron 6 000, c’est-à-dire plus que le nombre de per­sonnes pour­vues d’un cer­ti­fi­cat de chan­ge­ment de genre… » Même les jour­naux répu­tés pro­gres­sistes à l’image du Guardian³ ou du New Statesman publient des articles anti-trans.

Harcèlement de masse sut la questions des mineur·es

Conséquence de ce défer­le­ment média­tique, les militant·es et les asso­cia­tions de sou­tien aux per­sonnes trans subissent un har­cè­le­ment quo­ti­dien et font par­fois l’objet d’actions en justice.

Stonewall est aujourd’hui l’une des prin­ci­pales cibles du mou­ve­ment terf. Parmi les asso­cia­tions de défense des vic­times de vio­lences sexistes et sexuelles, rares sont celles qui déclarent encore publi­que­ment accueillir les per­sonnes trans.

Depuis l’automne 2022, l’association Mermaids, qui sou­tient les enfants trans et leurs familles, est visée par une enquête de la Charity Commission, l’organisme char­gé du sui­vi et du contrôle des orga­ni­sa­tions cari­ta­tives. Elle est accu­sée de nuire aux mineur·es et aux per­sonnes vul­né­rables qu’elle sou­tient. Cette enquête fait suite à la publi­ca­tion en sep­tembre 2022 d’un article du quo­ti­dien conser­va­teur The Telegraph affir­mant que Mermaids four­nis­sait des bin­ders (ban­deaux de poi­trine) à des jeunes trans sans le consen­te­ment de leurs parents. L’offensive se cris­tal­lise autour de cette ques­tion des mineur·es, lais­sant à pen­ser, par exemple, qu’il serait facile pour les enfants d’accéder à des blo­queurs de puber­té⁴ et qu’il fau­drait par consé­quent les en pro­té­ger. La réa­li­té, vu les délais d’attente du NHS, est tout autre. D’après l’ONG bri­tan­nique The Good Law Project, les mineur·es doivent attendre en moyenne plus de 18 mois pour un pre­mier rendez-vous, ce qui signi­fie que beau­coup de jeunes trans tra­versent leur ado­les­cence sans avoir pu se faire pres­crire des inhi­bi­teurs de puberté.

La justice veut s’en prendre aux bloqueurs de puberté

« Le nombre d’enfants qui sou­haitent vivre dans un genre dif­fé­rent de celui qui leur a été assi­gné à la nais­sance est minime ! Faire croire le contraire relève de la panique morale, bâtie sur des faits inven­tés », estime Talia – son pré­nom a été chan­gé à sa demande –, ensei­gnante et réfé­rente LGBT+ dans une école lon­do­nienne, qui fait ici allu­sion à la récu­pé­ra­tion poli­tique, par les militant·es anti-trans, d’une affaire qui s’est dérou­lée entre 2019 et 2020. Elle a oppo­sé, d’une part, le Tavistock and Portman NHS Foundation, orga­nisme public qui gère le seul ser­vice de chan­ge­ment d’identité de genre pour les mineur·es au Royaume-Uni, et d’autre part, Keira Bell, une femme de 23 ans qui a pris des blo­queurs de puber­té à l’âge de 16 ans, puis enta­mé une tran­si­tion hor­mo­nale, avant de détran­si­tion­ner cinq ans plus tard. En pre­mière ins­tance, les juges ont mis en doute la capa­ci­té des moins de 16 ans à déci­der seul·es⁵ de prendre les blo­queurs en ques­tion, même si leur méde­cin estime qu’iels en sont capables. En décembre 2020, le NHS décide de sus­pendre l’accès à ce type de trai­te­ment pour toute per­sonne de moins de 16 ans n’ayant pas encore com­men­cé à le prendre. « J’étais en contact avec des parents d’enfants trans à l’époque, se sou­vient Katy Montgomerie. Iels avaient chan­gé de genre en mater­nelle ou à l’école pri­maire. Au col­lège ou au lycée, iels étaient des enfants ordi­naires, dont les ami·es ne savaient pas qu’iels étaient trans. Tout d’un coup, iels cou­raient le risque d’être outé·es et de voir leur corps chan­ger de façon irré­ver­sible. Comment leur expli­quer cela ? J’ai du mal à me remettre du fait que ces gens nous détestent autant. » En 2021, le juge­ment en appel ren­verse cette déci­sion, concluant qu’il revient « aux clinicien·nes plu­tôt qu’à la cour de déci­der de la com­pé­tence [de mineur·es de moins de 16 ans] à se voir pres­crire des inhi­bi­teurs de puber­té ». Mais les dif­fi­cul­tés d’accès aux soins demeurent. Même si les mineur·es sont censé·es avoir accès aux blo­queurs de puber­té, il leur faut attendre tel­le­ment long­temps qu’ils bas­culent sou­vent dans la liste d’attente d’accès aux soins des adultes.


« Le nombre d’enfants qui sou­haitent vivre dans un genre dif­fé­rent de celui qui leur a été assi­gné à la nais­sance est minime ! Faire croire le contraire relève de la panique morale, bâtie sur des faits inventés. »

Talia, ensei­gnante et réfé­rente LGBT+


Dans ce contexte dif­fi­cile, des militant·es des droits des per­sonnes trans tentent de résis­ter au mieux, et cherchent les moyens de contrer les argu­ments des réac­tion­naires sans ris­quer de s’exposer à la haine. « Ça n’arrivera jamais, mais j’adorerais réus­sir à faire dire à J.K. Rowling sur un pla­teau télé qu’elle déteste les per­sonnes trans et qu’elle aime­rait que leur nombre dimi­nue. Ce serait hor­rible, mais on y ver­rait plus clair », explique Katy Montgomerie. Elle fait ici réfé­rence à une pra­tique qui s’est déve­lop­pée à la télé­vi­sion bri­tan­nique depuis quelques années et qui consiste à impo­ser aux per­sonnes trans invi­tées un « débat » face à des interlocuteur·ices hos­tiles. De fait, elles se retrouvent som­mées de jus­ti­fier leur tran­si­den­ti­té⁶. « On se retrouve avec des gens qui hurlent à des femmes trans qu’elles ont un pénis. Une bonne par­tie des acti­vistes trans ont déci­dé, et c’est par­fai­te­ment com­pré­hen­sible, de ne plus débattre à la télé, mais je me demande par­fois si on ne risque pas ain­si d’être réduit·es au silence », poursuit-elle. Dans un contexte où les médias leur ferment la porte ou ne leur pro­posent pas des condi­tions accep­tables pour s’exprimer, nombre de per­sonnes trans se sont, à l’instar de Katy Montgomerie, façon­né des espaces où elles peuvent par­ler librement.

Shon Faye a aban­don­né sa car­rière d’avocate pour mili­ter et deve­nir jour­na­liste et autrice. En 2021, elle a publié The Transgender Issue : An Argument for Justice (Verso Books), un mani­feste pro-trans au suc­cès inat­ten­du dans lequel elle démonte patiem­ment les dif­fé­rents argu­ments trans­phobes. Quant à l’artiste Travis Alabanza, qui explore son iden­ti­té de per­sonne trans, noire et non binaire à tra­vers des per­for­mances drag et des pièces de théâtre, iel a publié en 2022 None of the Above: Reflections on Life Beyond The Binary (Canongate Books), une auto­bio­gra­phie qui revient sur sept phrases bles­santes qu’iel a enten­dues au cours de sa vie, afin de se les réap­pro­prier. Des figures qui donnent de l’espoir, selon Katy Montgomerie qui a qua­si­ment le même âge que la « Section 28 », cette série de lois pas­sée sous le gou­ver­ne­ment conser­va­teur de Margaret Thatcher en 1988 inter­di­sant notam­ment de faire la « pro­mo­tion » de l’homosexualité en en par­lant à l’école. Elle sou­ligne que les jeunes aujourd’hui ont plus de modèles trans à dis­po­si­tion, que ce soit en cou­ver­ture des maga­zines, par­mi les ­super-héros Marvel, ou en tête des charts, avec la chan­teuse alle­mande Kim Petras par exemple.

Manifs et actions en justice

Dans la rue, la résis­tance s’organise aus­si et prend de l’ampleur. Les mani­fes­ta­tions de lutte pour les droits des per­sonnes trans, comme le Trans Day of Remembrance qui se tient le 22 novembre, ras­semblent à chaque édi­tion de plus en plus de monde. « La der­nière Trans+ Pride, qui s’est tenue en juillet 2022 à Londres a ras­sem­blé entre 20 000 et 30 000 per­sonnes, c’est énorme », rap­pelle Natacha Kennedy, uni­ver­si­taire trans, autrice d’une thèse de socio­lo­gie sur les jeunes trans, ensei­gnante au Goldsmiths College, une uni­ver­si­té LGBT-friendly du sud de Londres. « Je n’arrivais pas à le croire, la foule s’étendait à perte de vue sur l’avenue Piccadilly, au cœur de la capi­tale. Les mani­fes­ta­tions me rendent opti­miste parce qu’elles ras­semblent tou­jours un tas de gens. »

En dehors des mani­fes­ta­tions, les orga­ni­sa­tions trans et LGBT+ mul­ti­plient les stra­té­gies pour sou­te­nir et défendre concrè­te­ment les per­sonnes trans vivant au Royaume-Uni. Mermaids gère par exemple un numé­ro d’urgence et un ser­vice de mes­sa­ge­rie ins­tan­ta­née. Gendered Intelligence orga­nise des acti­vi­tés spor­tives des­ti­nées aux jeunes trans et à leurs familles. L’association orga­nise des cours de nata­tion, acti­vi­té dans laquelle les per­sonnes trans sont sou­vent stig­ma­ti­sées. Quant au centre social lon­do­nien The Outside Project, il a ouvert le pre­mier refuge bri­tan­nique pour les per­sonnes LGBT+ n’ayant pas de domi­cile fixe en 2017⁷, et, au début de la pan­dé­mie de Covid-19, le pre­mier refuge pour per­sonnes LGBT+ vic­times de vio­lences domes­tiques. Le centre accueille des per­sonnes trans sus­cep­tibles d’être mal accueillies ou car­ré­ment inter­dites d’accès dans des struc­tures simi­laires. La lutte, enfin, se joue aus­si sur le plan juri­dique. Avec l’aide de l’ONG The Good Law Project, Gendered Intelligence a ain­si dépo­sé un recours contre le NHS d’Angleterre, arguant que les délais dans la prise en charge des per­sonnes trans étaient dis­cri­mi­na­toires. Cleo Madeleine, porte-parole de l’association, a assis­té aux audiences. « Cette action en jus­tice ne va pas tout résoudre, explique-t-elle, mais quelle que soit son issue, ce qui compte c’est de mon­trer aux membres de la com­mu­nau­té, qui ont le sen­ti­ment d’avoir été aban­don­nés par le gou­ver­ne­ment et le sys­tème de san­té, qu’on est en train de se battre. »

 


  1. Julie Bindel est une autrice et jour­na­liste fémi­niste anglaise âgée de 60 ans, connue pour son enga­ge­ment contre les vio­lences faites aux femmes.
  2. D’origine aus­tra­lienne, Germaine Greer, 89 ans, est une figure de la vie publique bri­tan­nique. Elle s’est fait connaître mon­dia­le­ment avec La Femme eunuque, un mani­feste fémi­niste publié en 1970.
  3. En octobre 2018, un édi­to­rial du Guardian sur le Gender Recognition Act a été cri­ti­qué par des jour­na­listes de la rédac­tion états-unien·ne du jour­nal qui lui repro­chaient de faire « la pro­mo­tion de posi­tions transphobes ».
  4. Les blo­queurs (aus­si appe­lés inhi­bi­teurs) de puber­té stoppent pro­vi­soi­re­ment l’apparition de carac­tères sexuels secon­daires (seins, règles, mous­tache…) ne cor­res­pon­dant pas au genre vécu par l’adolescent·e. Il ou elle peut ain­si che­mi­ner dans son ques­tion­ne­ment de genre, avant de déci­der, ou pas, de prendre un trai­te­ment hor­mo­nal de transition.
  5. En Grande-Bretagne, la capa­ci­té des jeunes de moins de 16 ans à prendre des déci­sions par elleux-mêmes, y com­pris en désac­cord avec leurs parents, est éva­luée à l’aune du concept de « mineur mûr » sou­vent uti­li­sé en droit médical.
  6. Des for­mats simi­laires ont fait leur appa­ri­tion en France. Le 15 octobre 2022, par exemple, dans son émis­sion « Quelle époque ! » sur France 2, Léa Salamé a orga­ni­sé un « débat » où Marie Cau, pre­mière maire trans de France, était confron­tée à l’activiste anti-trans Dora Moutot.
  7. Au Royaume-Uni, 24 % des jeunes sans domi­cile fixe s’identifient comme LGBT+.
Danser : l’émancipation en mouvement

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°10 Danser, de mai 2023. La Déferlante est une revue tri­mes­trielle indé­pen­dante consa­crée aux fémi­nismes et au genre. Tous les trois mois, en librai­rie et sur abon­ne­ment, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.
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