Alors que l’Euro féminin de football s’est ouvert le 6 juillet en Angleterre, nous avons interrogé Cécile Chartrain, joueuse et cofondatrice de l’équipe féministe Les Dégommeuses. Elle revient sur la place octroyée aux femmes et aux filles dans le football français et nous livre son analyse sur l’immense retard de ce milieu dans la lutte contre les stéréotypes de genre.
Comme lors de la Coupe du monde de 2019, tous les matchs de l’équipe de France seront diffusés en direct sur TF1. Le football féminin est-il devenu un sport populaire en France ?
Il y a eu, ces dernières années, des avancées indéniables dans la médiatisation et la perception du football féminin par le grand public. Lors de la Coupe du monde de 2019, Le match France-Brésil a réuni jusqu’à 12 millions de téléspectateur·ices devant la télévision. Les sponsors s’intéressent de plus en plus aux Bleues et on voit même, en ce moment, des effigies de joueuses de l’équipe de France à l’entrée de certains supermarchés, une chose qui était encore inimaginable il y a dix ans.
Mais si on regarde de plus près, les investissements de la Fédération française de football (FFF) et des clubs français pour les équipes féminines restent assez frileux comparés à ceux réalisés dans d’autres pays. Le Barça [le club de Barcelone] est parvenu à réunir plus de 90 000 personnes pour assister à des matchs féminins dans le stade du Camp Nou. En France, pays organisateur de la Coupe du monde en 2019, il n’y a même pas eu de campagnes d’affichage dignes de ce nom dans l’espace public. Et quand certains clubs ont demandé s’ils pouvaient communiquer sur l’évènement, la FFF leur a répondu qu’ils pouvaient télécharger des affiches et les imprimer eux-mêmes !
Les joueuses de football professionnelles sont très loin de gagner les mêmes salaires que leurs homologues masculins. Est-ce un sujet qui préoccupe les Dégommeuses ?
Sur le principe, en tant que féministes, on se doit d’exiger que les salaires et les primes des femmes [comme c’est le cas depuis peu en Espagne] soient alignés sur celles des hommes mais, en réalité, au sein des Dégommeuses on préférerait une harmonisation à un niveau médian. Quand on voit que les meilleures joueuses françaises gagnent autour de
30 000 euros brut par mois, finalement on trouve ça très correct. Ce sont les salaires des joueurs qui sont indécents ! Par ailleurs, l’ensemble des joueuses de première et deuxième divisions devrait toucher un salaire suffisant pour ne pas avoir à travailler en marge du football.
La présence des femmes sur les terrains de compétition a‑t-elle un impact sur les pratiques du football amateur ?
J’ai grandi dans les années1980 et j’ai joué au football pendant plusieurs années au milieu des garçons. Dans le Finistère où je vivais, il n’y avait pas de club ou de section dédiée aux filles et j’étais même la seule petite fille de tout le district à avoir une licence. Aujourd’hui, la FFF recense 200 000 licenciées contre 100 000 il y a encore dix ans. Il est évident que l’acceptabilité de la pratique féminine progresse, et que la médiatisation du football féminin a produit de nouveaux modèles pour les petites filles. Ces progrès sont observables en dehors même des terrains de foot, à la plage ou dans la rue, où il n’est plus rare de voir des filles taper dans la balle avec des garçons.
Néanmoins, il y a encore du boulot, car l’idée qu’il existe une hiérarchie entre les joueurs et les joueuses persiste. Sur les terrains municipaux que les Dégommeuses occupent, on doit régulièrement insister pour que les gars sortent du terrain avant et même pendant les matchs ! Il y a deux ou trois ans, j’allais tirer un corner quand l’un d’eux s’est posté derrière moi en me demandant ironiquement : « Tu veux que je le tire à ta place ? » C’est très symptomatique des résistances masculines et de la légitimité qu’on nous dénie sur les terrains.
Pourtant la Fédération française de football semble faire des efforts pour féminiser le football amateur… Que pensez-vous de leurs initiatives ?
Lorsque en 2009, la FFF a voulu attirer l’attention sur les performances des Bleues, elle a fait poser des joueuses nues et utilisé l’ex-mannequin Adriana Karembeu comme ambassadrice. Sur l’une des affiches, elle pose assise dans un vestiaire et remonte langoureusement sa chaussette le long de son mollet. Une autre la montre sur le terrain, en tenue de jeu avec un slogan : « Si tout le monde vous regarde, ce n’est pas parce que votre maquillage a coulé ». Dans la foulée, pour inciter les petites filles à jouer au football, la FFF a lancé une campagne de communication baptisée « le football des princesses ».Cela fait partie d’une stratégie qui vise à rassurer sur la féminité des joueuses, à montrer que, certes, elles pratiquent un sport traditionnellement considéré comme masculin mais que, indépendamment de cela, elles savent être féminines, désirables et rester à leur place. On a parfois l’impression que tout part de l’hypothèse que le supporter de foot est assis devant sa télévision pour voir des filles sexy sur le terrain et rien d’autre. C’est assez désespérant.
POUR INCITER LES PETITES FIILES AJOUER AU FOOTBALL LA FFF A LANCE LA CAMPAGNE “LE FOOTBALL DES PRINCESSES”
Dans ce contexte, comment faire évoluer les mentalités ?
Cette manière de voir le football féminin est rétrograde et produit du dépit et de l’exclusion pour toutes les joueuses qui n’ont pas envie de donner des gages de féminité sur le terrain. Il faudrait faire de la place pour une diversité de modèles, comme dans l’équipe nationale des États-Unis où on trouve aussi bien des joueuses comme Megan Rapinoe, qui assume son allure androgyne et son homosexualité, qu’Alex Morgan, qui a une expression de genre très féminine et dont on glorifie la capacité à combiner carrière sportive et statut de mère de famille.
Le football est un jeu et doit le rester, mais cela n’empêche pas de porter un regard critique sur ce milieu en affirmant qu’il est gangrené par les comportements sexistes, homophobes, transphobes et racistes. Notre but, chez les Dégommeuses, est d’intervenir dans les médias mais aussi à travers des actions de proximité à destination des jeunes pour aider à déconstruire les normes et les stéréotypes. Les dirigeants et encadrants sont le plus souvent des hommes blancs de plus de cinquante ans qui restent dans le déni total des problèmes. Il est temps de les bousculer et que ce sport devienne un lieu plus accueillant et épanouissant pour tout le monde !
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