Au printemps 2023, Mediapart publiait les témoignages de 13 femmes accusant Gérard Depardieu de violences sexuelles ; des accusations que l’acteur nie catégoriquement. L’affaire a connu un rebond médiatique
le 7 décembre dernier avec la diffusion sur France 2 d’un numéro de l’émission « Complément d’enquête » intitulé La chute de l’ogre, ouvrant la voie à un affrontement entre détracteur·ices et soutiens à Gérard Depardieu, par tribunes de presse interposées. Jusqu’à l’Élysée, où Emmanuel Macron a exprimé son soutien à l’acteur, la polémique n’a, depuis, cessé d’enfler.
Qu’est-ce que l’effervescence autour de l’affaire Depardieu raconte des mobilisations féministes actuelles ?
Cette séquence raconte d’abord à quel point les violences sexuelles et sexistes font désormais partie du débat public. Cette formule « violences sexuelles et sexistes » a vu le jour à la fin des années 2010 avec #Metoo, mais les mobilisations féministes sur les violences sexuelles sont plus anciennes. On peut par exemple citer le combat, dans les années 1970, pour inscrire le viol dans la loi, ou, plus récemment, la dénonciation du meurtre de Marie Trintignant en août 2003.
Cette affaire renseigne aussi sur l’industrie du cinéma français, comme si les violences étaient consubstantielles de cet art. On parle d’un acteur qui agirait depuis des dizaines d’années.
Enfin, cette polémique montre une fois de plus le mécanisme de personnification à l’œuvre dans ces affaires avec un « monstre » – ici un « ogre » – qui serait une exception. Dans la continuité des autres affaires, les violences ne sont pas traitées de façon systémique. C’est toujours un « homme / monstre » dans un secteur particulier (#MeToo théâtre, #MeToo sport, #MeToo media), comme si on redécouvrait à chaque fois les violences dans différents secteurs. Comme si ça n’était pas une question qui secoue toute la société.
Une séquence de l’émission « Complément d’enquête » a été particulièrement commentée et partagée : celle où l’on voit Gérard Depardieu tenir des propos à connotation sexuelle sur une enfant qui monte à cheval : « Si elle galope, elle jouit », dit-il entre autres.
C’est très intéressant parce que ça montre que la question spécifique des violences faites aux mineur·es prend une place importante dans le débat public. Là encore, ça n’est pas nouveau et ça s’inscrit aussi dans la continuité des affaires passées : la sortie du Consentement de Vanessa Springora en janvier 2020 ou actuellement la diffusion de la série Icon of French Cinema de Judith Godrèche. Cela dit, on constate toujours cette difficulté dans l’espace médiatique à faire le lien entre ces différentes affaires.
« AVEC LA LOI IMMIGRATION PUIS SON SOUTIEN À DEPARDIEU, MACRON REMET EN CAUSE LES DROITS HUMAINS »
Emmanuel Macron lui-même a pris la parole, jetant le soupçon sur le travail journalistique d’une chaîne du service public et refusant « la chasse à l’homme » contre un acteur qui ferait « la fierté de la France ». Cette prise de parole présidentielle ne passe pas, pourquoi ?
L’une des spécificités réside dans la prise de parole d’Emmanuel Macron qui défend Gérard Depardieu, un homme accusé de violences. Quand il s’exprime [le 20 décembre sur France 5], on est quelques jours après le vote de la loi asile et immigration pour laquelle il est particulièrement critiqué, notamment parce que cette loi remet en cause des droits humains. Emmanuel Macron prolonge la remise en cause de ces droits humains en parlant d’un homme « qui rend fière la France ». C’est une prise de position de puissant à puissant. C’est un mépris de la grande cause du quinquennat au nom des personnes intouchables. Gérard Depardieu est patrimonialisé, il serait donc impensable de s’en prendre à lui. C’est aussi ce que disent les acteur·ices de la culture qui signent la tribune du Figaro.
Cette tribune a été coordonnée par le zémouriste Yannis Ezziadi, qui a réussi à fédérer les noms de 55 poids lourds du cinéma. Le mouvement #MeToo est-il une nouvelle cible pour l’extrême droite ?
C’est davantage une réactivation de réseaux qui existent depuis plusieurs années. L’extrême droite s’en était déjà prise à #MeToo avant cette tribune. Dans cette affaire, ce ne sont pas les hommes et les femmes politiques d’extrême droite qui ont pris position, car Emmanuel Macron l’a fait avant eux. En revanche, on a vu apparaître sur les plateaux télé des personnalités d’extrême droite comme Yannis Ezziadi, qui avait déjà soutenu Gabriel Maztneff en 2020.
Mais également des militantes d’extrême droite de moins de 30 ans à qui certains médias donnent la parole sans contradictoire, dans des débats polarisants qui ne permettent pas de penser la complexité de #MeToo.
Leur discours prend des formes nouvelles. Contrairement à Emmanuel Macron, elles ont un mot pour les victimes de Gérard Depardieu, ce qui apparaît comme une stratégie de respectabilité qui leur ouvre l’accès à l’espace public et médiatique. À la suite de leurs prises de parole publiques, elles assènent, notamment à l’aide de tweets, qu’il ne faut pas oublier les violences qu’elles qualifient d’« ordinaires », qui seraient issues d’une « masculinité particulière », venant des quartiers populaires et de l’immigration. Ces nouvelles stratégies diffèrent de ce qu’on a pu voir jusqu’à présent.
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