Violences sexuelles : au cœur des cellules d’enquêtes des partis de gauche

Depuis #MeToo, les partis de gauche ont mis en place des dis­po­si­tifs contre les violences sexistes et sexuelles. Ces comités, composés de militant·es, récep­tionnent des  signa­le­ments allant du com­por­te­ment sexiste aux crimes sexuels. De l’affaire Taha Bouhafs à celle de Julien Bayou, ces cellules d’enquête font l’objet de vifs débats. Justice privée sans possible recours pour les un·es, indis­pen­sable garde-fou pour les autres, elles posent des questions de droit et secouent les partis, y compris ceux, à droite, qui ne veulent pas en entendre parler.
Publié le 17 janvier 2023
Collage Nadia Diz Grana La Déferlante 9 - Enquête Violences sexuelles : au cœur des cellules d'enquêtes dans les partis de gauche
Nadia Diz Grana

En soirée, Shirley Wirden a longtemps parlé de ce camarade du Parti com­mu­niste qui ne savait pas entendre un « non ». Elle racontait à ses ami·es ce jeune homme « très lourd et très répétitif » qui la sub­mer­geait d’avances par SMS et sur les réseaux sociaux.

« C’était une sur-sollicitation quo­ti­dienne. Je ne répondais pas sur Facebook, alors il m’écrivait sur Instagram pour m’inviter à boire un verre », se souvient l’élue pari­sienne, aujourd’hui tren­te­naire. Pendant des années, l’idée de saisir les autorités du PCF ne lui a pas traversé l’esprit, encore moins celle de porter plainte. « Personne ne m’en empêchait. C’est juste que ce n’était pas dans les radars. » Au fil du temps, la militante recueille des échos d’autres femmes ayant subi du har­cè­le­ment de la part du même camarade. Alors, début 2018, quand le PCF annonce la création d’une cellule d’écoute des violences sexistes et sexuelles (VSS) baptisée « Tolérance zéro », Shirley Wirden est l’une des premières à leur écrire un mail. « La direction devait être au courant pour qu’il n’accède pas à davantage de res­pon­sa­bi­li­tés. Ma parole a été écoutée. C’était un sou­la­ge­ment, car c’était enfin dit de manière offi­cielle. »

« J’avais été huée. Certain·es pensaient qu’il n’y avait “pas de ça” chez nous. Mais de nom­breuses femmes étaient venues se confier
à moi. »

Hélène Bidard, conseillère de Paris, PCF


Fin 2017, en plein défer­le­ment de témoi­gnages #MeToo sur les réseaux sociaux, c’est Hélène Bidard, conseillère de Paris, qui avait impulsé ce dis­po­si­tif, avec une poignée d’autres fémi­nistes du PCF. « On sait que c’est dans tous les partis, dans tous les milieux », avait-elle lancé alors dans un discours au conseil national du Parti. « J’avais été huée. Certain·es pensaient qu’il n’y avait “pas de ça” chez nous. Mais de nom­breuses femmes étaient venues se confier à moi », raconte-t-elle aujourd’hui. À cette époque, d’autres partis de gauche amorcent la même réflexion, en réaction à l’affaire Denis Baupin, accusé par plusieurs élues d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) de har­cè­le­ment et d’agressions sexuelles . Chez les éco­lo­gistes, cette onde de choc a marqué le début d’une phase « d’introspection », comme le reconnaît l’ancienne porte-parole d’EELV, Chloé Sagaspe. Une cellule d’écoute est lancée dès 2016 pour détecter toute autre situation abusive. Après la modi­fi­ca­tion du règlement intérieur du parti en mars 2018, une « cellule d’enquête et de sanction » offi­cielle voit le jour. Quelques mois plus tard, La France insoumise (LFI) inaugure son « comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles ». Au Parti socia­liste (PS), la réflexion enclen­chée avec le tournant Baupin donne naissance à la « cellule d’écoute et d’accompagnement des victimes de violences sexistes et sexuelles » en janvier 2020. En 2011, l’affaire DSK (1), d’une ampleur encore inédite, n’avait pas permis d’amorcer un tel processus. « Il fallait un momentum politique pour que soit enfin pris au sérieux ce qui n’avait pas été prio­ri­taire pendant longtemps », observe Cécilia Gondard, secré­taire nationale à l’égalité entre les femmes et les hommes du PS.

Longtemps discrète, l’existence de ces cellules a été placée sous le feu des pro­jec­teurs média­tiques à la rentrée 2022. Plusieurs hauts diri­geants ont été mis en cause dans des affaires, certes bien dis­tinctes, mais contrai­gnant plus ou moins les partis à mettre en appli­ca­tion leurs promesses d’exemplarité féministe. Suite à des accu­sa­tions de violences psycho­logiques de la part d’une ex-compagne, Julien Bayou a démis­sion­né, en septembre 2022, de la direction d’EELV et de la pré­si­dence du groupe éco­lo­giste à l’Assemblée nationale, dénonçant une situation « intenable » dans laquelle il ne peut, selon lui, faire valoir sa défense. Le même mois, le député Adrien Quatennens (2) a reconnu avoir violenté phy­si­que­ment sa femme – qui a porté plainte contre lui – et s’est mis en retrait de ses fonctions de coor­di­na­teur de LFI. Les cellules d’enquête d’EELV et de LFI ont été saisies de ces deux affaires. « Certains se font dévorer par un monstre qu’ils ont contribué à créer », a lancé le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, en confé­rence de presse, le 27 septembre 2022. Le garde des Sceaux dénonçait l’avènement d’une « justice de droit privé qui n’a aucun sens ».

Depuis 2018, à LfI  : 44 signalements, 18 exclusions

En mai 2022, le retrait du jour­na­liste activiste Taha Bouhafs de la course à la dépu­ta­tion avait déjà suscité un tollé. Enrôlé sous les couleurs de LFI, ce dernier s’était retiré quand le comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles (CVSS) du parti a ouvert une enquête à son encontre, après avoir reçu un témoi­gnage relatant des faits de violences sexuelles. « J’ignore ce dont on m’accuse, je n’ai jamais été confronté aux dites accu­sa­tions », déclarait Taha Bouhafs dans une lettre publiée sur Twitter en juillet. Son avocat, Raphaël Kempf, réagit pour La Déferlante : « On ne peut condamner une personne sur la simple base d’un témoi­gnage. C’est un principe de la Convention euro­péenne des droits de l’homme. Par ailleurs, la personne mise en cause et son avocat, doivent avoir la pos­si­bi­li­té de ques­tion­ner la personne qui accuse. »

Par téléphone, la députée de Paris Sarah Legrain, qui pilote le CVSS de LFI, argue qu’il a été proposé à Taha Bouhafs d’être entendu courant octobre. « Le dossier entre nos mains était suf­fi­sam­ment lourd pour que nous décidions de lancer immé­dia­te­ment une alerte auprès du comité de respect des principes, comme c’est prévu dans notre fonc­tion­ne­ment. Nous avons considéré avoir suf­fi­sam­ment d’éléments pour ne pas vouloir prendre le risque d’en faire un député, pourvu de l’immunité par­le­men­taire qui va avec. » Hors urgence, la procédure est tout autre, assure Sarah Legrain, la seule des sept femmes du CVSS dont le nom est public – l’anonymat pour les autres permet de « ne pas subir des pressions ou recevoir des signa­le­ments par des voies infor­melles ». Une fois bouclé, le rapport est adressé au « comité de respect des principes », l’organe dis­ci­pli­naire, chargé de régler tous les litiges. Cette instance réalise l’entretien contra­dic­toire, pour la version du mis en cause. Depuis 2018, 44 signa­le­ments (concer­nant uni­que­ment des hommes) ont été effectués, pour des faits allant de com­por­te­ments sexistes de faible intensité à des violences sexuelles. Dix-huit exclu­sions ont été pro­non­cées. D’autres mis en cause, selon la gravité des faits reprochés, se sont sim­ple­ment vus contraints de suivre un stage de sen­si­bi­li­sa­tion contre le sexisme.
« La cellule n’est pas là pour être neutre, assume Cécilia Gondard du PS. Nous sommes du côté de la victime et nous ne remettons jamais en cause sa parole. » Le nom des neuf « référent·es » est publié sur une page dédiée du site web des socia­listes. « Ce sont des psy­cho­logues, avocat·es, assistant·es social·es », énumère Cécilia Gondard. À compter de l’ouverture d’une enquête, le PS s’est fixé un délai de huit mois pour rendre sa décision. Celle-ci est prononcée par la « com­mis­sion de lutte contre le har­cè­le­ment et les dis­cri­mi­na­tions », un organisme dis­ci­pli­naire créé spé­cia­le­ment en septembre 2022. En trois ans, une exclusion défi­ni­tive et une tem­po­raire ont été pro­non­cées. Ce fonc­tion­ne­ment bicéphale, séparant la phase d’écoute de celle du contra­dic­toire, reste encore flou pour beaucoup. La secré­taire nationale soupire : « Lors du dernier conseil national, j’y suis allée à coups de PowerPoint pour expliquer ce fonc­tion­ne­ment à la direction du parti. Il y a une accep­ta­tion générale. Mais certain·es ne com­prennent pas la dif­fé­rence entre cellule d’écoute et com­mis­sion. Ça va prendre du temps, mais on ne lâche pas. »

Au PCF, la com­mis­sion « Tolérance zéro », composée de quatre femmes et deux hommes, n’est pas encore entrée dans les statuts. « On va les refaire pour la première fois depuis dix ans en avril 2023, annonce Shirley Wirden, qui a repris la tête de l’instance. Je suis une dizaine de dossiers en ce moment, dont une moitié relative à des faits remontant à plusieurs années. » Le contra­dic­toire comme la sanction incombe à la « com­mis­sion nationale de règlement des conflits ». Depuis cinq ans, deux exclu­sions défi­ni­tives ont été pro­non­cées, ainsi que vingt sus­pen­sions. « Ce qui a l’air peu au regard du nombre d’adhérent·es, commente Hélène Bidard. Mais sur les dix années anté­rieures, il n’y avait eu que trois exclu­sions pro­non­cées, pour des diver­gences poli­tiques. »

Des réunions entre cellules dédiées des partis et syndicats

Dans le paysage des cellules au sein des partis, c’est EELV qui se distingue le plus car l’équipe assure à la fois l’écoute et le contra­dic­toire, avec la pos­si­bi­li­té de suspendre le suspect à titre conser­va­toire pour quatre mois. Son nom « cellule d’enquête et de sanction » prête néanmoins à confusion. Car, si elle préconise une sanction, elle n’a pas le pouvoir de l’entériner. Longtemps, ce rôle incombait au conseil fédéral, assemblée d’une centaine de personnes, l’équivalent du parlement du parti. « Nous faisions preuve de bonnes inten­tions démo­cra­tiques, avance Jérémie Crépel, ex-secrétaire national adjoint chargé du lien avec la cellule. Mais nous n’avions pas la pos­si­bi­li­té de garantir la confi­den­tia­li­té. » En septembre 2022, une enquête de France Info (3) épingle EELV. Une militante, qui dénonçait une agression sexuelle perpétrée par un cadre, affirme avoir été contactée par son agresseur deux jours après avoir témoigné à la cellule. Un membre du conseil fédéral aurait fait fuiter le nom de la jeune femme. Pour prévenir tout nouveau risque, un comité de sanctions dédié spé­ci­fi­que­ment aux VSS a été institué par une réforme de février 2022, composé de deux personnes du bureau exécutif national et de deux autres du bureau du conseil fédéral, chargées de sanc­tion­ner ou non le mis en cause. EELV ne com­mu­nique pas de chiffres précis. « [Ils] démis­sionnent souvent dès qu’ils ont leur rapport entre les mains, pour éviter que la sanction ne tombe », précise Jérémie Crépel.


« Le plus courant, c’est que des gens exclus d’un mouvement arrivent dans un parti sans que l’on ne sache rien de leurs casseroles. »

Sarah Legrain, référente du comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de La France insoumise


Tous les tri­mestres, depuis juin 2021, des réunions infor­melles sont orga­ni­sées à l’initiative de Raphaëlle Manière, res­pon­sable du pôle anti-VSS de la CGT, entre les cellules dédiées des dif­fé­rents partis et syndicats. Elle résume : « On y partage nos réflexions pour devenir plus éga­li­taires. » Plusieurs syndicats répondent à l’appel aux côtés des quatre partis pré­cé­dem­ment cités, mais aussi « le Parti de gauche, l’Union com­mu­niste liber­taire, Génération·s, Ensemble !, et le Nouveau parti anti­ca­pi­ta­liste (NPA) », liste Raphaëlle Manière. Shirley Wirden, du PCF, renchérit : « Ça nous fait du bien d’être dans l’entraide. Personne n’a la pré­ten­tion de dire qu’il ou elle fait mieux que l’autre. Tout est récent donc tout reste per­fec­tible. » L’itinérance des agres­seurs fait débat. L’homme qui a harcelé Shirley Wirden n’a pas attendu la saisie de son dossier pour quitter le parti. Il s’est, depuis, encarté ailleurs. « C’est un vrai sujet, se préoccupe l’Insoumise Sarah Legrain. Le plus courant, c’est que des gens exclus d’un mouvement arrivent dans un parti sans que l’on ne sache rien de leurs cas­se­roles. »

Au NPA, on commence pourtant à se poser la question de la réin­té­gra­tion des radiés. Il faut dire que le parti d’extrême gauche a quelques années d’avance. Un dis­po­si­tif de lutte contre les VSS, le plus ancien réper­to­rié par nos soins, existe depuis sa création en 2009 à la suite de la dis­so­lu­tion de la Ligue com­mu­niste révo­lu­tion­naire (LCR). « C’était déjà présent au sein de la LCR », rappelle Alice Pelletier, de la « com­mis­sion nationale d’intervention féministe ». Pour signaler un cas de VSS, les adhérent·es doivent saisir la com­mis­sion de médiation composée d’une dizaine de personnes. « Nous sommes assez peu contac­tées par mail, cela se fait surtout par le éseau amical. Notre fonc­tion­ne­ment est plus informel qu’ailleurs : c’est lié à la taille de notre parti où nous sommes 1 800, poursuit la militante. Chez nous les copines se réunissent en AG non mixte, donc il y a une parole forte et solidaire. Nous discutons des signes avant-coureurs comme une attitude viriliste ou un com­por­te­ment méprisant. Les violences ont lieu dans un contexte qui le permet parce que l’agresseur se sent dans l’impunité. » Dès qu’il y a saisine, le mis en cause est suspendu à titre pro­vi­soire. Au NPA, l’enquête, comme le choix de la sanction, est confiée à la « com­mis­sion de médiation », l’instance paritaire qui règle tous les dif­fé­rends au sein du parti (4). « Mais il n’y a pas de médiation pour les VSS », souligne Alice Pelletier, qui indique que deux cas de VSS ont été traités cette année et ont conduit à une exclusion défi­ni­tive. Longtemps, le NPA a occupé l’inconfortable position d’être le pionnier, c’est-à-dire le premier parti à se confron­ter aux VSS et au sein duquel, méca­ni­que­ment, le plus d’affaires écla­taient au grand jour. « Nous avions l’impression d’avoir plus de cas, ce qui n’était pas la réalité », précise Alice Pelletier.


« Dans une entre­prise, les salarié·es ne sont pas licencié·es pour avoir commis des infrac­tions pénales, mais parce que le droit du travail n’a pas été respecté. Cela devrait être pareil dans un parti politique. »

Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association euro­péenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT)


Au centre et à droite, aucun comité d’enquête sur les VSS

« Les cellules sont toujours accusées de mal faire, de ne pas être impar­tiales et d’avoir voulu enfoncer ou sauver Untel », regrette Mathilde Viot (5), cofon­da­trice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique. Fondée en février 2022, l’association appelle à la création d’un organisme, financé sur fonds publics, selon le modèle de la Haute Autorité pour la trans­pa­rence de la vie publique mise en place peu après l’affaire Cahuzac. « Il est temps que les violences faites aux femmes soient prises tout autant au sérieux que les conflits d’intérêts », scande l’ancienne attachée par­le­men­taire. Une alter­na­tive envisagée par Sarah Legrain de LFI : « Notre charte pourrait évoluer dans ce sens lors de l’assemblée repré­sen­ta­tive de décembre », anticipe-t-elle. Puis de nuancer : « Ma convic­tion, c’est que l’on ne pourra jamais exter­na­li­ser la décision politique. »

Reste que l’option d’une « haute autorité » per­met­trait d’inclure les femmes d’autres mouvances poli­tiques « et de combler les défaillances des partis de droite », conclut Mathilde Viot. Car au centre et à droite, où aucun comité d’enquête sur les VSS n’a jamais vu le jour, seule Renaissance fait figure d’exception. À l’automne 2022, une refonte des statuts a permis la création d’une structure baptisée « Prévention, écoute, action » composée de dix membres et dirigée par Marlène Schiappa. Un choix qui étonne plusieurs interlocuteur·ices des cellules de gauche, qui pointent sa gestion de l’affaire Hulot (6). Au Parisien, l’ancienne secré­taire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes a promis « une structure qui ne consiste ni à couper des têtes arbi­trai­re­ment ni à étouffer des affaires. […] Nous ne sommes pas un parti de justice expé­di­tive, de procès sta­li­niens ».

En septembre 2022, alors qu’il était candidat à la pré­si­dence du parti Les Républicains, Bruno Retailleau s’est déclaré « favorable » à la création d’une cellule d’enquête. Aurélien Pradié, lui aussi engagé dans la course pour la chefferie LR, a au contraire estimé que c’était « à la justice de trancher ». Même rengaine au Rassemblement national. Pour Jordan Bardella, « ce n’est pas aux partis poli­tiques de s’autogérer et de se faire justice eux-mêmes. Les partis poli­tiques ne sont pas des astres à part qui se gou­vernent selon des lois dif­fé­rentes. »

Une critique fréquente qui n’a pas lieu d’être, réplique Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association euro­péenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) : « Derrière le débat de savoir si l’on est pour ou contre les cellules, je devine une question sous-jacente : pour ou contre le trai­te­ment des VSS en dehors du spectre pénal ? Or, on ne peut rai­son­na­ble­ment pas s’appuyer sur une procédure pénale pour justifier des mesures dis­ci­pli­naires, car le délai va être beaucoup trop long par rapport au besoin de gérer ces affaires en urgence. » Ces cellules relèvent, selon la juriste, du droit du travail. « Dans une entre­prise, les salarié·es ne sont pas licencié·es pour avoir commis des infrac­tions pénales, mais parce que le droit du travail et/ou les règles internes n’ont pas été res­pec­tées. Cela devrait être pareil dans un parti politique. » La juriste distingue les infrac­tions pénales, qui sanc­tionnent le trouble à l’ordre public, des mesures dis­ci­pli­naires, qui vérifient la confor­mi­té d’un com­por­te­ment selon les règles de fonc­tion­ne­ment de la structure. Pour étayer son argu­men­taire, l’AVFT cite une juris­pru­dence du 25 mars 2020, confir­mant la condam­na­tion prud’homale d’un employeur pour har­cè­le­ment sexuel, malgré une relaxe au pénal. « Un individu peut être sanc­tion­né en interne, même s’il n’a pas été condamné par la justice pénale, explique Marylin Baldeck. La faute pénale et la faute civile ne procèdent pas de la même logique. Si la sanction dis­ci­pli­naire repose sur des faits que le tribunal cor­rec­tion­nel a consi­dé­rés comme “insuf­fi­sants” – mais pas inexis­tants – pour carac­té­ri­ser une infrac­tion pénale, ni le principe d’autorité de la chose jugée ni le principe de pré­somp­tion d’innocence ne sont remis en cause. »

Épauler et accompagner les femmes sur le long terme

De fait, les cellules de lutte contre les VSS sont bien souvent les anti­chambres d’un parcours judi­ciaire. Quand elle était à la tête de « Tolérance Zéro », Hélène Bidard a accom­pa­gné des plai­gnantes au com­mis­sa­riat. Sa suc­ces­seuse, Shirley Wirden émet parfois des signa­le­ments au procureur de la République : « Je ne veux pas que les femmes aient l’impression qu’il est suffisant de passer par le parti. Au PCF, nous faisons du dis­ci­pli­naire. La justice fait du judi­ciaire. »

Au NPA, les femmes sont épaulées autant que possible sur le long terme, en étant aiguillées vers des psy­cho­logues compétent·es et / ou dans leurs parcours de plainte. « Pour elles, cela ne se règle pas en quelques semaines et c’est parfois ce qui est le plus dur à gérer », confie Alice Pelletier. « Oui, c’est éprouvant, abonde Shirley Wirden. Il n’y a pas de décon­nexion possible sur ces sujets. Les victimes nous sol­li­citent dès qu’elles en ont besoin. Les écouter, c’est un don de soi. » Cécilia Gondard du PS résume : « Il faut le faire donc on le fait. » Pour ces raisons, les cellules connaissent parfois des dif­fi­cul­tés de recru­te­ment, avec un nombre de bénévoles qui décroît au fil des ans. Le PS devrait d’ailleurs bientôt lancer une campagne de recru­te­ment. « Il y a un coût politique à cet enga­ge­ment, prévient Hélène Bidard. Mais tant que #MeToo est là, nous avons une force indé­niable pour faire bouger les lignes. Nous avons une chance énorme de vivre cette période. » •

1. Le 14 mai 2011, Dominique Strauss Kahn, directeur du FMI et pré­si­den­tiable, est accusé d’agression sexuelle par Nafissatou Diallo, femme de chambre du Sofitel de New York. Les hommes poli­tiques et édi­to­ria­listes français se dis­tinguent alors par leur mépris de classe et leurs propos racistes et sexistes envers Nafissatou Diallo.

2. Adrien Quatennens a été condamné le 13 décembre 2022 à quatre mois de prison avec sursis. Il a par ailleurs été suspendu du groupe par­le­men­taire LFI jusqu’au 13 avril 2023.

3. « Une victime d’agression sexuelle dénonce les failles de la cellule d’écoute d’EELV », par Stéphane Pair, francetvinfo.fr, le 30 septembre 2022.

4. Le dernier congrès, en décembre 2022, a décidé la création d’une cellule contre les VSS, non mixte, chargée de recueillir la parole des militant·es, d’émettre des pré­co­ni­sa­tions et d’accompagner les plaignantes.

5. Mathilde Viot est l’autrice de L’homme politique, moi j’en fais du compost (Stock, 2022), un essai tiré de son parcours dans les arènes politiques.
En tant qu’attachée par­le­men­taire, l’autrice avait cofondé en 2016 le collectif Chair col­la­bo­ra­trice, réunis­sant des femmes col­la­bo­ra­trices de l’Assemblée nationale et du Sénat.

6. En février 2018, Marlène Schiappa, alors secré­taire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, publie dans le Journal du dimanche une tribune de soutien à Nicolas Hulot, ministre de la Transition éco­lo­gique, accusé de viol. Une enquête pour viol et agression sexuelle sur mineure sera ouverte, puis classée sans suite pour pres­crip­tion en septembre 2022. (Contactée par La Déferlante, Marlène Schiappa n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.)

L’onde de choc Baupin

En mai 2016, dans une enquête conjointe de Lénaïg Bredoux (Mediapart) et Cyril Graziani (France Inter), plusieurs femmes, res­pon­sables et élues EELV, accusent Denis Baupin, alors vice-président de l’Assemblée nationale, de har­cè­le­ment et d’agressions sexuelles. Le parquet de Paris ouvre une enquête. Elle sera classée sans suite en mars 2017 pour cause de pres­crip­tion, même si les faits étaient « cor­ro­bo­rés » et « sus­cep­tibles d’être qualifiés péna­le­ment », précise le procureur de Paris. Denis Baupin quitte la vie politique et porte plainte pour dénon­cia­tion calom­nieuse et dif­fa­ma­tion. Mais il est condamné en avril 2019 à verser des dommages et intérêts pour « abus de consti­tu­tion de partie civile » après un procès reten­tis­sant qui aura vu ses victimes, des témoins et les jour­na­listes ayant rapporté ces faits sur le banc des prévenu·es. « L’affaire Baupin, et plus encore le procès de presse auquel elle a donné lieu, est une première du genre, analyse la politiste Vanessa Jérome. Aucune violence sexuelle commise par un homme politique sur des femmes poli­tiques n’avait été aussi mas­si­ve­ment dénoncée jusque-là. » Dans un article consacré à ce sujet pour la revue Mouvements (mars 2019), Vanessa Jérome qualifie cette décision de justice d’« emblé­ma­tique de l’ère post-#MeToo ». Et précise : « [La juris­pru­dence] sécurise les jour­na­listes qui enquêtent sur ce sujet, ou sou­hai­te­raient le faire, ainsi que les individus (victimes et témoins, quel·le que soit leur sexe/orientation sexuelle) qui vou­draient témoigner. »

 

Baiser : pour une sexualité qui libère

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°9 Baiser (février 2023)

Dans la même catégorie