Je porte ma veste de survêtement, mes genouillères au niveau des chevilles, mes chaussettes montantes me grattent. Mon short et mon tee-shirt me serrent.
Jouer, sous le feu des regards, devient une épreuve
Quand j’entre sur le terrain, je scrute les spectateurs dans la salle et je me demande ce qui les intéresse vraiment. Est-ce que c’est ce sport qui leur plaît, ou le fait de voir des filles dans des tenues courtes et moulantes?
Le volley, que j’ai commencé à 4 ans et qui a toujours été un moment de plaisir et de lâcher-prise, devient une épreuve. Mes performances s’en ressentent, je regarde davantage le public que la trajectoire du ballon. J’en arrive à m’autocensurer : même si j’en ai envie, je refuse de pratiquer le beach-volley parce que l’équipement m’effraie. Il est composé d’une simple brassière et d’un short si court qu’il ressemble à une culotte.
Je reste plus de dix ans dans mon club amateur basé dans une petite ville du Nord. Parfois je joue avec l’équipe masculine quand elle est en sous-effectif. Un jour, alors que je suis seule dans les vestiaires des filles, j’entends les garçons de l’équipe adverse qui traîne dans les couloirs, en meute, et qui me cherche : « Marthe, t’es où ? T’es bonne! T’as pas un numéro ? » Isolée dans ce vestiaire gris et froid, je sais pas quoi faire, je panique, je souffle, je me rhabille. Vite.
Quatre ans plus tard, à 16 ans, je rejoins un club formateur où le niveau est plus élevé. Cette fois, la salle où je joue a une capacité de 2900 places. Je pense aux visages inconnus. Des grandes lumières éclairent parfaitement le terrain, qui concentre tous les regards. Le trac monte.
L’ambiance dans les vestiaires est différente de celle de mon club précédent : on se douche ensemble, je n’ai pas d’intimité. Sans s’apercevoir de mon mal-être, mes coéquipières me surnomment parfois « gros lolos » ou encore « gros tétons ».
Le jour de mes 18 ans, mon corps dit stop
Sur le terrain, pendant les entraînements, je développe des stratégies pour camoufler mes formes : deux brassières superposées pour maintenir et surtout aplatir ma poitrine, un tee-shirt ample qui descend jusque sous mes fesses. Malheureusement, pendant les matchs de compétition, je suis obligée d’endosser l’équipement officiel des sponsors, qui me serre davantage. Quand je joue, je sens les yeux rivés sur moi. Le regard des autres me donne mal au ventre. Peu à peu, ça me dégoûte du volley, jusqu’à ce que je perde totalement l’envie de jouer. Je suis à présent hantée quotidiennement par mes complexes. Surtout ne pas trop suer, ne pas devenir trop rouge après des efforts physiques intenses. Les moindres variations de mon poids, de ma musculature sont surveillées. J’étouffe. Pourtant, je reste docile et je continue à encaisser.
Il y a le maquillage qu’on vous encourage à porter pour les matchs, sous peine de réflexions du type « Pour les photos, ça va pas être beau, on voit tes cernes, tu pourrais faire un effort…». Il y a les équipements fournis : tee-shirts moulants et mini-shorts. Et cette culotte qui me rentre dans les fesses, juste sous le logo du sponsor… Le jour de mes 18 ans, mon corps dit stop. Ce jour-là, je saute, je tombe et je perds connaissance. Ma tête heurte le sol à plusieurs reprises. Traumatisme crânien. J’arrête le volley.
Trois ans plus tard, je n’ai toujours pas repris le sport. J’ai dû faire le deuil d’une partie de moi-même. Le deuil de cette fille qui jouait au volley, qui avait envie, qui fonçait… Mais dès que j’y pense, la phrase glaçante de ce coach croisé à l’aube de mon adolescence résonne à nouveau dans ma tête : elle suffit à chasser la nostalgie du simple plaisir de jouer.