Royaume-uni : Résister à la haine anti-trans

En 2022, les agres­sions trans­phobes ont augmenté de 56 % au Royaume-Uni par rapport à l’année pré­cé­dente. Depuis une décennie, la trans­pho­bie s’intensifie outre-Manche, dans les médias et sous l’impulsion des terfs, ces mou­ve­ments fémi­nistes anti-trans. En réponse à la guerre idéo­lo­gique menée par le camp réac­tion­naire et face aux violences et au har­cè­le­ment quotidien, les militant·es trans et leurs allié·es orga­nisent la résistance.
Publié le 12 avril 2023
Manifestant·es pour les droits des personnes trans, devant le 10 Downing Street, à Londres le 21 janvier 2023. © Henry nicholls  / Reuters

« De combien de nos morts avez-vous besoin pour vous soucier de ce qui nous arrive ? » scandent les manifestant·es bran­dis­sant des bougies. Elles et ils sont une centaine rassemblé·es ce soir de la mi-février devant le dépar­te­ment de l’Éducation, à Londres, pour une veillée funèbre à la mémoire de Brianna Ghey, une jeune fille trans de 16 ans poi­gnar­dée quelques jours plus tôt à Werrington, au nord-ouest de l’Angleterre.

Plusieurs autres veillées funèbres et die-in ont été orga­ni­sées ce soir-là à travers le pays, laissant entendre le cri de colère des militant·es trans et de leurs allié·es contre le gou­ver­ne­ment conser­va­teur et la presse, accusé·es d’instaurer un climat de haine contre la com­mu­nau­té trans. Deux adolescent·es (une jeune fille et un jeune homme de 15 ans) ont été inculpé·es pour le meurtre de Brianna Ghey. La police a fini par concéder qu’il pouvait s’agir d’un crime de haine, alors qu’elle avait d’abord écarté cette piste.

Un mois plutôt, le 18 janvier 2023, plusieurs centaines de militant·es trans étaient réuni·es devant les grilles du 10 Downing Street, siège de la résidence offi­cielle du Premier ministre, le conser­va­teur Rishi Sunak. En cause : le blocage par le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique d’une loi de sim­pli­fi­ca­tion à l’accès au chan­ge­ment de genre adoptée en décembre 2022 par le Parlement écossais. Défendue par la Première ministre écossaise sociale-démocrate Nicola Sturgeon, la Gender Recognition Reform Bill est une réforme des condi­tions d’obtention du cer­ti­fi­cat de recon­nais­sance de genre (Gender Recognition Certificate). Conformément au principe d’autodétermination, les personnes trans ne sont plus tenues de présenter un diag­nos­tic médical de « dysphorie de genre » : une simple décla­ra­tion suffit. La demande peut être faite trois mois après que la personne concernée a commencé à vivre dans le genre qui lui cor­res­pond – au lieu de deux ans pré­cé­dem­ment. Enfin, l’âge minimal pour réclamer le cer­ti­fi­cat est abaissé de 18 ans à 16 ans. Cette loi fait de l’Écosse l’une des premières nations d’Europe, à légiférer pour dépa­tho­lo­gi­ser et sim­pli­fier les démarches de chan­ge­ment de genre, près de vingt ans après la loi de 2004 qui ins­ti­tuait la recon­nais­sance légale du chan­ge­ment de genre, le Gender Recognition Act, en vigueur dans tout le royaume. Inacceptable, pour le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique qui en mettant son veto à la loi écossaise, provoque une crise politique sans précédent.


« Maintenant, tous les deux ou trois mois j’entends parler de quelqu’un qui s’est suicidé. Pour une si petite com­mu­nau­té, ça fait beaucoup ! »

Jane Fae, militante trans


Produire des contenus haineux, ça assure le Buzz

Elle s’inscrit dans un climat de haine gran­dis­sant à l’égard des personnes trans depuis une décennie, avec pour prin­ci­pale consé­quence une grave dégra­da­tion de leurs condi­tions de vie. En témoigne la dégrin­go­lade du pays dans le clas­se­ment de l’International Lesbian and Gay Association (Ilga) qui défend les droits des personnes LGBT+ au niveau européen. En 2015, le Royaume-Uni arrivait en tête des États européens ; six ans plus tard, il n’occupe plus que la qua­tor­zième place du clas­se­ment. Parmi les raisons avancées par l’Ilga : l’incapacité du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique à réformer le Gender Recognition Act de 2004. Depuis plusieurs années, cette loi encadrant le chan­ge­ment de genre est décriée par les asso­cia­tions LGBT+ à cause du processus invasif et déshu­ma­ni­sant qu’elle fait subir aux personnes concer­nées lors des entre­tiens médicaux et psy­cho­lo­giques obli­ga­toires pour l’établissement d’un diag­nos­tic de dysphorie de genre. Par ailleurs, les personnes trans sont également touchées de plein fouet par la crise qui affecte le service de santé publique bri­tan­nique, le National Health Service (NHS) et qui s’est encore accentuée avec la pandémie de Covid-19. Le temps d’attente pour une première consul­ta­tion relative à une dysphorie de genre se compte en années, de même que le processus médical de tran­si­tion en lui-même.

« Les personnes trans tra­versent une période horrible, en par­ti­cu­lier celles qui reçoivent peu de soutien et n’ont pas accès à des espaces com­mu­nau­taires », témoigne Cleo Madeleine, militante trans qui vit à Norwich, ville moyenne de l’est du pays. Elle est porte-parole de Gendered Intelligence, une asso­cia­tion bri­tan­nique de soutien pour et par les personnes trans basées à Londres. « Cela entraîne chez certain·es une peur de sortir de chez soi, des dif­fi­cul­tés à aller chez le médecin ou à demander de l’aide en cas de besoin. Les effets sur leur santé mentale sont profonds. » L’une des raisons majeures de cette dété­rio­ra­tion est l’explosion de l’hostilité et de la violence trans­phobe sur les plateaux télé, les réseaux sociaux et dans les pages des tabloïds depuis quelques années. Une hostilité qui se traduit en actes : en 2022, les agres­sions trans­phobes ont explosé, aug­men­tant de 56 % par rapport à l’année pré­cé­dente, selon le Home Office, le ministère de l’Intérieur bri­tan­nique. C’est la plus forte hausse depuis 2011, année où ces données ont commencé à être recueillies. « Maintenant, tous les deux ou trois mois j’entends parler de quelqu’un qui s’est suicidé. Pour une si petite com­mu­nau­té, ça fait beaucoup ! », s’inquiète la militante trans vétérane Jane Fae par téléphone depuis sa petite ville de Letchworth, au nord de Londres. Affaiblie depuis l’épidémie de Covid-19, Jane est tenue de s’isoler chez elle. C’est de son domicile qu’elle dirige TransActual, une asso­cia­tion de défense des droits des personnes trans.

« Comment en est-on arrivé là ? », s’interrogent aujourd’hui nombre de militant·es. Pour Jane Fae, la campagne par­ti­cu­liè­re­ment toxique sur le réfé­ren­dum du Brexit en 2016 a créé un précédent. « Tout au long de cette campagne, les citoyen·nes ont été matraqué·es de mensonges au sujet des immigré·es. » Mentir, produire des contenus haineux, c’est s’assurer de faire le buzz. Or, au même moment, la Première ministre conser­va­trice Theresa May décidait de réformer la loi sur la recon­nais­sance du chan­ge­ment de genre, « cherchant un moyen facile de prouver qu’elle n’était pas si à droite que ça, après son alliance avec les ultra­con­ser­va­teurs unio­nistes en Irlande du Nord ». D’après Jane Fae, cette réforme aurait dû passer aisément mais, du fait d’une forte insta­bi­li­té gou­ver­ne­men­tale, les ministres chargé·es de l’Égalité ont démis­sion­né les un·es après les autres. « La réforme a alors attiré l’attention des médias conser­va­teurs, qui se sont mis à publier une série d’articles alar­mistes et com­plo­tistes pré­ten­dant, par exemple, que des hommes mal inten­tion­nés allaient se faire passer pour des femmes trans et faire irruption dans des espaces réservés aux femmes pour les violer », se souvient-elle.

Katy Montgomerie, ingé­nieure trans de 33 ans et célèbre militante pour les droits des personnes LGBT+ via sa chaîne YouTube, estime pour sa part que le gou­ver­ne­ment de droite s’est pro­gres­si­ve­ment rapproché de l’extrême droite, sous l’influence des guerres idéo­lo­giques agitées par les mou­ve­ments réac­tion­naires proches de Donald Trump. « Avec l’immigration, un de leurs thèmes de pré­di­lec­tion est la tran­si­den­ti­té. Sachant qu’en ce qui concerne la Grande-Bretagne, s’opposer aux droits des personnes gay n’est plus du tout “porteur” poli­ti­que­ment… »

Un mouvement Terf de plus en plus influent

C’est dans ce contexte qu’un petit groupe de fémi­nistes – parmi les­quelles la jour­na­liste Julie Bindel¹ ou l’universitaire Germaine Greer² – s’est mis à relayer ces discours trans­phobes. Les « terf s » (Trans-Exclusionary Radical Feminists), à l’origine issues de la gauche et des mou­ve­ments fémi­nistes mais qui s’engagent alors dans un mili­tan­tisme vio­lem­ment anti-trans, font rapi­de­ment des émules. L’exemple le plus connu est celui de la roman­cière à succès autrice de Harry Potter J.K. Rowling. Elle prend régu­liè­re­ment la parole sur les réseaux sociaux ou sur son blog pour s’atta­quer aux femmes trans sous prétexte qu’elles met­traient en danger les femmes cisgenres (personne dont l’identité de genre est en concor­dance avec le sexe assigné à la naissance). En 2022, elle a annoncé sa par­ti­ci­pa­tion au finan­ce­ment d’un lieu d’accueil exclu­si­ve­ment réservé aux femmes cisgenres à Édimbourg. Et ces derniers mois, elle s’est très ouver­te­ment engagée contre la loi écossaise en inter­pe­lant régu­liè­re­ment la Première ministre Nicola Sturgeon.

Des articles anti-trans dans les journaux progressistes

En quelques années, les réseaux terfs bri­tan­niques se sont struc­tu­rés et ont pris de l’ampleur. Déjà en 2017, l’organisation Women’s Place UK avait été créée pour s’opposer au projet de réforme du Gender Recognition Act et réclamer l’exclusion des femmes trans des lieux d’accueil des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Puis, en 2019, c’est la LGB Alliance qui est fondée, en oppo­si­tion à Stonewall, l’organisation LGBT+ la plus connue de Grande-Bretagne, qui a affiché son soutien aux personnes trans. C’est à cette période qu’une partie des asso­cia­tions spé­cia­li­sées dans les violences sexistes et sexuelles commence à ne plus accepter les personnes trans.

Avec cette montée en puissance, les arguments des militant·es terfs ont peu à peu imprégné l’opinion. Ainsi, Mumsnet, un forum en ligne à travers lequel des parents échangent des conseils, est devenu depuis 2015 un lieu pri­vi­lé­gié d’expression de propos trans­phobes. « J’ai l’impression que l’intégralité de notre paysage média­tique est devenue anti-trans », résume Katy Montgomerie. En une décennie, le nombre d’articles négatifs publiés a explosé, analyse pour sa part la vétérane Jane Fae, engagée dans Trans Media Watch, une asso­cia­tion qui étudie la repré­sen­ta­tion des personnes trans et inter­sexes dans la presse : « Entre 2010 et 2015, il y avait une centaine d’articles par an sur les personnes trans. Aujourd’hui on est à environ 6 000, c’est-à-dire plus que le nombre de personnes pourvues d’un cer­ti­fi­cat de chan­ge­ment de genre… » Même les journaux réputés pro­gres­sistes à l’image du Guardian³ ou du New Statesman publient des articles anti-trans.

Harcèlement de masse sut la questions des mineur·es

Conséquence de ce défer­le­ment média­tique, les militant·es et les asso­cia­tions de soutien aux personnes trans subissent un har­cè­le­ment quotidien et font parfois l’objet d’actions en justice.

Stonewall est aujourd’hui l’une des prin­ci­pales cibles du mouvement terf. Parmi les asso­cia­tions de défense des victimes de violences sexistes et sexuelles, rares sont celles qui déclarent encore publi­que­ment accueillir les personnes trans.

Depuis l’automne 2022, l’association Mermaids, qui soutient les enfants trans et leurs familles, est visée par une enquête de la Charity Commission, l’organisme chargé du suivi et du contrôle des orga­ni­sa­tions cari­ta­tives. Elle est accusée de nuire aux mineur·es et aux personnes vul­né­rables qu’elle soutient. Cette enquête fait suite à la publi­ca­tion en septembre 2022 d’un article du quotidien conser­va­teur The Telegraph affirmant que Mermaids four­nis­sait des binders (bandeaux de poitrine) à des jeunes trans sans le consen­te­ment de leurs parents. L’offensive se cris­tal­lise autour de cette question des mineur·es, laissant à penser, par exemple, qu’il serait facile pour les enfants d’accéder à des bloqueurs de puberté⁴ et qu’il faudrait par consé­quent les en protéger. La réalité, vu les délais d’attente du NHS, est tout autre. D’après l’ONG bri­tan­nique The Good Law Project, les mineur·es doivent attendre en moyenne plus de 18 mois pour un premier rendez-vous, ce qui signifie que beaucoup de jeunes trans tra­versent leur ado­les­cence sans avoir pu se faire prescrire des inhi­bi­teurs de puberté.

La justice veut s’en prendre aux bloqueurs de puberté

« Le nombre d’enfants qui sou­haitent vivre dans un genre différent de celui qui leur a été assigné à la naissance est minime ! Faire croire le contraire relève de la panique morale, bâtie sur des faits inventés », estime Talia – son prénom a été changé à sa demande –, ensei­gnante et référente LGBT+ dans une école lon­do­nienne, qui fait ici allusion à la récu­pé­ra­tion politique, par les militant·es anti-trans, d’une affaire qui s’est déroulée entre 2019 et 2020. Elle a opposé, d’une part, le Tavistock and Portman NHS Foundation, organisme public qui gère le seul service de chan­ge­ment d’identité de genre pour les mineur·es au Royaume-Uni, et d’autre part, Keira Bell, une femme de 23 ans qui a pris des bloqueurs de puberté à l’âge de 16 ans, puis entamé une tran­si­tion hormonale, avant de détran­si­tion­ner cinq ans plus tard. En première instance, les juges ont mis en doute la capacité des moins de 16 ans à décider seul·es⁵ de prendre les bloqueurs en question, même si leur médecin estime qu’iels en sont capables. En décembre 2020, le NHS décide de suspendre l’accès à ce type de trai­te­ment pour toute personne de moins de 16 ans n’ayant pas encore commencé à le prendre. « J’étais en contact avec des parents d’enfants trans à l’époque, se souvient Katy Montgomerie. Iels avaient changé de genre en mater­nelle ou à l’école primaire. Au collège ou au lycée, iels étaient des enfants ordi­naires, dont les ami·es ne savaient pas qu’iels étaient trans. Tout d’un coup, iels couraient le risque d’être outé·es et de voir leur corps changer de façon irré­ver­sible. Comment leur expliquer cela ? J’ai du mal à me remettre du fait que ces gens nous détestent autant. » En 2021, le jugement en appel renverse cette décision, concluant qu’il revient « aux clinicien·nes plutôt qu’à la cour de décider de la com­pé­tence [de mineur·es de moins de 16 ans] à se voir prescrire des inhi­bi­teurs de puberté ». Mais les dif­fi­cul­tés d’accès aux soins demeurent. Même si les mineur·es sont censé·es avoir accès aux bloqueurs de puberté, il leur faut attendre tellement longtemps qu’ils basculent souvent dans la liste d’attente d’accès aux soins des adultes.


« Le nombre d’enfants qui sou­haitent vivre dans un genre différent de celui qui leur a été assigné à la naissance est minime ! Faire croire le contraire relève de la panique morale, bâtie sur des faits inventés. »

Talia, ensei­gnante et référente LGBT+


Dans ce contexte difficile, des militant·es des droits des personnes trans tentent de résister au mieux, et cherchent les moyens de contrer les arguments des réac­tion­naires sans risquer de s’exposer à la haine. « Ça n’arrivera jamais, mais j’adorerais réussir à faire dire à J.K. Rowling sur un plateau télé qu’elle déteste les personnes trans et qu’elle aimerait que leur nombre diminue. Ce serait horrible, mais on y verrait plus clair », explique Katy Montgomerie. Elle fait ici référence à une pratique qui s’est déve­lop­pée à la télé­vi­sion bri­tan­nique depuis quelques années et qui consiste à imposer aux personnes trans invitées un « débat » face à des interlocuteur·ices hostiles. De fait, elles se retrouvent sommées de justifier leur tran­si­den­ti­té⁶. « On se retrouve avec des gens qui hurlent à des femmes trans qu’elles ont un pénis. Une bonne partie des acti­vistes trans ont décidé, et c’est par­fai­te­ment com­pré­hen­sible, de ne plus débattre à la télé, mais je me demande parfois si on ne risque pas ainsi d’être réduit·es au silence », poursuit-elle. Dans un contexte où les médias leur ferment la porte ou ne leur proposent pas des condi­tions accep­tables pour s’exprimer, nombre de personnes trans se sont, à l’instar de Katy Montgomerie, façonné des espaces où elles peuvent parler librement.

Shon Faye a abandonné sa carrière d’avocate pour militer et devenir jour­na­liste et autrice. En 2021, elle a publié The Transgender Issue : An Argument for Justice (Verso Books), un manifeste pro-trans au succès inattendu dans lequel elle démonte patiem­ment les dif­fé­rents arguments trans­phobes. Quant à l’artiste Travis Alabanza, qui explore son identité de personne trans, noire et non binaire à travers des per­for­mances drag et des pièces de théâtre, iel a publié en 2022 None of the Above: Reflections on Life Beyond The Binary (Canongate Books), une auto­bio­gra­phie qui revient sur sept phrases bles­santes qu’iel a entendues au cours de sa vie, afin de se les réap­pro­prier. Des figures qui donnent de l’espoir, selon Katy Montgomerie qui a quasiment le même âge que la « Section 28 », cette série de lois passée sous le gou­ver­ne­ment conser­va­teur de Margaret Thatcher en 1988 inter­di­sant notamment de faire la « promotion » de l’homosexualité en en parlant à l’école. Elle souligne que les jeunes aujourd’hui ont plus de modèles trans à dis­po­si­tion, que ce soit en cou­ver­ture des magazines, parmi les ­super-héros Marvel, ou en tête des charts, avec la chanteuse allemande Kim Petras par exemple.

Manifs et actions en justice

Dans la rue, la résis­tance s’organise aussi et prend de l’ampleur. Les mani­fes­ta­tions de lutte pour les droits des personnes trans, comme le Trans Day of Remembrance qui se tient le 22 novembre, ras­semblent à chaque édition de plus en plus de monde. « La dernière Trans+ Pride, qui s’est tenue en juillet 2022 à Londres a rassemblé entre 20 000 et 30 000 personnes, c’est énorme », rappelle Natacha Kennedy, uni­ver­si­taire trans, autrice d’une thèse de socio­lo­gie sur les jeunes trans, ensei­gnante au Goldsmiths College, une uni­ver­si­té LGBT-friendly du sud de Londres. « Je n’arrivais pas à le croire, la foule s’étendait à perte de vue sur l’avenue Piccadilly, au cœur de la capitale. Les mani­fes­ta­tions me rendent optimiste parce qu’elles ras­semblent toujours un tas de gens. »

En dehors des mani­fes­ta­tions, les orga­ni­sa­tions trans et LGBT+ mul­ti­plient les stra­té­gies pour soutenir et défendre concrè­te­ment les personnes trans vivant au Royaume-Uni. Mermaids gère par exemple un numéro d’urgence et un service de mes­sa­ge­rie ins­tan­ta­née. Gendered Intelligence organise des activités sportives destinées aux jeunes trans et à leurs familles. L’association organise des cours de natation, activité dans laquelle les personnes trans sont souvent stig­ma­ti­sées. Quant au centre social londonien The Outside Project, il a ouvert le premier refuge bri­tan­nique pour les personnes LGBT+ n’ayant pas de domicile fixe en 2017⁷, et, au début de la pandémie de Covid-19, le premier refuge pour personnes LGBT+ victimes de violences domes­tiques. Le centre accueille des personnes trans sus­cep­tibles d’être mal accueillies ou carrément inter­dites d’accès dans des struc­tures simi­laires. La lutte, enfin, se joue aussi sur le plan juridique. Avec l’aide de l’ONG The Good Law Project, Gendered Intelligence a ainsi déposé un recours contre le NHS d’Angleterre, arguant que les délais dans la prise en charge des personnes trans étaient dis­cri­mi­na­toires. Cleo Madeleine, porte-parole de l’association, a assisté aux audiences. « Cette action en justice ne va pas tout résoudre, explique-t-elle, mais quelle que soit son issue, ce qui compte c’est de montrer aux membres de la com­mu­nau­té, qui ont le sentiment d’avoir été aban­don­nés par le gou­ver­ne­ment et le système de santé, qu’on est en train de se battre. »

 


  1. Julie Bindel est une autrice et jour­na­liste féministe anglaise âgée de 60 ans, connue pour son enga­ge­ment contre les violences faites aux femmes.
  2. D’origine aus­tra­lienne, Germaine Greer, 89 ans, est une figure de la vie publique bri­tan­nique. Elle s’est fait connaître mon­dia­le­ment avec La Femme eunuque, un manifeste féministe publié en 1970.
  3. En octobre 2018, un éditorial du Guardian sur le Gender Recognition Act a été critiqué par des jour­na­listes de la rédaction états-unien·ne du journal qui lui repro­chaient de faire « la promotion de positions transphobes ».
  4. Les bloqueurs (aussi appelés inhi­bi­teurs) de puberté stoppent pro­vi­soi­re­ment l’apparition de carac­tères sexuels secon­daires (seins, règles, moustache…) ne cor­res­pon­dant pas au genre vécu par l’adolescent·e. Il ou elle peut ainsi cheminer dans son ques­tion­ne­ment de genre, avant de décider, ou pas, de prendre un trai­te­ment hormonal de transition.
  5. En Grande-Bretagne, la capacité des jeunes de moins de 16 ans à prendre des décisions par elleux-mêmes, y compris en désaccord avec leurs parents, est évaluée à l’aune du concept de « mineur mûr » souvent utilisé en droit médical.
  6. Des formats simi­laires ont fait leur appa­ri­tion en France. Le 15 octobre 2022, par exemple, dans son émission « Quelle époque ! » sur France 2, Léa Salamé a organisé un « débat » où Marie Cau, première maire trans de France, était confron­tée à l’activiste anti-trans Dora Moutot.
  7. Au Royaume-Uni, 24 % des jeunes sans domicile fixe s’identifient comme LGBT+.
Danser : l’émancipation en mouvement

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°10 Danser, de mai 2023. La Déferlante est une revue tri­mes­trielle indé­pen­dante consacrée aux fémi­nismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­ne­ment, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.
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