Entre les années 1940 et 1980, dans plus de 40 pays, dont la France, des dizaines de milliers d’adolescentes, considérées comme « irrécupérables », ont été placées dans les congrégations religieuses du Bon Pasteur pour y être « redressées ». Une grande majorité y ont été violentées. Bien qu’assignées au silence depuis longtemps, d’anciennes pensionnaires dénoncent aujourd’hui ces violences et demandent des compensations.
Elles sont deux. Éveline Le Bris et Marie-Christine Vennat portent fièrement leurs revendications. La présidente et la trésorière de l’association Les Filles du Bon Pasteur apparaissent régulièrement dans les médias pour raconter leur parcours d’adolescentes cassées. Les autres se risquent à des témoignages timides, ne parlent pas, répondent partiellement, se rétractent. Ont peur. Peur des répercussions sociales du stigmate de la « mauvaise fille », encore fortement ancré dans leur chair et dans l’imaginaire collectif. Peur de soulever la chape de plomb sous laquelle elles ont enfoui ces années noires. Après deux heures de confidences à coeur ouvert, Nicole, 72 ans, nous a envoyé ce message : « Je suis désolée, mais ma fille ne veut pas que je parle de ce passé sinon elle se fâche. Mon fils est de son avis. Donc c’est avec regret que je vous demande de stopper, car je ne veux pas me fâcher avec mes enfants. » Nicole a un parcours « classique » : doublement violée, elle tombe enceinte à 14 ans avant d’être placée au Bon Pasteur. Elle y connaîtra le viol médical et les insultes des religieuses. Les femmes passées au Bon Pasteur jusque dans les années 1970 cumulent les injonctions au silence. Elles sont écrasées par la honte, envahies par la culpabilité et parfois victimes d’amnésie traumatique. Au plus fort de son activité, le forum des anciennes (créé en 2009) a regroupé 800 membres (aujourd’hui, elles sont environ 500). L’historien David Niget, spécialiste de la justice des mineur·es, estime entre 35 000 et 40 000 le nombre d’adolescentes françaises placées dans ces institutions entre 1940 et 1980. […]