Édith Cresson, une première ministre face au sexisme

Le 15 mai 1991, elle fut la première femme à accéder au poste de Première ministre en France. Édith Cresson restera moins d’un an à la tête du gou­ver­ne­ment socia­liste. Retour sur cet épisode éclair, carac­té­ri­sé par une violente haine sexiste.
Publié le 1 février 2024
ÉDITH CRESSON UNE PREMIÈRE MINISTRE FACE AU SEXISME
Une de Libération du 16 mai 1991. LIBÉRATION — Une de France Soir du 16 mai 1991. FONDS FRANCE SOIR / BHVP / ROGER-VIOLLET — Couverture de Paris Match du 30 mai 1991. CLAUDE AZOULAY / PARISMATCH / SCOOP

« Ils seront furieux. » En acceptant le poste de Première ministre, n’en déplaise aux barons socia­listes, Édith Cresson sait à quoi s’attendre (1). En ce mois de mai 1991, c’est la troisième fois qu’elle se rend à l’Élysée pour discuter de sa place dans le gou­ver­ne­ment. Elle a déjà été ministre de l’Environnement, puis ministre du Commerce extérieur et du Tourisme sous Mauroy, du Redéploiement indus­triel et du Commerce extérieur sous Fabius, et des Affaires euro­péennes sous Rocard. Elle aurait préféré les Finances, mais elle accepte avec courage cette promotion surprise. Le 16 mai 1991, Libération titre en cou­ver­ture : « Et Dieu nomma la femme ». « Les premières flèches qu’on lui a décochées n’ont même pas attendu une semaine », se rappelle son ancien conseiller, Jean-Paul Tran Thiet.

François Mitterrand est président depuis dix ans. Il lui reste encore quatre ans à la tête de l’exécutif et il veut donner un nouveau souffle à son second septennat en nommant celle qui a été maire, députée, euro­dé­pu­tée, conseillère générale et plusieurs fois ministre. Le lendemain de sa nomi­na­tion, selon un sondage Ifop, 77 % des personnes inter­ro­gées sont satis­faites de l’annonce. Raphaëlle Bacqué, qui fait alors ses débuts dans le jour­na­lisme politique, se souvient : « Ma mère était enchantée qu’Édith Cresson soit à la tête du gou­ver­ne­ment. Elle était de la géné­ra­tion des fémi­nistes qui s’étaient battues pour l’avortement. De ce point de vue, Mitterrand avait bien senti la société. »

Au début des années 1990, la France est en queue de peloton des pays européens concer­nant la présence des femmes en politique. Margaret Thatcher a accédé au pouvoir dix ans plus tôt au Royaume-Uni. Hormis Indira Gandhi en Inde – nommée Première ministre dès 1966, elle est assas­si­née en 1984 –, les femmes n’occupent aucun poste politique de premier plan dans le monde. Le président français entend « briser un tabou » et souhaite surtout écarter Michel Rocard, son Premier ministre, trop populaire à son goût auprès des Français·es. Or Édith Cresson, fidèle au leader socia­liste depuis les années 1960, est la seule à s’être publi­que­ment déso­li­da­ri­sée de Michel Rocard en quittant son gou­ver­ne­ment un an plus tôt. C’est donc d’abord sur sa loyauté que mise le président.

Propos hypersexualisants au quotidien

Sur le papier, Édith Cresson présente aussi un profil différent : « Elle est familière du monde de l’entreprise, analyse Michelle Perrot, his­to­rienne du féminisme. Or, les prin­ci­pales dif­fi­cul­tés de Mitterrand venaient de ce domaine. La com­pé­tence de Cresson en matière éco­no­mique était un avantage pour lui. » Au Parti socia­liste, on regarde pourtant d’un mauvais œil cette femme jugée trop proche du patronat. Pire, elle est toujours restée à l’écart des débats poli­tiques aux dif­fé­rents congrès du PS et ne bénéficie d’aucun·e allié·e dans sa majorité relative.
La Constitution prévoit que les membres du gou­ver­ne­ment soient désigné·es par le ou la chef·fe de l’État, sur pro­po­si­tion de Matignon. Première décon­ve­nue pour Édith Cresson : à son arrivée, les dés sont déjà jetés. « Le président avait une liste élaborée par Laurent Fabius », raconte-t-elle trente ans plus tard (2). Elle ne parvient à imposer que deux nouvelles per­son­na­li­tés : Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry. La presse y voit clair : L’Humanité parle de Pierre Bérégovoy, ministre des Finances et grand rival d’Édith Cresson comme du « Numéro 1 bis du gou­ver­ne­ment ».

Quelques jours plus tard, le 22 mai, Édith Cresson monte l’escalier la condui­sant à la tribune de l’Assemblée nationale où elle doit prononcer sa décla­ra­tion de politique générale. Son discours est mal reçu. Dans les com­men­taires des poli­tiques comme dans les médias, on lui reproche autant sa voix haut perchée que l’aspect tech­no­cra­tique de son discours. À la sortie de l’Hémicycle, le député François d’Aubert parle d’elle comme d’une « madame de Pompadour », du nom de la maîtresse et conseillère de Louis XV. Pour sa première interview télévisée au journal de 20 heures d’Antenne 2, le jour­na­liste Philippe Lefait enfonce le clou : « On vous a comparée à une favorite. »  La Première ministre, qui vient de rappeler à l’antenne que les femmes étaient aussi dotées d’un cerveau, ne cache pas son éton­ne­ment et répond, non sans humour : « Je suis peut-être la favorite, mais la favorite de mes électeurs. »

« On n’arrêtait pas de sous-entendre qu’elle n’était là que parce qu’elle était la bonne amie de Mitterrand, avec ce préjugé selon lequel les femmes n’ont d’influence ou n’accèdent au pouvoir que par le sexe », se souvient l’historienne Michelle Perrot. Dix ans aupa­ra­vant, alors que, ministre de l’Agriculture, elle se rendait à une réunion de la FNSEA, elle était déjà accueillie par cette banderole : « Édith on t’espère meilleure au lit qu’au ministère ». Lorsqu’elle devient Première ministre, les propos hyper­sexua­li­sants deviennent quo­ti­diens. Dans le « Bébête Show », l’ancêtre des « Guignols de l’info », qui réunit chaque soir entre 8 et 13 millions de télé­spec­ta­teurs sur TF1, Édith Cresson est repré­sen­tée en panthère lascive aux pieds de François Mitterrand. À son propos, la marion­nette du président parle en ces termes : « Je m’ennuie, alors la greluche, je la viole », ou encore : « Toi, tu vas reboucher ton trou et fous-nous la paix ! ».

Pas particulièrement féministe

Si la gauche s’est toujours appuyée sur les valeurs fémi­nistes dans sa quête de pouvoir, elle peine à mettre ces mêmes valeurs en œuvre une fois aux affaires. Après sa première élection en 1981, François Mitterrand a donné à Yvette Roudy un ministère des Droits de la femme et l’a posi­tion­née comme « ministre déléguée auprès du Premier ministre ». À cette militante féministe, on doit notamment le rem­bour­se­ment de l’interruption volon­taire de grossesse (IVG), la loi sur l’égalité pro­fes­sion­nelle, l’adoption en France du 8 mars comme Journée nationale des droits des femmes ou encore, un peu plus tard, la création d’une com­mis­sion pour la fémi­ni­sa­tion des titres et noms de métiers. Mais sa pro­po­si­tion d’un quota de 25 % de femmes aux élections locales est censurée par le Conseil consti­tu­tion­nel en 1982. « Mitterrand aimait les femmes, mais il aimait les femmes comme un homme aime les femmes à la manière d’autrefois, pas tellement pour les voir au pouvoir », avance Michelle Perrot. « Les années Mitterrand sont un demi-échec, analyse Mariette Sineau, direc­trice de recherche au Centre de recherches poli­tiques de Sciences Po. Les femmes sont alors les élues du Prince avant d’être les élues de la nation. »

Pas par­ti­cu­liè­re­ment féministe, Édith Cresson est reconnue pour sa poigne et son volon­ta­risme. La jour­na­liste et ancienne ministre de Valéry Giscard d’Estaing, Françoise Giroud, dit même dans Libération qu’« elle en a » : des qualités poli­tiques « viriles » qui la démarquent de son pré­dé­ces­seur Michel Rocard. Le Quotidien de Paris se gausse, Édith Cresson, c’est : « le style vraiment un-peu-popote-pieds-sur-terre. Non plus la langue de bois, mais la langue de veau char­cu­tière. » Elle est combative – une qualité indis­pen­sable dans ce contexte – mais incarne également une féminité populaire, illé­gi­time sous les plafonds dorés de la Ve République. Ce qui, selon L’Événement du jeudi, fait d’elle « une per­son­na­li­té dou­ble­ment déran­geante ».

C’est au sein de son propre camp que les trahisons sont les plus cruelles. Roland Dumas, son ministre des Affaires étran­gères, aurait, par exemple, rapporté à la presse une conver­sa­tion privée dans laquelle elle comparait les Japonais à des fourmis. Car, durant son mandat, la locataire de Matignon, à plusieurs reprises, tient des propos racistes ou homo­phobes, notamment en 1991, dans la presse bri­tan­nique ou à la télé­vi­sion états-unienne. La même année Jacques Chirac, alors maire de Paris, évoque « le bruit et l’odeur » de popu­la­tions immigrées dans son discours d’Orléans. La carrière de Cresson pâtit de telles décla­ra­tions. Pas celle de Chirac.

Dès janvier 1992, la rumeur du rem­pla­ce­ment de la Première ministre est sur toutes les lèvres. En mars, le PS perd suc­ces­si­ve­ment les élections régio­nales et can­to­nales. Cresson, elle, est réélue de justesse à Châtellerault, mais ça ne suffit pas. Le Monde a raconté les cir­cons­tances de cette démission forcée : « Voilà quelques heures qu’elle est à la foire de Hanovre où elle rencontre Helmut Kohl. Le haut-parleur dominant le brouhaha la réclame d’urgence pour un appel télé­pho­nique. À l’autre bout du fil, la conseillère de François Mitterrand, Anne Lauvergeon, lui apprend qu’on s’oriente vers “une solution Bérégovoy” pour la remplacer. Elle remettra sa démission le lendemain (3). »

Elle aura exercé moins de onze mois. Sur Antenne 2, la jour­na­liste Véronique Saint-Olive souligne sa pugnacité : « Édith Cresson se sera battue jusqu’au bout. » Au milieu de la vindicte média­tique de l’époque, la jour­na­liste est une des seules à remarquer les dif­fi­cul­tés bien par­ti­cu­lières d’exercice de la Première ministre.

Car pendant son mandat, Édith Cresson a dû tenir tête à ceux et celles qui la contre­di­saient dans sa propre équipe, notamment sur les dossiers liés à l’éducation qui concer­naient l’apprentissage et l’alternance – ses chevaux de bataille durant des années. « Quand elle a lancé ce projet, l’Éducation nationale s’y est opposée, relate Jean-Paul Tran Thiet. Pour le corps ensei­gnant, cela signi­fiait confier les élèves à des patrons sans foi ni loi pour les exploiter. Un certain nombre de très hauts res­pon­sables dans les milieux poli­tiques de l’époque disaient à Édith Cresson : “Pourquoi tu vas enqui­qui­ner des gens qui votent pour nous ?” » Elle avait pourtant le nez creux : trente ans plus tard, en 2022, plus de 830 000 contrats d’alternance étaient lancés.

La Première ministre n’a jamais trouvé de soutien au sein de son gou­ver­ne­ment et encore moins à l’Assemblée, où la pro­por­tion de femmes ne dépasse alors pas les 6 %. « Son mandat aurait sûrement été beaucoup moins violent avec plus de parité, analyse Françoise Gaspard. Les députés se per­met­taient tout et usaient de tous les noms. » En réalité, en dehors d’Yvette Roudy, peu de fémi­nistes sou­tiennent Édith Cresson à l’époque. « Elle m’appelait, on se parlait en tête à tête, se rappelle cette dernière. Elle me disait : “C’est dégueu­lasse ce que l’on vous fait”, et elle pro­tes­tait exté­rieu­re­ment aussi », raconte-t-elle dans le podcast Y’a pas mort d’homme.

La bataille de la parité

Édith Cresson est encore au gou­ver­ne­ment lorsque Françoise Gaspard, socio­logue, Claude Servan-Schreiber, jour­na­liste, et Anne Le Gall, militante, publient un ouvrage manifeste pour la parité en politique : Au pouvoir, citoyennes : liberté, égalité, parité (Seuil, 1992) qui sera suivi le 13 novembre 1993 par un Manifeste des 577 pour une démo­cra­tie paritaire dans les colonnes du Monde. En 1993, l’Assemblée nationale compte moins de femmes qu’en 1945. Mais, comme le raconte un échange retrans­crit dans Marie-Claire un an plus tard, François Mitterrand s’oppose à l’idée de parité : « Ne découpez pas la démo­cra­tie en tranches, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes, l’une pour les bruns, l’autre pour les blonds [sic]. » Impossible, en raison de ce refus pré­si­den­tiel, de « court-circuiter le machisme des partis pour féminiser les inves­ti­tures », déplore la politiste Mariette Sineau.


« Toute femme qui s’expose risque d’être traitée de pute. Toute femme visible est jugée sur son apparence et étiquetée mère, bonne copine, lesbienne, putain. Ça suffit. »

Manifeste des Chiennes de garde, mars 1999


 

Ce n’est qu’après son départ du gou­ver­ne­ment qu’Édith Cresson s’engage plei­ne­ment dans le combat pour la parité de genre en politique. En 1993, aux côtés de Simone Veil, elle signe la charte d’Athènes, un texte qui déclare : « Parce que les femmes repré­sentent plus de la moitié de la popu­la­tion, la démo­cra­tie impose la parité dans la repré­sen­ta­tion et l’administration des nations. » En 1996, elle fait partie des dix femmes signa­taires d’un manifeste trans­par­ti­san dans L’Express. Tant à gauche qu’à droite, l’idée d’une égale repré­sen­ta­tion des femmes et des hommes dans les assem­blées poli­tiques s’impose et une sororité de coulisses se met en place. Seule ministre femme du gou­ver­ne­ment Alain Juppé – on parle alors de « Juppette » – maintenue à son ministère en 1996, Corinne Lepage se souvient de déjeuners mensuels avec des femmes de gauche et de centre droit dont faisaient partie Simone Veil et Édith Cresson. « C’était un groupe d’entraide informel. Même lorsque j’avais beaucoup de travail au ministère, je m’arrangeais toujours pour être présente. »

Le principe de la parité est la première entaille faite à l’universalisme français. Gisèle Halimi le souligne à l’époque dans les colonnes du Monde : « S’il consiste, de façon abstraite, à ignorer la dif­fé­rence sexuelle, c’est-à-dire l’essentielle mixité du genre humain, alors il faut faire la critique phi­lo­so­phique et politique de l’universalisme et montrer que, toutes les fois qu’on efface la dif­fé­rence sexuelle, on identifie en réalité le genre humain à un seul sexe, celui de l’homme. » Devenu Premier ministre en 1997 d’un gou­ver­ne­ment de coha­bi­ta­tion sous Jacques Chirac, Lionel Jospin fait fina­le­ment voter en 2000 la loi « favo­ri­sant l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats élec­to­raux et fonctions électives ».

Entre coha­bi­ta­tion et gauche plurielle, on est alors en plein malaise démo­cra­tique, et la parité apparaît comme un ins­tru­ment indis­pen­sable au renou­vel­le­ment de la classe politique et de ses pratiques. Comme s’en amuse Christine Guionnet, maîtresse de confé­rences à l’université de Rennes, dans la revue Politix en 2002, « les femmes sont censées adopter une approche spé­ci­fique de la politique : un plus grand prag­ma­tisme, un rapport moins ambitieux, moins car­rié­riste à la politique, une volonté d’être plus efficaces dans leur rapport au temps, une plus grande faculté à entre­te­nir des relations de proximité… » Un prag­ma­tisme dont Édith Cresson s’est toujours reven­di­quée dans son action, à défaut d’avoir une vision pro­pre­ment féministe. Elle prétend ne jamais s’être imaginé un destin, contrai­re­ment à ses adver­saires de l’époque – Rocard, Fabius, Bérégovoy – et affirme ne pas avoir fantasmé sur les ors de la République comme elle l’expliquait au micro du podcast Vieille Branche en 2019 : « Les femmes veulent des résultats, elles sont moins sensibles aux signes exté­rieurs du pouvoir. Pour les hommes, ce qui compte énor­mé­ment, ce sont les tapis rouges, les plafonds dorés, les voitures qui font pin-pon. »

Des amendes plutôt que des femmes en tête de liste

En mars 1999, une autre femme politique, la ministre de l’Environnement Dominique Voynet est accueillie au Salon de l’agriculture par des insultes sexistes : « Enlève ton slip, salope ! » Plusieurs femmes issues du monde média­tique, intel­lec­tuel et politique (dont l’historienne Florence Montreynaud et l’autrice Isabelle Alonso) forment alors l’association des Chiennes de garde. Un nom volon­tai­re­ment outran­cier proposé par Florence Montreynaud pour dénoncer les insultes sexistes dans l’espace public, dix-sept ans après l’échec de la loi anti-sexisme proposée par Yvette Roudy. Dans Libération, une centaine de personnes signent leur manifeste : « Toute femme qui s’expose risque d’être traitée de pute. Toute femme visible est jugée sur son apparence et étiquetée mère, bonne copine, lesbienne, putain. Ça suffit. »

À la suite de cet épisode, plusieurs anciennes ministres en poste en 1991 font leur mea culpa par voie de presse, dans Le Monde du 12 février 2000. Élisabeth Guigou reconnaît : « J’étais ministre du gou­ver­ne­ment d’Édith Cresson et je n’ai pas réagi. Des années après, j’ai honte de mon inaction. » Roselyne Bachelot, elle aussi, fait part de ses remords, recon­nais­sant pourtant que « la soli­da­ri­té s’imposait ».

Encore aujourd’hui, à l’instar du parti Les Républicains, qui écope en 2018 d’une pénalité de 1,7 million d’euros, les partis poli­tiques tra­di­tion­nels de la Ve République préfèrent payer des amendes monu­men­tales plutôt que de placer des femmes en tête de liste. Quant à la pos­si­bi­li­té de briguer l’Élysée, rien de plus dur quand on est une femme : « L’imaginaire viril qui s’attache à la politique en France prend appui sur les ins­ti­tu­tions, analyse Mariette Sineau, coautrice de Femmes et République (4). Le président de la République concentre l’essentiel des pouvoirs et cela induit l’idée d’une incar­na­tion masculine de la politique, a fortiori lorsque la fonction est occupée par de Gaulle, à l’origine de ce modèle, qui incarne la figure de l’homme pro­vi­den­tiel. Ce régime, qui n’est ni par­le­men­taire ni pré­si­den­tiel, mais de type “pré­si­den­tia­liste”, est dur pour les femmes. »

Il faudra attendre l’élection d’Emmanuel Macron pour voir l’arrivée massive de femmes dans la chambre basse avec 38,8 % d’élues. Et 2022 pour qu’une femme, Élisabeth Borne, dirige à nouveau un gou­ver­ne­ment. En com­pa­rai­son avec Édith Cresson, la Première ministre a subi rela­ti­ve­ment peu d’attaques sexistes pendant son mandat de juillet 2022 à janvier 2024. Le mouvement #MeToo politique aurait-il fait effet ? Trente ans après son passage à Matignon, Édith Cresson confesse malgré tout un regret dans les rares inter­views qu’elle donne, telle celle accordée à Binge Audio en 2021 (5) : « Yvette Roudy me disait que j’avais tort, qu’il fallait se battre sur ces questions. Et aujourd’hui, je reconnais qu’elle avait raison. » 

 

Édith Cresson, l’industrieuse

Fraîchement diplômée de HEC pour filles, Édith Cresson rencontre François Mitterrand dans les années 1960. Elle le suit de la Convention des ins­ti­tu­tions répu­bli­caines (CIR) jusqu’au Parti socia­liste où elle devient secré­taire nationale chargée de la jeunesse et des étudiants.
En 1977, para­chu­tée, elle est élue maire de Thuré, dans la Vienne, avant de prendre la mairie de Châtellerault six ans plus tard. En 1979, elle rejoint le Parlement européen avec la première élection des euro­dé­pu­tés au suffrage universel direct.
Elle intègre la com­mis­sion de l’agriculture.
Après l’élection de François Mitterrand en 1981, Édith Cresson se voit confier le ministère de l’Agriculture, avant de prendre les commandes du Commerce extérieur et d’être nommée au Renouvellement indus­triel. Conserver les fleurons de l’industrie dans l’Hexagone sera son plus grand défi. Elle est ensuite nommée aux Affaires euro­péennes avant de claquer la porte suite à un désaccord avec Michel Rocard en 1990.
Après sa démission, en 1992, elle pour­sui­vra son action en faveur des écoles de la deuxième chance.

 


(1) Édith Cresson a raconté cet épisode dans de nom­breuses inter­views. Lire notamment l’article sur francetvinfo.fr du 15 mai 2021 : « Une femme à Matignon ? “Le pays est prêt mais la classe politique non” ».

(2) Y’a pas mort d’homme, épisode 1, série docu­men­taire écrite par Hélène Goutany et Fiona Texeire pour Programme B, Binge Audio, 2021.

(3) « Édith Cresson, la chute d’une pionnière », Le Monde, 20 août 2021.

(4) Femmes et République, essai collectif dirigé par Michelle Perrot, La Documentation française, 2021.

(5) Voir la note no 2.

Avorter : Une lutte sans fin

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Consultez le sommaire.

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