Panique morale

Décrite dès 1972 par le socio­logue sud-africain Stanley Cohen dans son essai Folks Devils and Moral Panics (non traduit), la panique morale désigne des épisodes d’inquiétude col­lec­tive – sans réelle base factuelle – durant lesquels « un incident, une personne ou un groupe de personnes sont brus­que­ment définis comme une menace pour la société, ses valeurs et ses intérêts ». Le mécanisme est simple, selon Cohen : des « entre­pre­neurs de morale » – c’est-à-dire des personnes ou des col­lec­tifs qui veulent modifier les normes du groupe social en se servant des médias comme caisse de résonance – pointent du doigt des com­por­te­ments ou des individus qu’ils éti­quettent comme déviants et dangereux. Loin d’encourager la réflexion, la panique morale déclenche peur, colère, répulsion. L’extrême droite y a régu­liè­re­ment recours pour attaquer les personnes LGBTQIA+ ou musulmanes.

Le fiasco des ABCD de l’égalité, ce programme péda­go­gique lancé en 2013, en France, pour lutter contre les sté­réo­types de genre à l’école, est un cas typique de panique morale. Comme le détaille la jour­na­liste Mathilde Blézat dans un article consacré au sujet, les polé­miques avaient pris des pro­por­tions déme­su­rées et abou­tirent à l’abandon du programme dès la fin de l’année scolaire 2013. « Apprentissage de la mas­tur­ba­tion, homo­sexua­li­té imposée, aussi bien que le chan­ge­ment de sexe […], la rumeur selon laquelle la “théorie du genre” […] serait en train de prendre d’assaut l’Éducation nationale se répand comme une traînée de poudre, de chaînes de SMS en vidéos sur les réseaux sociaux. Des parents paniquent, inter­pellent les enseignant·es désemparé·es, et vont même jusqu’à retirer leurs enfants de l’école lors de journées de mobi­li­sa­tion », écrit-elle.

Dans l’enquête « Complotisme et trans­pho­bie : l’alliance des haines », les jour­na­listes Perrine Bontemps et Victor Mottin montrent de leur côté comment, en France, les médias – notamment d’extrême droite et conser­va­teurs – entre­tiennent la panique morale sur les personnes trans en publiant « dans leurs colonnes de nom­breuses tribunes et inter­views visant “les dérives” d’une prétendue “idéologie trans­genre”». Pour la socio­logue Karine Espineira, cette panique est entre­te­nue par l’emploi sans aucune dis­tan­cia­tion de termes de l’extrême droite états-unienne, tels que : « tran­si­den­ti­fiés », « tran­sac­ti­vistes » ou « lobby trans ».

Pour aller plus loin

Céline Mavrot, Cédric Passard et Grégoire Lits (dir.), « Paniques morales. 50 ans après Stanley Cohen », Émulations. Revue de sciences sociales, no 41, juin 2022

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