Ouh Ouh !

Dans toutes les familles, il y a des enfants qui arrachent des rires et les enfants qui récoltent des grimaces. La nar­ra­trice le sait bien : son petit frère ne cesse de faire s’esclaffer ses parents, alors qu’elle ne reçoit de leur part qu’une attention polie. Prête à tout pour prouver qu’elle est drôle, elle va découvrir que le rire est l’arme du diable.

Dès que mon frère ouvrait la bouche, mes parents fondaient. Sourire aux lèvres, larmes au coin des yeux, regards émus échangés, Qu’est-ce qu’il est drôle ! Vlan ! Je prenais ça dans la figure.

J’avais huit ans, Charles, mon frère, en avait quatre. Nous habitions rue Nobel, à Paris, dans le 18e arron­dis­se­ment. C’était un petit trois-pièces sans salle de bains. Nous nous lavions au bidet et la vie s’écoulait sans que je me demande si une douche aurait changé quoi que ce soit dans mon existence. Les choses qui n’existent pas, nous ne les désirons pas. À huit ans, ce n’était pas le sujet dans la cour de récréa­tion. Le sujet, c’étaient les garçons qui ouvraient les portes des toilettes sans verrou pour voir les filles faire pipi. Le sujet, c’étaient les rires que ça pro­vo­quait quand l’un d’eux avait surpris une fille qui n’avait pas réussi à se faire accom­pa­gner par une copine pour lui tenir la porte. Tout le monde riait, y compris les autres filles, trop heureuses de ne pas être celle sur laquelle la honte venait de tomber comme un couperet. La sororité, une blague ! On y repense des années plus tard, et on déteste son rire mou­ton­nier. Parce que, oui,moi aussi je m’étais moquée de cette fille qui avait accordé sa confiance au monde entier, ou qui, peut-être, n’avait pas l’amie qui aurait accepté de la protéger.
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