« L’accès à la PMA reste trop théorique »

Céline Cester, pré­si­dente de l’association Les Enfants d’Arc En Ciel, se bat depuis onze ans pour accom­pa­gner les familles LGBTQ+ dans les dif­fé­rentes démarches que nécessite un projet parental. Un an après l’ouverture en France de la PMA (pro­créa­tion médi­ca­le­ment assistée) à toutes les femmes, le « faire famille » demeure un parcours difficile pour nombre de personnes.
Publié le 22 juin 2023
Accès à la PMA - La Déferlante 7
Béa Uhart

Quel combat porte votre asso­cia­tion Les Enfants d’Arc En Ciel ?

Ce qui m’y a amenée, il y a onze ans, c’était ma volonté de devenir maman, de fonder une famille. Comme bien des les­biennes, j’avais besoin d’infos : comment faire, où aller, quels sont nos droits ? C’était compliqué. J’ai rencontré cette asso­cia­tion, qui m’a apporté des réponses, et je me suis investie. Au fil des années, j’ai pris de plus en plus de res­pon­sa­bi­li­tés. Je militais déjà depuis longtemps [chez Aides, asso­cia­tion française de lutte contre le VIH et les hépatites virales]. L’approche com­mu­nau­taire est très impor­tante pour moi. Ce qui me plaît, dans l’idée de ras­sem­bler des infor­ma­tions et de les mettre à dis­po­si­tion des autres, c’est que l’on devient véri­ta­ble­ment acteurs et actrices de la lutte et que les personnes que l’on aide le deviennent aussi. Quand est arrivé le combat pour la PMA pour tous et toutes, on l’a mené avec beaucoup de convic­tion. Mais on a accueilli le résultat avec beaucoup de déception.

La loi fête sa première année, où en est-on de son application?

Le simple fait que des femmes puissent désormais rester en France pour être suivies médi­ca­le­ment, c’est déjà énorme. Mais en fonction de l’endroit où l’on habite, l’accès à la PMA est plus ou moins théorique. J’étais récemment en réunion avec du personnel de Cecos (centres d’étude et de conser­va­tion des œufs et du sperme humains) : actuel­le­ment, le premier rendez-vous est donné pour le dernier trimestre 2023 ! À Lyon et à Montpellier, c’est compliqué, il faut attendre deux ans et demi pour le premier essai… mais à côté de ça, on a des centres qui donnent des rendez-vous à six ou neuf mois, ce qui cor­res­pond aux délais habituels pour les spécialistes.

Avec le temps, on va y arriver. Mais attendre, c’est compliqué. Dès que les femmes approchent de la qua­ran­taine, les centres donnent moins de rendez-vous. Il y a toujours beaucoup d’incompréhension dans les salles d’examen, des questions mal­adroites et des discours de médecins qui relèvent d’un manque de respect. Cela va être un travail très long pour que le personnel médical apprenne à tra­vailler avec des couples lesbiens, à anticiper avec justesse les écho­gra­phies endo­va­gi­nales, à ne pas poser la question « avez-vous des rapports sexuels ? ». On a des retours de rendez-vous avec des psys qui sont catas­tro­phiques… Mais on a aussi des services qui ont tout mis en œuvre pour accueillir cor­rec­te­ment ce nouveau public, qui ont travaillé avec nous pour savoir comment le recevoir.


« La PMA pour toutes, c’est en grande partie des mots… Pour nous, ce combat n’est pas
théorique, on va se mobiliser, encore, dans les mois et les années à venir. »


Vous avez espoir d’éduquer aussi les professionnel·les qui ne vien­draient pas vers vous?

On a participé à un webinaire à l’initiative de la fédé­ra­tion des Cecos en mars 2022 : nous
avons eu toute une matinée pour expliquer les  ressentis et les besoins des femmes que l’on rencontre. J’espère que ça a porté ses fruits, mais clai­re­ment, il faudrait un travail de longue haleine pour certain·es psys. Certain·es demandent comment les patientes comptent parler à l’enfant de sa concep­tion: c’est intime. D’autres leur demandent ce qu’elles pensent de l’anonymat des donneurs : c’est hors sujet. Un Cecos a affirmé à des femmes, début 2022, qu’ils n’avaient «pas encore les décrets » pour organiser les rendez-vous ! Je me dis que, si nous n’étions pas là, ces femmes-là atten­draient toujours qu’on leur donne un feu vert. Voilà pourquoi je lutte, parce que rien n’est jamais terminé. Pour garder le moral, au quotidien, il faut vraiment se concen­trer sur les choses positives. Il y a eu par exemple la création du Comité de suivi de l’Agence de bio­mé­de­cine, dont la première réunion s’est tenue en novembre 2021. Il s’agit d’un espace formel et ins­ti­tu­tion­nel qui nous permet de relayer les retours de terrain. Ses membres sont intervenu·es sys­té­ma­ti­que­ment quand des rendez-vous psys s’étaient mal passés.

Il y a des exclu·es de la PMA et de la filiation: les personnes trans. Comment travaillez-vous avec elles?

Nous sommes conscientes qu’il faut continuer de lutter pour que toutes les personnes exclues obtiennent les mêmes droits. Les personnes trans en effet, mais aussi les mères sociales, sans droits sur leurs enfants, celles qui n’entrent pas dans les dis­po­si­tifs juri­diques, car elles ne sont pas passées par la PMA… Je trouve inad­mis­sible que des personnes restent sans solution, sans droits sur la filiation. Nous sommes une petite asso­cia­tion. De septembre à décembre 2021 nous avons reçu plus de 4000 demandes d’accompagnement. Depuis le début de l’année, c’est cinq à dix demandes par jour que nous devons absorber. C’est colossal, cette gestion du « service après-vente » de la loi bioé­thique. Certaines ne com­prennent pas les infos, s’interrogent sur les cases dans les­quelles elles entrent. En ce qui concerne la filiation, toutes les semaines, des femmes enceintes qui ont fait une PMA à l’étranger nous contactent parce qu’elles s’étonnent de ne pas pouvoir faire de recon­nais­sance anticipée chez le notaire. Il y a toujours des for­mu­laires Cerfa qui ne sont pas mis à jour. Le ministère de la Justice fait la sourde oreille et c’est à nous d’insister. Nous obtenons des réactions, des réponses à nos mails, que quand on leur dit « on va com­mu­ni­quer auprès des médias ». La PMA pour toutes, c’est en grande partie des mots… Pour nous, ce combat n’est pas théorique, on va se mobiliser, encore, dans les mois et les années à venir.

Êtes-vous confron­tée à ce qu’on appelle la fatigue militante?

Certaines sont fatiguées, d’autres sont parties parce qu’elles ont estimé qu’elles avaient fait leur part du boulot. Je me suis posé la question d’arrêter, mais j’ai fina­le­ment renouvelé mon mandat cette année. Quand l’envie et les convic­tions sont là, les coups de fatigue et les réflexions qui vont avec per­mettent de retrouver l’énergie et même de se mobiliser davantage. La colère est aussi un très bon moteur. Le contexte actuel, avec la montée des extrêmes, la remise en question du droit à l’avortement, c’est très pré­oc­cu­pant. Je pense que cela nous pousse à réaf­fir­mer encore plus fort que certaines choses ne sont pas accep­tables. J’étais là en 2012, dans la rue avec mes slogans «on veut plus d’égalité». Dix ans après, nous n’avons toujours pas accès aux mêmes droits que les autres. On a l’impression que, comme des pigeons, il faudrait qu’on se contente des miettes que l’on consent à nous donner : la recon­nais­sance anticipée, l’accès pour certaines à la PMA… Mais on ne s’envolera pas : tant que certaines devront continuer de payer pour leur filiation, nous aurons toujours faim.

1. Les Cecos indiquent sur leur site que le délai d’attente entre la première prise de rendez-vous en vue un d’un don de sper­ma­to­zoïdes et l’attribution des paillettes de sperme pour une PMA est de 12 à 18 mois. Le parcours de PMA prévoit au minimum une consul­ta­tion médicale, une consul­ta­tion psy­cho­lo­gique, une démarche légale auprès du notaire, une prise en charge par un·e gyné­co­logue spécialisé·e et l’attribution des paillettes.

Réinventer la familler : en finir avec le modèle patriarcal

Retrouvez cet article dans la revue papier La Déferlante n°7. La Déferlante est une revue tri­mes­trielle indé­pen­dante consacrée aux fémi­nismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­ne­ment, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société.

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