Euro féminin de football : les stéréotypes de genre persistent

Publié le 08/07/2022

Modifié le 16/01/2025

J.E.E/SIPA

Alors que l’Euro féminin de football s’est ouvert le 6 juillet en Angleterre, nous avons interrogé Cécile Chartrain, joueuse et cofon­da­trice de l’équipe féministe Les Dégommeuses. Elle revient sur la place octroyée aux femmes et aux filles dans le football français et nous livre son analyse sur l’immense retard de ce milieu dans la lutte contre les sté­réo­types de genre. 

Comme lors de la Coupe du monde de 2019, tous les matchs de l’équipe de France seront diffusés en direct sur TF1. Le football féminin est-il devenu un sport populaire en France ?

Il y a eu, ces dernières années, des avancées indé­niables dans la média­ti­sa­tion et la per­cep­tion du football féminin par le grand public. Lors de la Coupe du monde de 2019, Le match France-Brésil a réuni jusqu’à 12 millions de téléspectateur·ices devant la télé­vi­sion. Les sponsors s’intéressent de plus en plus aux Bleues et on voit même, en ce moment, des effigies de joueuses de l’équipe de France à l’entrée de certains super­mar­chés, une chose qui était encore inima­gi­nable il y a dix ans.
Mais si on regarde de plus près, les inves­tis­se­ments de la Fédération française de football (FFF) et des clubs français pour les équipes féminines restent assez frileux comparés à ceux réalisés dans d’autres pays. Le Barça [le club de Barcelone] est parvenu à réunir plus de 90 000 personnes pour assister à des matchs féminins dans le stade du Camp Nou. En France, pays orga­ni­sa­teur de la Coupe du monde en 2019, il n’y a même pas eu de campagnes d’affichage dignes de ce nom dans l’espace public. Et quand certains clubs ont demandé s’ils pouvaient com­mu­ni­quer sur l’évènement, la FFF leur a répondu qu’ils pouvaient télé­char­ger des affiches et les imprimer eux-mêmes !

Les joueuses de football pro­fes­sion­nelles sont très loin de gagner les mêmes salaires que leurs homo­logues masculins. Est-ce un sujet qui préoccupe les Dégommeuses ?

Sur le principe, en tant que fémi­nistes, on se doit d’exiger que les salaires et les primes des femmes [comme c’est le cas depuis peu en Espagne] soient alignés sur celles des hommes mais, en réalité, au sein des Dégommeuses on pré­fé­re­rait une har­mo­ni­sa­tion à un niveau médian. Quand on voit que les meilleures joueuses fran­çaises gagnent autour de

30 000 euros brut par mois, fina­le­ment on trouve ça très correct. Ce sont les salaires des joueurs qui sont indécents ! Par ailleurs, l’ensemble des joueuses de première et deuxième divisions devrait toucher un salaire suffisant pour ne pas avoir à tra­vailler en marge du football.

La présence des femmes sur les terrains de com­pé­ti­tion a‑t-elle un impact sur les pratiques du football amateur ?

J’ai grandi dans les années1980 et j’ai joué au football pendant plusieurs années au milieu des garçons. Dans le Finistère où je vivais, il n’y avait pas de club ou de section dédiée aux filles et j’étais même la seule petite fille de tout le district à avoir une licence. Aujourd’hui, la FFF recense 200 000 licen­ciées contre 100 000 il y a encore dix ans. Il est évident que l’acceptabilité de la pratique féminine progresse, et que la média­ti­sa­tion du football féminin a produit de nouveaux modèles pour les petites filles. Ces progrès sont obser­vables en dehors même des terrains de foot, à la plage ou dans la rue, où il n’est plus rare de voir des filles taper dans la balle avec des garçons.
Néanmoins, il y a encore du boulot, car l’idée qu’il existe une hié­rar­chie entre les joueurs et les joueuses persiste. Sur les terrains muni­ci­paux que les Dégommeuses occupent, on doit régu­liè­re­ment insister pour que les gars sortent du terrain avant et même pendant les matchs ! Il y a deux ou trois ans, j’allais tirer un corner quand l’un d’eux s’est posté derrière moi en me demandant iro­ni­que­ment : « Tu veux que je le tire à ta place ? » C’est très symp­to­ma­tique des résis­tances mas­cu­lines et de la légi­ti­mi­té qu’on nous dénie sur les terrains.

Pourtant la Fédération française de football semble faire des efforts pour féminiser le football amateur… Que pensez-vous de leurs initiatives ?

Lorsque en 2009, la FFF a voulu attirer l’attention sur les per­for­mances des Bleues, elle a fait poser des joueuses nues et utilisé l’ex-mannequin Adriana Karembeu comme ambas­sa­drice. Sur l’une des affiches, elle pose assise dans un vestiaire et remonte lan­gou­reu­se­ment sa chaus­sette le long de son mollet. Une autre la montre sur le terrain, en tenue de jeu avec un slogan : « Si tout le monde vous regarde, ce n’est pas parce que votre maquillage a coulé ». Dans la foulée, pour inciter les petites filles à jouer au football, la FFF a lancé une campagne de com­mu­ni­ca­tion baptisée « le football des prin­cesses ».Cela fait partie d’une stratégie qui vise à rassurer sur la féminité des joueuses, à montrer que, certes, elles pra­tiquent un sport tra­di­tion­nel­le­ment considéré comme masculin mais que, indé­pen­dam­ment de cela, elles savent être féminines, dési­rables et rester à leur place. On a parfois l’impression que tout part de l’hypothèse que le supporter de foot est assis devant sa télé­vi­sion pour voir des filles sexy sur le terrain et rien d’autre. C’est assez désespérant.

POUR INCITER LES PETITES FIILES AJOUER AU FOOTBALL LA FFF A LANCE LA CAMPAGNE  “LE FOOTBALL DES PRINCESSES”

Dans ce contexte, comment faire évoluer les mentalités ?

Cette manière de voir le football féminin est rétro­grade et produit du dépit et de l’exclusion pour toutes les joueuses qui n’ont pas envie de donner des gages de féminité sur le terrain. Il faudrait faire de la place pour une diversité de modèles, comme dans l’équipe nationale des États-Unis où on trouve aussi bien des joueuses comme Megan Rapinoe, qui assume son allure androgyne et son homo­sexua­li­té, qu’Alex Morgan, qui a une expres­sion de genre très féminine et dont on glorifie la capacité à combiner carrière sportive et statut de mère de famille.
Le football est un jeu et doit le rester, mais cela n’empêche pas de porter un regard critique sur ce milieu en affirmant qu’il est gangrené par les com­por­te­ments sexistes, homo­phobes, trans­phobes et racistes. Notre but, chez les Dégommeuses, est d’intervenir dans les médias mais aussi à travers des actions de proximité à des­ti­na­tion des jeunes pour aider à décons­truire les normes et les sté­réo­types. Les diri­geants et enca­drants sont le plus souvent des hommes blancs de plus de cinquante ans qui restent dans le déni total des problèmes. Il est temps de les bousculer et que ce sport devienne un lieu plus accueillant et épa­nouis­sant pour tout le monde !

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