Crystal Chardonnay, Drag Queen à Lille

Publié le 31 mai 2023

Certaines drag queens parlent de sujets sérieux, touchants ou graves, ce n’est pas mon cas. Ou alors je le fais très rarement. Pour moi, un drag show, c’est comme un exutoire, autant pour la drag queen que pour le public. D’autant plus que je fais essen­tiel­le­ment des soirées pour des personnes queer, dont le quotidien n’est pas forcément facile. Donc, par le rire, on essaie d’expulser toute cette néga­ti­vi­té. Qu’importe le genre de la personne, l’idée, c’est vraiment qu’elle passe un bon moment. Le temps d’une soirée, on donne le droit aux gens d’être eux-mêmes, d’exprimer qui ils sont réel­le­ment, en leur offrant un envi­ron­ne­ment safe, le plus safe possible.

 

Du bar-tabac aux soiréex Bingo

C’est ça qui m’a donné envie de faire du drag. Quand j’ai commencé, il y a quatre ans, à Lille, je faisais partie des premiers. Je me suis d’abord produit dans un bar-tabac, puis dans des bars un peu plus grands avant d’avoir l’occasion d’organiser des soirées Bingo Drag au Saint-Sauveur [ancienne gare réha­bi­li­tée en lieu culturel]. Ça m’amusait beaucoup. Au fur et à mesure que je me pro­dui­sais, j’ai commencé à réfléchir à la place de chacun. C’est très compliqué pour une personne queer de trouver sa place dans la vie de tous les jours et les drags shows sont justement un moyen de relâcher la pression et de se retrouver avec des personnes qui nous res­semblent. C’est la raison pri­mor­diale pour laquelle je fais du drag, et c’est aussi la raison pour laquelle je veux faire rire le public. Le rire, c’est un truc hyper com­mu­ni­ca­tif et ça permet de trans­mettre une bonne énergie à tout le monde. Quand la salle rigole ça nous fait super plaisir et ça crée un réel échange. Il y a même des gens du public qui lancent des petites vannes !

Moi, pour faire rire les gens, je ne me repose pas sur mon aspect physique ou mon corps, j’ai une esthé­tique qui est assez tra­vaillée, qui n’est donc pas là pour faire rire. C’est plus au micro ou dans l’histoire que raconte la per­for­mance que je m’efforce d’être drôle.

Les drags shows peuvent être très dif­fé­rents, mais le plus simple pour entrer en matière, c’est vraiment de faire un bingo, classique. Comme quand tu joues avec ta grand-mère, sauf que là ce sont des drag queens qui pré­sentent. Imagine une soirée avec quatre parties, et à la fin de chaque partie t’as une drag queen qui passe un temps infini au micro à réciter des numéros. Ça paraît hyper barbant dit comme ça. Mais c’est justement là qu’il faut être le plus drôle !

Parfois, c’est vraiment pas compliqué, le rire est très spontané. Par exemple, dans l’un de mes derniers spec­tacles, j’ai performé sur la chanson René, Maurice et tous les autres de Corine [chanteuse de disco-pop] et pendant tout le début du jeu, il y avait juste la musique, très lan­ci­nante, un peu stellaire, et moi, à moitié caché derrière un drap que je tenais sous les yeux. Et juste ça, ça a fait rire plein de monde, alors que je n’avais même pas encore commencé. Donc le rire arrive très natu­rel­le­ment et on n’a plus qu’à rebondir dessus.

Les gens rient beaucoup avec nous et non de nous

Le jour de ma première scène, j’avais très très peur d’être moqué, surtout avec le stress, mais j’ai vite rigolé, même de moi-même. Je me rappelle que la scène était assez haute et qu’en voulant la descendre je me suis un peu tordu la cheville, bon bah, une fois que c’est fait, autant en rire. Et quand on est sur nos talons hauts, nous les drag queens, souvent on n’est pas très stables et les chutes font partie inté­grante de notre per­for­mance. Le public voit qu’on n’est pas à l’aise, il se moque et, en fait, ce n’est pas grave.
Il faut prendre ça à la légère, je ne pense vraiment pas que ce rire soit méchant. Moi, j’ai quand même l’impression que les gens rient beaucoup avec nous et non de nous. C’est peut-être aussi parce qu’on incarne plei­ne­ment notre per­son­nage, notre féminité, on n’est pas là pour cari­ca­tu­rer les femmes. Alors que dans la culture populaire, quand on pense à Zaza et Renato dans La Cage aux folles par exemple, j’ai l’impression que les per­son­nages jouent en se moquant des femmes, et les spec­ta­teurs se moquent d’eux à leur tour. Nous, on n’est pas du tout dans cette logique-là.

Notre rapport à ceux qui nous regardent est différent aussi. J’adore le moment après le show, où j’échange avec les personnes du public, qui parfois viennent pour la première fois et qui sont très inti­mi­dées. J’essaie de faire une blague le plus vite possible pour détendre l’atmosphère et parce qu’il n’y a rien de mieux pour briser la glace. •

Propos recueillis le 16 février 2022 à Lille par Nada Didouh, étudiante à l’École supé­rieure de jour­na­lisme de Lille, en alter­nance à La Déferlante. Dans la retrans­crip­tion de cet entretien, nous avons fait le choix de restituer les propos tenus sans les décliner en écriture inclusive.

Rire : peut-on être drôle sans humilier

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°6. La Déferlante est une revue tri­mes­trielle indé­pen­dante consacrée aux fémi­nismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­ne­ment, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.

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