« Le viol, c’est aussi toutes les fois où l’on n’a pas eu la possibilité de dire non »

Ces dernières années, la révo­lu­tion #MeToo et la visi­bi­li­sa­tion gran­dis­sante des affaires de violences sexuelles ont popu­la­ri­sé la notion de consen­te­ment. Mais comment doit-elle appa­raître dans nos textes de loi ? À l’occasion de la sortie, en France, de son essai intitulé La Doctrine du consen­te­ment (La fabrique éditions, janvier 2025), nous avons recueilli l’analyse de Clara Serra, phi­lo­sophe féministe espagnole et ancienne élue Podemos à l’Assemblée régionale de Madrid.
Publié le 13 février 2025
Le 19 novembre 2022 à Montpellier, des mani­fes­tantes récla­maient des mesures contre les violences sexistes et sexuelles. Crédit photo : Jeanne Mercier / Hans Lucas. 

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Le 21 janvier 2025, une mission par­le­men­taire menée par les députées Marie-Charlotte Garin (Les Écologistes) et Véronique Riotton (Renaissance) rendait un rapport pré­co­ni­sant une cla­ri­fi­ca­tion de la notion de consen­te­ment dans la loi française sur le viol.

Le même jour, une pro­po­si­tion de loi trans­par­ti­sane allant dans le même sens était déposée à l’Assemblée nationale. De l’extrême gauche à la droite répu­bli­caine, une grande partie de la classe politique – sans doute marquée par les 12 semaines du procès des violeurs de Mazan – se dit aujourd’hui favorable à une révision de la défi­ni­tion pénale du viol. Pourtant, dans le champ féministe, le sujet est loin de faire consensus.

Pourquoi la notion de consen­te­ment n’a « jamais été une chose simple et évidente » à saisir, comme vous l’écrivez dans votre livre ?

À l’heure actuelle, on parle du consen­te­ment comme s’il s’agissait d’une nouveauté. Pourtant, c’est une notion centrale aussi bien dans la théorie politique moderne que dans les systèmes juri­diques des démo­cra­ties occi­den­tales. Ce qui se passe, c’est qu’une nouvelle approche du consen­te­ment est en train de percer, celle du consen­te­ment positif, ou affirmatif.

Dans les années 1980, il y a eu tout un débat aux États-Unis sur les violences sexuelles au sein des uni­ver­si­tés, avec des cas impli­quant des pro­fes­seurs et des étu­diantes. Sous l’impulsion des mou­ve­ments fémi­nistes, l’idée s’est imposée que, pour plus de prudence, le consen­te­ment devait être exprimé de manière positive : le consen­te­ment, ce n’est pas seulement les situa­tions dans les­quelles on ne dit pas « non », c’est quand on dit « oui ». 

Dans cette confi­gu­ra­tion, le « oui » devient la seule manière de prouver le consen­te­ment. Dans les années 1990, cette nouvelle concep­tion du consen­te­ment a infusé dans la rédaction de textes en loi, en Californie par exemple. Est-ce la seule façon d’envisager le consen­te­ment et de l’inscrire dans la loi ? Non, mais c’est l’idée la plus répandue aujourd’hui.

Une autre manière de définir le consen­te­ment est la voie négative, comme en France [lire notre encadré ci-dessous], où la défi­ni­tion légale du viol déduit le non-consentement lorsqu’il est fait usage de violence, de menace, de contrainte ou de surprise…

C’est vrai. Et l’Allemagne est aussi un bon exemple de cette manière de concevoir les choses : les textes de loi éta­blissent qu’il n’y a pas consen­te­ment quand une personne dit « non », mais détaillent également les cir­cons­tances où il n’est pas possible de dire « non » — et de manière plus exhaus­tive que dans les textes français actuels. Car le viol c’est aussi toutes les fois où l’on n’a pas eu la pos­si­bi­li­té de dire « non » : parce qu’on a eu peur, parce qu’on est mineure, parce que l’agresseur a utilisé son pouvoir pour nous contraindre…


« Le consen­te­ment est un concept qui peut dis­si­mu­ler des inéga­li­tés de pouvoir. »

Clara Serra

Vous dites que vous regrettez que l’on soit passé du slogan « non c’est non » à l’idée que « seul un oui est un oui ». Pourquoi ?

Si l’on s’engage dans la voie où le « oui » devient la preuve indis­cu­table du consen­te­ment, on se retrouve dans une pers­pec­tive clai­re­ment libérale et, à mon sens, pro­blé­ma­tique. Car il existe des situa­tions où le consen­te­ment est vicié. Par exemple, une femme peut dire « oui » sous la menace, dans un contexte d’intimidation… Ce contexte n’est pas pris en compte lorsque l’on fait du « oui » un mot magique ; il est au contraire com­plè­te­ment occulté. Il faut être conscient·es que le consen­te­ment est un concept qui peut dis­si­mu­ler des inéga­li­tés de pouvoir. Il me semble que la gauche avait raison quand, face au libé­ra­lisme, elle rappelait qu’aucun « oui » n’est libre s’il n’est pas assorti de la pos­si­bi­li­té de dire « non ». Un·e travailleur·euse n’accepte un emploi de manière libre que si le refuser est également possible. Les femmes ne sont libres de dire « oui » que lorsqu’elles sont libres de dire « non », et le « non » me semble alors être une déli­mi­ta­tion beaucoup plus claire du consentement.

Ces derniers mois, en France, dans le contexte du procès des violeurs de Mazan, des fémi­nistes et des poli­tiques ont proposé d’intégrer le terme de « consen­te­ment » à la défi­ni­tion légale du viol. Qu’en pensez-vous ?

La loi française fonc­tionne déjà sur le principe du consen­te­ment, mais par la négative : c’est l’absence de consen­te­ment que la loi tente d’identifier lorsqu’elle tient compte de la violence, la menace, la contrainte ou la surprise qui ont pu s’exercer. Mais ce n’est pas explicite, c’est vrai ; or il est opportun que la loi énonce clai­re­ment son propre principe régle­men­taire. Je pense qu’il est possible d’être exhaustif·ves dans la recherche des critères qui faussent le consen­te­ment. Par exemple, dans un cas où il y a eu inti­mi­da­tion, il faut se demander à partir de quel moment l’asymétrie des positions de pouvoir est suf­fi­sante pour invalider le consen­te­ment. La véritable dis­cus­sion politique se cache ici et c’est là que le féminisme a beaucoup à dire.

Ce que dit la loi française

En France, le Code pénal définit le viol comme « tout acte de péné­tra­tion sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Si la base de cette défi­ni­tion date de 1980, le critère de menace n’a été introduit qu’en 1994, et la mention des actes bucco-génitaux en 2021. Cette dernière permet de parler de viol même lorsque la victime n’est pas pénétrée.

→ Pour aller plus loin :
Clara Serra, La Doctrine du consen­te­ment, La fabrique éditions, 2025, 13 euros.

Marie Kirschen

Marie Kirschen est journaliste, spécialiste des questions féministes et LGBT+. En 2021, elle a publié Herstory, Histoire(s) des féminismes chez La Ville brûle. Voir tous ses articles

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