Le 24 octobre 1975, des dizaines de milliers d’Islandaises décident d’arrêter le travail. En grève ! 90 % d’entre elles refusent de faire à manger, de garder les enfants et d’aller au travail. Évidemment, le pays tout entier est bloqué pendant vingt-quatre heures : les écoles, les magasins et les banques restent fermées, tandis que les usines tournent au ralenti.
Cette histoire que nous vous racontons dans notre prochain numéro, dont le dossier central porte sur le thème « Travailler », est riche d’enseignements. Elle invite à repenser les frontières si minces qui séparent, pour les femmes, le travail rémunéré du travail gratuit. Elle met en lumière la relégation des femmes racisées et/ou issues des classes populaires aux emplois précaires et mal payés. Elle montre aussi les inégalités salariales, qui persistent aujourd’hui, notamment en France où les femmes perçoivent des revenus inférieurs de 23,5 % à ceux de leurs collègues masculins. Enfin, cette lutte historique rappelle que la grève féministe est un outil révolutionnaire qui peut faire bouger les lignes. Ainsi, dans la foulée du 24 octobre 1975, les Islandaises obtiennent, entre autres, le droit à l’avortement, la création de crèches et des gages d’égalité.
L’espoir que font naître ces luttes victorieuses – dont la mémoire est trop rarement transmise – guide les collectifs et organisations qui se battent pour une grève féministe dans le monde et en France. Elle est à leurs yeux un redoutable outil de blocage, qui permet aussi « de se dégager du temps pour élaborer et construire ensemble le monde auquel on aspire et que l’on mérite », comme l’explique dans notre article Val, une militante du collectif NousToutes35 à Rennes.
Penser la complexité des expériences
L’espoir de mieux gagner leur vie et d’être davantage entendues et reconnues anime celles dont le travail est invisibilisé et peu rémunérateur. Dans ce numéro, nous sommes ainsi allées à la rencontre des sardinières de l’usine Saupiquet qui fermait ses portes en décembre à Quimper ; des assistantes maternelles dont le travail essentiel se situe au croisement d’enjeux de genre et de classe sociale ; des agricultrices qui peinent à redonner du sens à leur travail à cause de la pression du rendement ; enfin, des travailleuses du sexe (TDS), qui alertent depuis la loi de 2016 sur la précarisation de leurs conditions de travail. Leur présence dans notre dossier sur le travail ne manquera d’ailleurs pas de faire débat. Mais, comme dans tous nos articles, nous avons tenu à recueillir le point de vue des premières concernées. Une nécessité que résume Ting, une des femmes interviewées pour ce reportage : « Nous sommes tous·tes contre l’exploitation. Une fois que c’est dit, comment fait-on pour arriver à discuter et penser la complexité des expériences de vie [des TDS] sans qu’elles soient ignorées ? »
« L’espoir et la perspective d’un monde qui change ne viendront de nulle part ailleurs que de nous-mêmes. »
Goundo Diawara
Dans ce numéro, vous ne trouverez pas la rencontre habituelle entre deux personnalités mais un grand entretien avec la militante féministe et antiraciste états-unienne Angela Davis, mené par la journaliste et autrice Rokhaya Diallo. À l’heure où Donald Trump prend ses fonctions à la Maison Blanche, Angela Davis affirme avec force « l’exigence absolue » d’espoir : « C’est un élément essentiel de la mobilisation contre la menace imminente du fascisme. Trouver des moyens de générer de l’espoir relève de notre responsabilité d’activistes. » C’est ce même discours que porte la militante antiraciste Goundo Diawara dans sa chronique : « L’espoir et la perspective d’un monde qui change ne viendront de nulle part ailleurs que de nous-mêmes. »
Quelle espérance peut naître d’une situation si sombre ? La question s’est également posée au procès des violeurs de Mazan, dans lequel cinquante et un hommes ont été jugés et condamnés en première instance à des peines allant de trois à vingt ans d’emprisonnement pour avoir violé Gisèle Pelicot alors qu’elle était profondément sédatée par son mari. La chroniqueuse judiciaire et dessinatrice Marion Dubreuil lui consacre un article : « Je m’accroche à l’espoir d’un changement, écrit-elle. On saura tirer un enseignement de ce procès historique, pas seulement avec l’inscription du consentement dans la loi, mais surtout grâce à une prise de conscience collective. »
À La Déferlante, pour l’année à venir, nous espérons raconter des luttes victorieuses et nous voulons aussi prendre soin de nous. Aussi, le prochain numéro comportera 16 pages de moins que les précédents. Nous avons décidé cette baisse de pagination afin d’alléger la charge de travail de notre équipe : moins de pages, ce sont moins d’articles à relire, à corriger, à mettre en maquette. Et, en fin de compte, des cadences plus respectueuses des temps de vie de chacun·e. Et du temps pour penser l’espoir.
Réservez votre 8 mars !
L’urgence des luttes et la grève féministe seront au cœur de l’événement que nous organisons le samedi 8 mars à la Maison des Métallos (Paris). Plus qu’une soirée de lancement du numéro 17 « Travailler », c’est un mini-festival au cours duquel nous vous proposons de nous retrouver après la manifestation féministe. Au programme : une table ronde réunissant militantes et chercheuses, un quiz géant organisé par Miskin Télé, un concert et une fin de soirée surprise. Vous retrouverez aussi un stand proposant nos revues, nos livres, nos goodies. Le tout en présence de l’équipe de La Déferlante au grand complet !