La photographe Nona Faustine visibilise l’histoire de l’esclavage

Publié le 28 juillet 2023

Dans sa série White Shoes, l’artiste africaine-américaine Nona Faustine se confronte à l’histoire de l’oppression raciste. À New York, elle pho­to­gra­phie des lieux et des bâtiments, ni spec­ta­cu­laires ni connus pour leur histoire, afin de donner à voir le rôle central qu’ils ont joué dans la traite des esclaves. Dans cette optique, Nona Faustine documente avec précision leur impli­ca­tion dans le système escla­va­giste : site de vente aux enchères d’hommes, de femmes et d’enfants, fermes d’esclaves, sites côtiers où accos­taient les navires négriers. Ces auto­por­traits mis en scène rendent un corps et une voix à celles et ceux qui ont disparu, mais aussi à celles et ceux qui en portent l’héritage à présent. L’artiste rend tangible la com­plexi­té de l’histoire de l’esclavage, de ses parties exposées à celles qui sont cachées, voire invisibles.

 

Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« Walk To Freedom Frederick Douglass » (Marche vers la liberté Frederick Douglass), Church St & Lispenard St, NYC, 2015. Nona Faustine se met ici en scène dans les pas de Frederick Douglass. Cet ancien esclave abo­li­tion­niste explique dans son auto­bio­gra­phie que c’est en arrivant à cet endroit,en 1838, alors qu’il se rend chez son camarade de lutte David Ruggles, qu’il se sent « en terre libre ». Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« Like A Pregnant Corpse The Ship Expelled Her Into The Patriarchy » (Comme une dépouille en gestation le bateau l’a expulsée vers le patriarcat), Atlantic Coast, Brooklyn. Rappelant la déshumanisation à chacune des étapes de l’esclavage, Nona Faustine met en scène son corps comme rejeté par le bateau après la traversée, sur la côte atlantique de Brooklyn, où étaient débarquées les personnes réduites en esclavage. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« Like A Pregnant Corpse The Ship Expelled Her Into The Patriarchy » (Comme une dépouille en gestation le bateau l’a expulsée vers le patriar­cat), Atlantic Coast, Brooklyn. Rappelant la déshu­ma­ni­sa­tion à chacune des étapes de l’esclavage, Nona Faustine met en scène son corps comme rejeté par le bateau après la traversée, sur la côte atlan­tique de Brooklyn, où étaient débar­quées les personnes réduites en esclavage. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« Benevolent spirits, tracing steps free bare feet from this world to the other » (Des esprits bienveillants, esquissant des pas libres pieds nus de ce monde à l’autre), 2021. Les chaussures blanches, les white shoes, qui jalonnent l’ensemble de ce travail et donnent leur nom à la série, suggèrent les nombreuses adaptations à la culture blanche dominante qui ont été et sont encore exigées des personnes racisées. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« Benevolent spirits, tracing steps free bare feet from this world to the other » (Des esprits bien­veillants, esquis­sant des pas libres pieds nus de ce monde à l’autre), 2021. Les chaus­sures blanches, les white shoes, qui jalonnent l’ensemble de ce travail et donnent leur nom à la série, suggèrent les nom­breuses adap­ta­tions à la culture blanche dominante qui ont été et sont encore exigées des personnes racisées. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« There are few markers left but your black body is the marker. The land does hold the memory of your existence. You only have to put it there in its natural state to remember – Harriet Tubman »(Il reste peu de traces mais ton corps noir en est une. La terre conserve la mémoirede ton existence. Il suffit d’y placer ton corps à l’état naturel pour te souvenir – Harriet Tubman), Sylvester Manor, Shelter Island, New York, 2021. Sur cette île Shelter s’étendait une plantation où des Africain·es réduit·es en esclavage et des peuples des Premières Nations travaillaient, vivaient, mouraient et étaient enterré·es. Cette terre avait été prise au peuple Manhasset, ses premier·es habitant·es, malgré leurs protestations. En 1737, des personnes esclavisées y construisirent ce manoir pour Brinkley Sylvester, dont le grand-père – Nathanial Sylvester, un colon anglais – et le grand-oncle possédaient deux plantations à la Barbade, 8 000 acres de l’île de Shelter et 200 esclaves. Le dernier d’entre eux a été libéré en 1820. Des nombreuses personnes réduites en esclavage qui ont laissé leur empreinte sur cette terre, il ne nous reste que les noms : Hannah, Jacquero, Hope, Isabell, Obium, Semnie, Tammero, Oyou, Comus, Matilda – et bien d’autres encore. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« There are few markers left but your black body is the marker. The land does hold the memory of your existence. You only have to put it there in its natural state to remember – Harriet Tubman »(Il reste peu de traces mais ton corps noir en est une. La terre conserve la mémoire de ton existence. Il suffit d’y placer ton corps à l’état naturel pour te souvenir – Harriet Tubman), Sylvester Manor, Shelter Island, New York, 2021. Sur cette île Shelter s’étendait une plan­ta­tion où des Africain·es réduit·es en esclavage et des peuples des Premières Nations tra­vaillaient, vivaient, mouraient et étaient enterré·es. Cette terre avait été prise au peuple Manhasset, ses premier·es habitant·es, malgré leurs pro­tes­ta­tions. En 1737, des personnes escla­vi­sées y construi­sirent ce manoir pour Brinkley Sylvester, dont le grand-père – Nathanial Sylvester, un colon anglais – et le grand-oncle pos­sé­daient deux plan­ta­tions à la Barbade, 8 000 acres de l’île de Shelter et 200 esclaves. Le dernier d’entre eux a été libéré en 1820. Des nom­breuses personnes réduites en esclavage qui ont laissé leur empreinte sur cette terre, il ne nous reste que les noms : Hannah, Jacquero, Hope, Isabell, Obium, Semnie, Tammero, Oyou, Comus, Matilda – et bien d’autres encore. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« Dorothy Angola, Stay Free, In Land Of The Blacks » (Dorothy Angola, reste libre, au Pays des Noirs), Minetta Lane, Village, NYC, 2021. Nona Faustine se met en scène à Minetta Lane, à Greenwich Village, où Dorothy Angola fut l’une des premières femmes esclavisées débarquées par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, entre 1626 et 1640, dans ce qui n’était pas encore New York. Après son affranchissement partiel, Dorothy Angola s’est battue en justice pour garantir à ses enfants l’héritage de ses terres. Elles étaient situées à un kilomètre de La Nouvelle-Amsterdam, au « Pays des Noirs », là où se dresse aujourd’hui le Village. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« Dorothy Angola, Stay Free, In Land Of The Blacks » (Dorothy Angola, reste libre, au Pays des Noirs), Minetta Lane, Village, NYC, 2021. Nona Faustine se met en scène à Minetta Lane, à Greenwich Village, où Dorothy Angola fut l’une des premières femmes escla­vi­sées débar­quées par la Compagnie néer­lan­daise des Indes occi­den­tales, entre 1626 et 1640, dans ce qui n’était pas encore New York. Après son affran­chis­se­ment partiel, Dorothy Angola s’est battue en justice pour garantir à ses enfants l’héritage de ses terres. Elles étaient situées à un kilomètre de La Nouvelle-Amsterdam, au « Pays des Noirs », là où se dresse aujourd’hui le Village. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« She was a culmination of all things in heaven and earth, how many times had she been here before » (Elle était la somme de toutes choses sur la terre comme au ciel, combien de fois était-elle déjà passée par là), Seneca Village, Central Park, NYC, 2021. Avant la création de Central Park, Seneca Village était la plus grande communauté de propriétaires africains-américains. Ses habitant·es ont construit des maisons, des églises et des écoles. Ils et elles disposaient également d’un cimetière, à l’emplacement actuel de Central Park West, de la 82e à la 89e Rue. La ville de New York en a revendiqué le droit de propriété et y a construit Central Park en 1858, mais, explique Nona Faustine, « après avoir mené une campagne de désinformation contre les habitant·es à qui elle prenait les terres pour s’attirer les faveurs de l’opinion publique ». Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« She was a culmi­na­tion of all things in heaven and earth, how many times had she been here before » (Elle était la somme de toutes choses sur la terre comme au ciel, combien de fois était-elle déjà passée par là), Seneca Village, Central Park, NYC, 2021. Avant la création de Central Park, Seneca Village était la plus grande com­mu­nau­té de pro­prié­taires africains-américains. Ses habitant·es ont construit des maisons, des églises et des écoles. Ils et elles dis­po­saient également d’un cimetière, à l’emplacement actuel de Central Park West, de la 82e à la 89e Rue. La ville de New York en a reven­di­qué le droit de propriété et y a construit Central Park en 1858, mais, explique Nona Faustine, « après avoir mené une campagne de dés­in­for­ma­tion contre les habitant·es à qui elle prenait les terres pour s’attirer les faveurs de l’opinion publique ». Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« ... a thirst for compleat freedom... had been her only motive for absconding, Oney Judge » (… sa soif de liberté totale… a été l’unique raison de sa fuite, Oney Judge), Federal Hall, NYC, 2016. Nona Faustine incarne Oney Judge (1773-1848), devant le Federal Hall de New York, en 2016. Réduite en esclavage par George Washington, Oney Judge est devenue servante de Martha Washington, l’épouse du premier président des États-Unis d’Amérique. Au début des années 1830, elle s’échappa de la maison présidentielle lorsqu’elle apprit que Martha Washington s’apprêtait à transférer son titre de propriété à sa petite-fille. Dans une interview de 1845, elle raconte son évasion : « Tandis que [les propriétaires] faisaient leurs bagages pour aller en Virginie, je faisais les miens pour partir, je ne savais pas où, car je savais que si je retournais en Virginie, je n’obtiendrais jamais ma liberté. J’avais des ami·es parmi les gens de couleur de Philadelphie, j’ai fait porter mes affaires à l’avance et j’ai quitté la maison des Washington pendant que la famille dînait. ». Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« … a thirst for compleat freedom… had been her only motive for abs­con­ding, Oney Judge » (… sa soif de liberté totale… a été l’unique raison de sa fuite, Oney Judge), Federal Hall, NYC, 2016. Nona Faustine incarne Oney Judge (1773–1848), devant le Federal Hall de New York, en 2016. Réduite en esclavage par George Washington, Oney Judge est devenue servante de Martha Washington, l’épouse du premier président des États-Unis d’Amérique. Au début des années 1830, elle s’échappa de la maison pré­si­den­tielle lorsqu’elle apprit que Martha Washington s’apprêtait à trans­fé­rer son titre de propriété à sa petite-fille. Dans une interview de 1845, elle raconte son évasion : « Tandis que [les pro­prié­taires] faisaient leurs bagages pour aller en Virginie, je faisais les miens pour partir, je ne savais pas où, car je savais que si je retour­nais en Virginie, je n’obtiendrais jamais ma liberté. J’avais des ami·es parmi les gens de couleur de Philadelphie, j’ai fait porter mes affaires à l’avance et j’ai quitté la maison des Washington pendant que la famille dînait. ». Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« They Tagged the Land with Trophies and Institutions from their Rapes and Conquests » (Ils ont jalonné le pays de trophées et d’institutions issus de leurs viols et conquêtes),Tweed Courthouse, New York City, 2013. L’ancien palais de justice Tweed est situé dans un quartier du sud de Manhattan. Construit entre 1861 et 1881, il est adjacent – et, selon diverses découvertes archéologiques, traverse – l’African Burial Ground, contenant les restes de plus de 400 personnes africaines-américaines enterrées là entre le xviie et le début du xixe siècle. Huit tombes datant de cette époque se trouvent sous les fondations de l’ancien tribunal. En 2002, des archéologues ont exhumé vingt-trois squelettes intacts d’ancien·nes esclaves, la plupart devant le bâtiment, sous des marches récemment rénovées, à quelques centimètres de la surface, entourés de câbles électriques. Ils s’y trouvent encore. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

« They Tagged the Land with Trophies and Institutions from their Rapes and Conquests » (Ils ont jalonné le pays de trophées et d’institutions issus de leurs viols et conquêtes),Tweed Courthouse, New York City, 2013. L’ancien palais de justice Tweed est situé dans un quartier du sud de Manhattan. Construit entre 1861 et 1881, il est adjacent – et, selon diverses décou­vertes archéo­lo­giques, traverse – l’African Burial Ground, contenant les restes de plus de 400 personnes africaines-américaines enterrées là entre le xviie et le début du xixe siècle. Huit tombes datant de cette époque se trouvent sous les fon­da­tions de l’ancien tribunal. En 2002, des archéo­logues ont exhumé vingt-trois sque­lettes intacts d’ancien·nes esclaves, la plupart devant le bâtiment, sous des marches récemment rénovées, à quelques cen­ti­mètres de la surface, entourés de câbles élec­triques. Ils s’y trouvent encore. Photo : Nona Faustine. Crédit : Courtesy Nona Faustine and MACK.

Nona Faustine est née et a grandi à New York. Son travail pho­to­gra­phique se concentre sur les sté­réo­types raciaux et de genre. Sa série White Shoes a fait l’objet d’un livre, publié aux éditions Mack (2021).

Habiter : brisons les murs

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°11 Habiter, en août 2023. Consultez le sommaire

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