Je suis passionnée de danse depuis ma toute petite enfance. Je n’ai jamais vraiment pris de cours, mais j’ai tout de suite enseigné, comme si c’était inné. Dans mon enseignement, j’ai été entourée de danseurs et danseuses venant d’horizons différents qui m’ont permis de trouver ma propre expression corporelle. J’ai été mère à 15 ans et ma maternité a toujours été liée à la danse. J’ai donné mon premier cours l’année de la naissance de ma fille et je l’emmenais partout avec moi. J’ai commencé à la Maison pour tous d’Angers [Maine-et-Loire], ma ville natale, avant d’enseigner tous les mercredis dans une école de danse du centre-ville. Voir les gens s’épanouir et se libérer d’un poids après l’école ou le travail me faisait grandir.
Je suis devenue chorégraphe à 16 ans pour les danseuses du Sporting Club de l’Ouest à Angers. Elles dansaient avant les matchs de football et pendant la mi-temps. J’ai aussi pu ouvrir mon école de danse et monter ma propre compagnie : le Ballet jazz, auquel même des gens du conservatoire participaient.
Je n’étais plus rien, je n’avais plus de muscles
On a fait les quatre cents coups à Angers avant de monter à Paris en 1989 avec un besoin d’évoluer. C’était la plaque tournante de la danse, tout s’y passait. La qualité et le professionnalisme des danseurs étaient impressionnants. Comme autodidacte, je devais me prouver à moi-même que j’étais à leur hauteur. On me connaissait pour ma rigueur. J’étais une femme forte. Mes cours d’assouplissement étaient très poussés, je cherchais toujours à aller au-delà de ce que les danseurs pouvaient faire.
J’ai commencé à avoir une certaine renommée dans le milieu, et j’ai pu m’exprimer au-delà de la France : en Europe, en Asie et en Amérique du Sud. J’ai appris à compter de 1 à 8 dans beaucoup de langues ! C’était un honneur d’être demandée. J’étais sollicitée pour donner des cours. J’ai aussi créé des tableaux de danse, réalisé des clips et des films et monté des comédies musicales pour de grandes compagnies. J’ai même monté mes propres spectacles, tous styles confondus.
En 2019, après une chute de plusieurs mètres, j’ai perdu l’usage de mes jambes. Je suis devenue paraplégique malgré de lourdes opérations risquées et de nombreux mois d’hospitalisation et de rééducation. Pour moi, je n’étais plus rien : je n’avais plus de muscles et je ne pouvais même pas m’asseoir. Quand on m’a proposé de danser et de donner des cours au centre de réadaptation, j’ai refusé. Entre 2019 et 2020, je n’ai pas dansé. J’ai d’abord dû me relever.
Les images du passé et la résilience du quotidien
Deux retrouvailles m’ont fait reprendre le chemin des studios de danse. Sur les bancs de la cafétéria du centre de réadaptation, j’ai rencontré un ancien élève que j’avais hébergé à Paris. Vingt ans après, il était devenu chorégraphe et réalisait un documentaire¹ où patients amputés et soignants du centre de réadaptation de Coubert [Seine-et-Marne] dansaient ensemble.
À mon retour du centre j’étais cloîtrée à la maison. Dehors, rien n’est adapté aux fauteuils roulants. Le hasard a fait qu’au même moment mon ancien binôme, Thierry Verger, habitait la maison en face de chez moi. Il m’a proposé de venir voir une de ses créations. J’ai tout de suite retrouvé les mêmes odeurs de transpiration. Les larmes ont coulé sur mes joues et sur celles des danseurs qui me connaissaient. La salle de danse, c’est ma maison. Assise, la danse me tient debout.
Aujourd’hui, je n’ai plus le même corps : les médicaments m’ont fait prendre beaucoup de poids, je n’ai plus de pouvoir sur mes jambes et ma voix est devenue plus grave. J’ai appris la danse en regardant les autres et j’enseignais en montrant. Aujourd’hui je n’enseigne plus, je ne sais pas comment faire sans montrer le mouvement. Ce serait une autre forme, plus pédagogique peut-être. Danser en fauteuil roulant serait un vrai challenge, mais pour l’instant je ne m’en sens pas capable. La chorégraphie est redevenue importante dans l’expression de mon art. J’en ai créé de nouvelles. Et tout a recommencé.
Une nouvelle histoire s’écrit à partir d’une page blanche. Sur scène, ma démarche est différente. Depuis que je chorégraphie dans mon fauteuil, j’ai un regard plus profond et mes créations sont meilleures. Comme si, à travers ces mouvements que je crée, mon histoire transpirait. J’aimerais faire une création en souvenir de mon accident, de tout ce que j’ai pu voir au centre de réadaptation, pour tous les accidentés de la vie. En attendant, je mets en scène les images du passé et la résilience du quotidien. Parce que j’ai compris que je n’arrêterai pas de chorégraphier. •
Propos recueillis le 16 janvier 2023 par Marie-Agnès Laffougère, journaliste en alternance à La Déferlante.
1. Dis-moi sur quel pied tu danses, je te dirai qui tu es… Documentaire de Philippe Ménard et Laurent Fontaine Czaczkes, en cours de réalisation.