Comment mieux accueillir les élèves LGBTQIA+

L’association Queer Éducation œuvre depuis 2019, prin­ci­pa­le­ment en région pari­sienne, auprès des élèves LGBTQIA+ et des per­son­nels éducatifs pour une école plus inclusive. Andrea (son prénom a été modifié à sa demande) pro­fes­seur d’histoire-géographie dans un lycée du Val-de-Marne, explique comment les membres de l’association tra­vaillent à (re)faire de l’école un espace de résistance.
Publié le 04/05/2025

Illustration de Petrouchkaka pour La Déferlante
Petrouchkaka pour La Déferlante 

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°18 Éduquer, parue en mai 2025. Consultez le sommaire.

Qu’est-ce qui a motivé la création de Queer Éducation ?

Nous voulions nous mobiliser contre la prétendue « neu­tra­li­té » de l’Éducation nationale, qui masque en réalité les normes cishé­té­ro­nor­mées et les violences LGBTQIA+phobes dans l’enseignement institutionnel. 

Nous avions la volonté de partager nos expé­riences entre per­son­nels éducatifs queers, de nous soutenir mutuel­le­ment et de réfléchir col­lec­ti­ve­ment à des pratiques et des contenus péda­go­giques plus inclusifs pour accueillir au mieux les élèves LGBTQIA+. Dès la création de l’association, nous avons eu l’intuition qu’il fallait l’ouvrir à toutes les personnes en lien avec le milieu éducatif, pas seulement aux enseignant·es de l’Éducation nationale. Nos adhérent·es sont aussi des intervenant·es du monde asso­cia­tif, des chercheur·euses, des artistes.

Que proposez-vous pour mener cette bataille éducative ?

Aucun·e membre du personnel de l’Éducation nationale n’est formé·e sur les enjeux LGBTQIA+ : l’animation de for­ma­tions à des­ti­na­tion des éta­blis­se­ments et des syndicats est donc notre priorité. Elles sont conçues pour répondre à des situa­tions concrètes avec des outils pratiques : les défi­ni­tions clés, les bonnes res­sources pour accom­pa­gner les élèves LGBTQIA+. Nous orga­ni­sons aussi les journées « Corps et espace », au cours des­quelles nous réflé­chis­sons aux dif­fé­rentes oppres­sions (validisme, racisme, gros­so­pho­bie…) à la lumière des enjeux queers dans l’éducation. Nous avons participé en mai 2024 au ras­sem­ble­ment parisien en soutien aux mineur·es trans dont le Sénat a souhaité interdire les tran­si­tions ou à l’organisation de la Pride radicale de Paris, en juin 2024, une marche qui est distincte de la Marche des fiertés offi­cielle car elle dénonce la récu­pé­ra­tion ins­ti­tu­tion­nelle des luttes queers.

Lire aussi : « Enfants trans, la guerre est déclarée », La Déferlante n° 15, août 2024

En 2023, Lucas, 13 ans, s’est suicidé à la suite d’un har­cè­le­ment scolaire homophobe. Le rapport 2024 de SOS Homophobie montre que ce type de har­cè­le­ment peut aussi être le fait de membres du personnel éducatif. Que mettez-vous en place pour protéger vos élèves ?

Le har­cè­le­ment de la part des adultes est la partie émergée de l’iceberg qui fait oublier le silence et l’inaction globales du personnel éducatif témoin de ces faits. Mettre fin à ce statu quo est un des objectifs de nos for­ma­tions. Du côté des élèves LGBTQIA+, il faut qu’elles et ils se sentent à la fois représenté·es et écouté·es. Les infirmier·es scolaires ne sont pas formé·es sur les LGBTQIA+phobies alors qu’ils et elles sont souvent sollicité·es par les ados en détresse.
Il est pri­mor­dial que les élèves puissent iden­ti­fier des personnes ressources.

Nous apposons sur nos portes un visuel appelé la « Queereille », qui repré­sente une oreille aux couleurs des dif­fé­rents drapeaux queers, accom­pa­gnée du slogan : « Élèves, collègues, ce symbole signifie qu’une oreille attentive est là pour vous », afin de montrer aux élèves que nous sommes là pour les écouter. Virginie, professeure-documentaliste dans un collège de l’Essonne et membre de l’association, s’est attelée à queeriser le CDI, qui était jusque-là très pauvre en res­sources sur ces sujets. On essaie de déve­lop­per l’esprit critique des élèves sur certains intitulés hété­ro­nor­més, on leur parle de per­son­na­li­tés LGBTQIA+ et on leur montre des œuvres repré­sen­tant les identités queers… Perméables au contexte réac­tion­naire, certain·es élèves s’opposent expli­ci­te­ment à cette pédagogie. On essaie alors d’amorcer un dialogue, puisque ce type de réaction peut aussi être le signe qu’un élève se rend coupable de har­cè­le­ment sur des camarades LGBTQIA+.


« L’école est un lieu de violence pour beaucoup, mais elle peut aussi être un espace de libération. »


Les deux quin­quen­nats Macron ont été marqués par des annonces ambi­va­lentes sur le trai­te­ment des enjeux LGBTQIA+ à l’école, entre la dénon­cia­tion d’une supposée « théorie du genre 1Cette appel­la­tion est utilisée par les tenants du camp réac­tion­naire pour dénigrer les études de genre, qui mettent en évidence sa construc­tion sociale, his­to­rique et cultu­relle. Consulter notre glossaire. » d’un côté et la mise en place de mesures visant à favoriser l’inclusion des élèves LGBTQIA+ de l’autre. Quel bilan tirez-vous des poli­tiques mises en œuvre ?

Nous sommes pris·es dans une ambiguïté constante. La cir­cu­laire Blanquer de 2021 2La cir­cu­laire de l’Éducation nationale du 29 septembre 2021, dite « cir­cu­laire Blanquer », contient une liste de recom­man­da­tions sur la prise en compte par le personnel éducatif des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire. en est l’exemple le plus frappant. Elle affirme que les élèves trans doivent être protégé·es, mais laisse aux parents le pouvoir de s’opposer admi­nis­tra­ti­ve­ment à un chan­ge­ment de prénom ou de pronom. En pratique, cela fragilise les élèves et place le personnel éducatif dans des situa­tions dif­fi­ciles. Il y a aussi eu la géné­ra­li­sa­tion des « référent·es égalité », mais pour qui aucun moyen n’a été débloqué. De manière générale, nous assumons béné­vo­le­ment une mission qui devrait être prise en charge par l’État, et sans poli­tiques publiques fortes, notre force de frappe est limitée.

Depuis les ABCD de l’égalité en 2013 jusqu’aux pro­grammes d’éducation à la vie affective, rela­tion­nelle et sexuelle (lire notre encadré ci-dessous), certain·es parents ou orga­ni­sa­tions s’organisent pour empêcher toute éducation aux questions de genre et de sexualité, consi­dé­rant que ces sujets n’ont pas leur place à l’école. Que leur répondez-vous ?

Lire aussi : Les ABCD de l’égalité. Cas d’école des paniques morales de Mathilde Blézat dans le n° 7 de La Déferlante, septembre 2022.

Des orga­ni­sa­tions comme Parents vigilants, Juristes pour l’enfance ou SOS Éducation utilisent des discours alar­mistes pour mobiliser les parents. Elles pré­tendent que parler de ces questions revient à « endoc­tri­ner » les élèves. Pourtant, cette éducation permet de prévenir de nom­breuses violences et problèmes de santé mentale, d’apprendre le respect de soi-même et des autres. Si le but de l’école est de poser les bases sur les­quelles on veut faire société, c’est son rôle de parler de ces sujets. La famille est souvent un lieu où les enfants et les ados subissent des violences, il est absurde de compter sur elle pour éduquer aux relations saines, d’autant plus que certain·es parents consi­dèrent que parler de sexualité avec leurs enfants n’est pas approprié. Les jeunes sont alors livré·es à elleux-mêmes.

Comment composez-vous avec ces parents et orga­ni­sa­tions qui prennent de plus en plus de place ?

Leurs actions ont un impact concret sur notre travail : sous la pression, certain·es chef·fes d’établissement annulent nos ini­tia­tives. Nous tentons comme nous le pouvons de résister à ce climat anxiogène. La cir­cu­laire Blanquer demande par exemple l’accord des deux parents pour que le prénom et le pronom d’un·e élève trans soient changés admi­nis­tra­ti­ve­ment, mais rien ne nous interdit de nous adresser à un élève de la manière qui lui sied sans que ces infor­ma­tions soient inscrites dans Pronote 3Pronote est un logiciel de vie scolaire utilisé dans les éta­blis­se­ments de l’Éducation nationale pour com­mu­ni­quer, entre autres, les notes, les devoirs ou les absences.. Nous tirons parti des flous et des interstices.

Aux États-Unis, en mul­ti­pliant les lois et décrets anti-LGBTQIA+, l’extrême droite trumpiste fait des questions de genre à l’école l’un de ses chevaux de bataille. Craignez-vous le ren­for­ce­ment de ces poli­tiques en France ?

On ne peut pas nier qu’en France ces discours et légis­la­tions réac­tion­naires influencent déjà les débats. C’est terrible pour les élèves qui sont en ques­tion­ne­ment et ce sera encore plus difficile de lutter contre les normes cishé­té­ro­nor­ma­tives déjà très ancrées chez les ados. J’en viens à me demander si je pourrai un jour être interdit d’exercer en raison de ma tran­si­den­ti­té. En tant que fonc­tion­naires, nous nous ques­tion­nons aussi sur le fait de tra­vailler pour un éventuel gou­ver­ne­ment d’extrême droite. Nous comptons en tout cas sur les nom­breuses résis­tances des chef·fes d’établissement, des enseignant·es et des parents à l’échelle locale.

Comment continuer de lutter dans ce climat par­ti­cu­liè­re­ment anxiogène ?

Nous conjurons la solitude par l’organisation col­lec­tive et en offrant aux enfants queers ce dont nous n’avons pas bénéficié lorsque nous étions nous-mêmes ados : des espaces où elles et ils se sentent compris·es, respecté·es et représenté·es. Cela donne un sens profond à nos métiers. L’école est un lieu de violence pour beaucoup, mais elle peut aussi être un espace de libé­ra­tion, pour nos élèves comme pour nous-mêmes. •

Entretien réalisé le 22 janvier 2025 en visioconférence.

Évars : Un programme loin d’être à la hauteur

Depuis 2001, la loi prévoit que, de la mater­nelle au lycée, les élèves béné­fi­cient de trois séances annuelles consa­crées à l’éducation affective et sexuelle. Mais, en l’absence de moyens humains, finan­ciers et d’une feuille de route détaillée, seulement 15 % des élèves en béné­fi­cient réel­le­ment, selon un rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) publié en juillet 2021.

Fin janvier 2025, Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale, pré­sen­tait devant les syndicats d’enseignant·es et les représentant·es de parents d’élèves, un nouveau programme d’éducation à la vie affective, rela­tion­nelle et sexuelle (Évars) qui devra être mis en œuvre à la rentrée de septembre 2025. Issu d’une large consul­ta­tion politique, le texte ne mentionne ni la question de l’asexualité, ni la lutte contre la transphobie.

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    Cette appel­la­tion est utilisée par les tenants du camp réac­tion­naire pour dénigrer les études de genre, qui mettent en évidence sa construc­tion sociale, his­to­rique et cultu­relle. Consulter notre glossaire.
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    La cir­cu­laire de l’Éducation nationale du 29 septembre 2021, dite « cir­cu­laire Blanquer », contient une liste de recom­man­da­tions sur la prise en compte par le personnel éducatif des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire.
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    Pronote est un logiciel de vie scolaire utilisé dans les éta­blis­se­ments de l’Éducation nationale pour com­mu­ni­quer, entre autres, les notes, les devoirs ou les absences.

Les mots importants

Théorie du genre

« Théorie du gender », « théorie du genre sexuel » ou...

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Queer

En anglais, le terme queer signifie « bizarre »...

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Évars

Le nouveau programme d’éducation à la vie affective,...

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Tal Madesta

Journaliste indépendant spécialisé dans les questions de discriminations, il est l’auteur de plusieurs livres, dont La Fin des monstres (La Déferlante Éditions, 2023). Il co-anime le podcast Les Couilles sur la table (Binge Audio). Voir tous ses articles

Pour une éducation qui libère !

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°18 Éduquer, parue en mai 2025. Consultez le sommaire.