Est-ce que tu me suivras dans les flammes ?

En juin 2024, le collectif d’auteur·ices contemporain·es Poétesses Gang, visible sur Instagram, a proposé à dif­fé­rentes voix de la création poétique actuelle de publier des textes empreints de l’urgence. Nous repro­dui­sons ici celui de l’autrice, metteuse en scène et comé­dienne Laurène Marx.
Publié le 27 janvier 2025
Est-ce que tu me suivras dans les flammes ? Poésie de Laurène Marx.

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°17 Travailler, parue en février 2025. Consultez le sommaire.

Je ne deman­de­rai plus jamais à personne : « Est-ce que tu veux être mon ami·e ? » j’ai supplié tout le monde d’être mon amie, je n’ai obtenu que des pipes molles et des ten­dresses inutiles. 

Si vous étiez mes amis pendant tout ce temps, qu’avez-vous fait ? Et qu’avez-vous fait de mon amitié ? Vos sourires me font du mal, vous souriez au feu lorsqu’il vous lèche les lèvres. Pour vous le feu est une chaleur, pour moi il est une brûlure, à quoi servent les lèvres et à quoi sert un sourire ? Vous m’avez étouffée de baisers et de promesses, mais les promesses n’ont pas payé mon loyer et vos lèvres n’ont pas remboursé mon cœur. Un monde en flammes prouvera l’inutilité de votre bien­veillance. Je n’ai pas d’allié, je n’ai que les armes de mon cœur. Je n’ai jamais su vivre en temps de paix, et main­te­nant je ne veux savoir qu’une seule chose : est-ce que tu me suivras dans les flammes ?


Je ne suis pas violente, ne me dites plus que je suis violente. Je ne suis pas violente, je m’entraîne. Je ne suis pas violente, je suis en pleine pré­pa­ra­tion, quand tu vois mon regard froid et le sang qui coule de mes mots. Je ne suis pas violente, je m’entraîne à ce qu’ils me font subir tous les jours. Si tu crois que je suis violente, tu n’es pas mon amie. Et de toute façon, à quoi sert un ami qui a peur du feu quand vient le temps des flammes ? Si tu as peur, c’est normal mais je ne veux savoir qu’une seule chose : est-ce que tu me suivras dans les flammes ?

Je n’ai pas confiance en vous, je ne vous fais plus confiance, où étiez-vous quand ils m’ont convain­cue que j’étais laide ? Vous leur avez tendu la main pour prendre leur tem­pé­ra­ture, comme si c’était juste rentrer dans la piscine tout ça. Le problème, c’est votre habitude des piscines. Votre bien­veillance est l’arme de votre classe sociale. Moi j’ai grandi dans la crainte dévo­ra­trice des anges de feu et je n’ai plus jamais peur ni de dieu ni de me baigner dans la lave. Je ne veux plus vous laisser vous contenter de croire que votre dégoût de la violence est une prise de position. Votre manque de radi­ca­li­té, on l’emporte dans nos tombes. Je ne vous fais pas confiance. Je suis sortie de mon enfance séques­trée pour apprendre vos codes de bal­tringue. Je suis la grande pédale qui n’a pas pu naître. Il n’y a que dans le feu que je reconnais les visages. Je n’arrêterai jamais de gâcher mon temps libre à rager. Je ne vous fais pas confiance. Dis-moi, toi, est-ce que tu me suivras dans les flammes ? Le reste je m’en fous.

Laurène Marx

Femme trans non binaire, Laurène Marx est poétesse et autrice de plusieurs pièces de théâtre, dont Pour un temps sois peu (éditions Théâtrales, 2023). Elle est l’autrice du poème Est-ce que tu me suivras dans les flammes ? Voir tous ses articles

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Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°17 Travailler, parue en février 2025. Consultez le sommaire.