- « Je me sens comme une huître : cette situation m’a complètement coupée de l’extérieur et m’a renfermée à l’intérieur de moi-même.
- « C’est vraiment très dur de ne pas pouvoir toucher mes enfants au parloir. »
– « Je déprime en cellule, toute la journée seule, à ne rien faire. »
– « Depuis la pandémie, les problèmes psychologiques des détenues ont augmenté. Toutes ces restrictions font croître la négativité des prisonnières, nous sommes plus en colère, plus effrayées. »
– « C’est très lourd de porter le masque toute la journée. Je sais qu’à l’extérieur aussi c’est obligatoire, mais chez eux, les gens peuvent l’enlever, tandis que nous le portons toute la journée. Et si on ne le porte pas, on risque des punitions et la perte de jours de liberté. »
– « On a moins de parloirs qu’avant la pandémie. »
– « Quand on sort en permission, même si ce n’est que pour une démarche de deux heures, nous sommes obligées de rester 14 jours confinées ! Même si on n’a touché personne, même si on n’est pas un cas contact, même si on n’est pas symptomatiques… C’est honteux ! Pourquoi on nous punit pour rien ? »
– « Nous sommes de plus en plus enfermées, ils en profitent pour réduire nos droits, même les droits les plus fondamentaux nous sont refusés. »
– « L’administration refuse de prendre notre température ou de nous faire faire des tests [PCR] qui permettraient de nous éviter un confinement injustifié : ils nous enferment et un point c’est tout. C’est scandaleux ! »
– « Moi je n’ai plus envie de sortir en permission, pour éviter le confinement. »
– « J’ai peur que, une fois que la pandémie sera passée, on ne récupère pas nos droits perdus. »
– « C’est encore plus dur pour les personnes qui ne savent pas lire ou écrire, elles n’ont rien à faire d’autre que regarder la télé toute la journée. »
– « Plus que jamais, j’ai besoin de toucher, embrasser, baiser… Le contact humain me manque trop ! Au lieu de ça, ils essaient de nous acheter en nous proposant une vie artificielle : on nous organise des visioconférences qui ne marchent jamais correctement (c’est tellement frustrant !) et on nous laisse la télé gratis (d’habitude nous payons la télé assez cher)… C’est comme ça qu’ils nous veulent : toute la journée à regarder la télé ! En fait, la télé est l’arme habituelle contre les prisonnières, pour nous contrôler encore et encore. »
– « D’habitude, nous les femmes incarcérées, nous sommes traitées comme des enfants, mais là, la prison est vraiment devenue une crèche ! »
– « À cause du manque de contact humain, on devient un peu sauvages. »
– « Je voudrais dénoncer l’attitude des surveillantes : elles menacent nos familles au parloir si elles enlèvent leur masque, même les enfants, même si c’est pour un moment, et même s’il y a un plexiglas qui nous sépare… tandis qu’elles l’enlèvent quand ça leur chante, elles se regroupent à plusieurs dans leurs bureaux tandis que nous ne pouvons pas aller à l’école, pour éviter les regroupements. »
– « On dit que la situation dans les prisons est un indicateur du niveau démocratique des États : eh bien avec la pandémie, on a bien vu le niveau démocratique de la France ! »
– « J’ai envie de crier à tout le monde : “ON EXISTE !” Nous sommes les oubliées des oublié·es. »
Les prisons françaises sont des endroits de non-droit
Ce sont les commentaires des femmes incarcérées à la prison de Rennes à qui j’ai demandé de me livrer leur ressenti sur cette période de pandémie en détention. Les témoignages que j’ai récoltés évoquent différentes étapes de cette crise. Nous sommes restées trois mois sans parloirs, un an sans UVF¹, et la plupart du temps presque sans activité.
Pendant cette année et demie, nous avons beaucoup entendu parler des conséquences de la crise sanitaire (qui est aussi une crise écologique, sociale et économique et la crise du système hétéropatriarcal et capitaliste !) pour les Français·es, mais encore une fois, ce qui arrive à l’intérieur des murs de la prison, personne n’en parle. Personne ne nous a demandé comment nous, détenu·es, avions vécu la pandémie. Ce qui se passe à l’intérieur des prisons reste à l’intérieur. Nous avons besoin de briser cette invisibilité pour en finir avec l’isolement des prisonniers et des prisonnières, et pour mettre fin une fois pour toutes à l’impunité des surveillant·es et de l’administration pénitentiaire face aux injustices intra-muros : le non-respect des droits fondamentaux, le manque d’hygiène, la surpopulation, les violences faites aux détenu·es. Les prisons françaises sont aussi des endroits de non-droit. Si la conscience est le premier pas pour agir, je vous invite à ouvrir les yeux et à regarder ce qui se passe entre ces murs. Cette chronique est une fenêtre qui s’ouvre.
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¹ Les unités de vie familiale (UVF) sont des appartements de petite taille aménagés à l’intérieur de la prison, dans lesquels les détenu·es qui n’ont pas de permission de sortie peuvent recevoir leur famille ou leurs proches, sous réserve de l’accord du juge d’application des peines.